Carnet de bord 2021, semaine 6 14 février 2021 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

Lundi

Le prochain numéro mensuel de Livres hebdo sera consacré au féminisme et à la néo-littérature. Si je situe le féminisme, la néo-littérature me laisse plus circonspect. Est-ce une nouvelle façon de décrire des pratiques littéraires non grand public ou qu'on pourrait qualifier d'expérimentales, qu'hier encore on appelait complexes ou exigeantes et qu'avant-hier on appelait tout simplement littérature avant que la forme du roman (et bien d'autres) se fasse highjacker par les adeptes de la bestsellarisation du livre et des esprits (à commencer par les leurs, mais aussi malheureusement par effet de ricochets les nôtres, puisqu'on se retrouve à y penser) ? Pas sûr. Mais si je me réfère à cet article de Magali Nachtergael, par ailleurs passionnant, la néo-littérature (ou néolittérature sans tiret, comme néolithique) cela prendrait cette forme-là : 

Les formes plastiques de la littérature, et réciproquement, la littérarité des œuvres plastiques contemporaines constituent un corpus récent à l’intersection des arts. Derrière l’idée de néolittérature, un enjeu épistémique émerge : celui de considérer ces deux versants de la culture intersémiotique comme une forme littéraire plastique à part entière, dans la tradition déjà établie du poème visuel. Le texte, ou sa fixation en livre, n’est plus alors qu’un élément transitif et temporaire, participant d’un ensemble polyexpressif.

Et donc, j'en étais sûr : voilà qu'on faisait de la néo(-)littérature sans le savoir ! Par exemple, Paysage augmenté, ça doit carrément être néolittéraire. Et ne parlons pas du Journal du brise-lames. Et que dire de Kalces. On pourrait continuer encore comme ça un certain temps.

mardi

Trois livres Temps réel sont prévus au second semestre cette année. J'écris donc des présentations à transmettre à Roxane pour qu'elle n'ait pas besoin d'attendre que le travail éditorial sur chacun d'entre eux se termine pour commencer à cogiter sur des idées de couverture. Pour le premier, j'écris c'est en vers libre mais c'est un récit. Pour le deuxième, c'est un roman mais c'est très poétique avec peu de ponctuation. Pour le troisième, c'est le titre le plus normal qu'on aura. Ou quelque chose comme ça. Peut-être qu'on a une conception un peu lâche du roman aux yeux du grand public mais je ne crois pas : le roman avale tout, c'est une synthèse d'X genres et courants. Surtout, je crois qu'on aurait tort de laisser le roman à la fibre industrielle des lettres. Le roman est à celles et ceux qui veulent vendre du roman autant qu'à celles et ceux qui veulent le révolutionner de l'intérieur (voire le détruire). Et je ne crois pas que le roman soit mort, ou plutôt je ne crois pas que le roman succombera à aucune de ses innombrables morts : sa métamorphose est tout simplement continue, et jalonnée d'X réincarnations. Sommes-nous dans le bardo du roman ? Il faudrait demander ça à Volodine. Dès qu'il se fige dans une forme qui semble fixe, ce n'est plus lui déjà mais bien l'une de ses mues (ou de ses régurgitations). Au moment où on l'observe, il a déjà changé de peau. C'est ce qui rend la lecture et l'écriture si exaltante ; et c'est aussi ce qui inquiète. Qui peut savoir où il ira ?

mercredi

C'est officiel, le salon de L'autre livre n'aura (encore) pas lieu début mars. C'est la troisième fois qu'un salon de L'autre livre est annulé après le Palais de la femme l'an dernier (mais nous n'y étions pas) et les Blancs manteaux en novembre (nous n'y étions pas non plus puisqu'il n'a pas eu lieu, mais nous aurions dû y être s'il s'était tenu, et nous voilà fort dépourvus maintenant que la bise est venue). Comme pour le Marché de la poésie cet automne, cette annulation vient moins d'une interdiction pure et simple de la préfecture qu'une forme d'incertitude généralisée doublée d'une somme de pistes ubuesques comme recommandations possibles : marquage au sol, jauge de participants très stricte, respecter le couvre-feu voire même fermer le week-end (pour un salon de trois jours, c'est compliqué). Nous voilà donc de nouveau à nous dire : nous verrons où nous serons dans six mois. D'ici-là, de petites choses semblent possibles. Quelques rencontres ont lieu en librairie ici et là, mais sous quelle forme ? Avec le couvre-feu, pas de possibilité de faire quoi que ce soit en soirée, ce qui limite de fait les options. Là, on voit passer des annonces de signatures en semaine, et en journée. Auteur présent dans les murs de la librairie de 9h à 18h. Est-ce que ça a du sens ? J'imagine qu'il faut bien tenter le coup. Mais enfin, déjà qu'une signature de deux heures en salon fréquenté, ça peut paraître long, une journée entière assis dernière sa table dans une librairie en semaine, qui par ailleurs continue de gérer les commandes à distance comme au temps du click and collect en plus de sa clientèle en présence, pendant que tout ou partie du public potentiel bosse pour sauver l'économie et le monde des marchés, il n'y a pas besoin d'une imagination débordante pour en imaginer l'inefficacité... Plus surprenant : les premières annonces de festival annulés pour le mois de juin. Là, dans le champ musical, Solidays. On a beau se dire qu'il faut rester terre à terre, et prendre les matchs les uns après les autres comme disent docilement les footballeurs en interviews d'après-match, on est quand même un peu lassés. Mieux vaut rester terre à terre, donc, avec le livre de Sébastien Ménard, pour commencer, qui paraît aujourd'hui.

jeudi

Avec Benoît travaillons sur un essai sur le silence. Revient souvent dans ce carnet les problèmes que l'on rencontre parfois quand on est à plusieurs sur le même texte : incompatibilités matérielles ou logicielles, fichiers corrompus et glitches en tout genre en faisant passer la matière du texte entre telle et telle interface. C'est le cas ici avec un fichier étrange et des commentaires vides de partout que je ne peux même pas fermer dans Libre office sous peine de faire planter la fenêtre. Travailler dans un PDF, donc, où ces commentaires vides et mystérieux apparaissent malgré tout et qu'il faut effacer un en un. Effacer le silence et subir sa prolifération, c'est probablement parfaitement adapté à ce livre. Comme il est parfaitement logique de recevoir les épreuves glaciales de la nouvelle édition de Climats : on dirait que le froid en germe dans sa couverture irradie du livre. Quoi de plus normal après tout ?

vendredi

Autre épreuve à arriver cette semaine : le premier volume du cycle L'Amitié des voix de Jacques Ancet. Au moment où le livre est entre nos mains pour la première fois, une conjonction temporelle veut que le second tome arrive également dans ma boîte mail. La comédie urbaine, elle, est à l'honneur dans l'émission Paludes du jour, de quoi partir en vrille avec les (anti-)héros un peu barges (et accentués) de Seb Doubinsky :

Derniers ajustements aussi du côté de la couverture de Lent séisme, qui ces derniers jours est arrivée à son point d'équilibre : il ne restera plus qu'à vérifier qu'elle tient bien une fois imprimée, avec éventuelles dernières retouches à envisager à ce moment-là. Tout progresse. Même les demandes d'aide CNL qui nécessitent d'abord que je me souvienne de ne pas les faire sous Safari :

Le disque de Climats, lui aussi (dont par ailleurs je relis les épreuves en ayant dans l'oreille, disque oblige, mémoire des lectures publiques et autres enregistrements de ces dernières années, la voix de Laurent me lisant ce que je me lis à moi-même) arrive dans ses dernières étapes de conception avant la mise en production de l'objet. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les visuels conçus par Roxane annoncent déjà qu'il sera beau.