Carnet de bord 2020, semaine 32 9 août 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Je cherche. Je cherche de nouvelles voix. C'est du reste ce que j'écris quand j'écris à quelqu'un qu'en substance je le cherche, et que j'aimerais le, ou la, trouver. J'ai plusieurs pistes (mais aussi des pistes foireuses, par exemple croyez-le ou non mais le hashtag #romanceparanormale est une piste foireuse), quelques quatre ou cinq personnes mais je me heurte. À des difficultés, comprendre. Quelles sont-elles ? Déjà, outre que les espaces web qui accueillent des écritures novatrices ne sont pas légion (je parle ici de sites personnels plus que de sites collectifs, type revue, que pour le coup je sais situer ; les sites personnels semblent se réduire au fil du temps, à mesure que les réseaux so les dévorent), je tombe rarement à côté. Au fond je cherche ce que tout le monde cherche (ce qui m'amène à me demander si je cherche bien au bon endroit, enfin la bonne personne), quelque chose de narratif et de singulier. Tout le monde ne le présenterait pas comme ça sans doute, mais ça ne me dérange pas de marcher aux lisières du roman comme forme. Bon nombre de romans de nos jours (publiés ou appelant à l'être) sont écrits non comme ils devraient être écrits mais comme on suppose qu'autrui aimerait qu'on les écrive. Je ne sais pas si c'est aussi clair sur la page que dans ma tête (mais, oui, dans ma tête ça l'est). Le résultat est parfois sympathique, il peut même être prenant et marcher commercialement ; mais un truc ne va pas dans l'écriture. Généralement je me dis, lisant ces textes-là, c'est mortifère. Comprendre : ce n'est pas vif, et parfois même pas vivant du tout. C'est faire semblant de maintenir en vie (cryogénisation des écritures) des esthétiques du passé. Curieusement pourtant, lorsque ces romans paraissent, quand ils paraissent, on dit d'eux qu'ils sont parfaitement dans l'air du temps voire le reflet de leur époque. Si je comprends une chose là-dedans, c'est que je ne comprends pas. Mais ça ne fait rien. Ne pas être mortifère, donc. Soit. Mais quand je cherche ça, une écriture vive quelque part, je me heurte à une autre difficulté : les voix que je trouve, ce ne sont généralement pas des auteurs de fiction (je n'ai pas de problème à utiliser le mot romancier, mais peut-être qu'ici c'est un terme en deçà de mon appréciation). Ce sont des poètes, des artistes contemporains, des performeurs et euses, parfois des journalistes, ou des irréductibles à aucune case. Bon. Qu'est-ce que ça change, dans ce cas, quand je les contacte pour les inviter à m'envoyer quelque chose ? Ils m'envoient quelque chose qui n'est pas précisément ce que j'attends. C'est à la fois une chance et une frustration. Ne pas réellement creuser la piste que je souhaite creuser, qui est celle de la narration de demain grosso modo, des nouvelles énergies capables de faire se tordre la fiction ; et néanmoins avancer via d'autres chemins de traverse inconnus de moi. C'est intéressant. C'est chronophage. Et je sais bien que, dans une partie des cas, cela ne débouchera sur rien de concret (soit la personne ne répondra pas, c'est déjà arrivé et alors on peut supposer qu'elle a déjà été débauchée par d'autres, ou alors qu'elle n'a rien à m'offrir pour l'instant ; soit la personne m'enverra quelque chose qui ne collera pas et chacun continuera sa route de son côté, j'ai envie de dire c'est le jeu). Je ne sais pas dans quelle mesure les autres éditeurs et trices travaillent, ou non, de cette façon. C'est toujours plus confortable de partir d'auteurs déjà publiés ailleurs. Mais un auteur publié ailleurs, avant que d'être publié ailleurs, c'est déjà un auteur, non ? Une voix. C'est lui, c'est elle, que je recherche, là.

Sur la question de l'écriture mortifère, lire ce qu'écrit Pascal Mougin dans son essai Moderne / contemporain paru aux Presses du réel l'an dernier. C'est le début de sa conclusion, et ça en dit long sur une certaine frange de la production actuelle (on ne dira pas laquelle, mais enfin c'est assez transparent) :

Le modèle funéraire, chez les éditeurs de littérature, est toujours bien vivant. La signalétique de couverture de plusieurs maisons ou collections prestigieuses -- centrage hiératique des indications, caractères de tirage imitant l'écriture du lapicide, filet rectangulaire sanctuarisant les contours du Livre -- emprunte de longue date à la pierre tombale. Changées telles qu'en elles-mêmes par une éternité préemptée, les oeuvres concernées se rêvent en monuments définitifs, hors du monde et du temps ordinaire.

mardi

Avec Roxane et Julie en congés pour quinze jours, je me sens un peu seul dans l'open space mental de publie.net (est-ce pour cela que j'échange avec Philippe pour imprimer des timbres ? qui sait). Pendant ma relecture du PDF de Marche-frontière, après  un premier passage par Christine, j'en viens à me remémorer cette cliente véhémente qui nous avait écrit, l'an dernier ou l'année d'avant, je ne sais plus, à la suite d'une lettre d'information X ou Y : alors vous aussi vous vous en remettez au cancer de la langue qu'est l'écriture inclusive ? Elle ne l'a peut-être pas dit comme ça et je ne me souviens plus exactement de la formule utilisée (de toute façon il y a prescription). Que répondre ? Je ne sais plus trop ce que j'ai pu ou non répondre, en revanche je sais que j'ai toujours été sceptique quant à l'utilisation de l'écriture inclusive dans un récit, plus par crainte de la lassitude que ça engendrerait chez un lecteur de faire cette gymnastique visuelle X fois par pages (aller d'un genre et parfois d'un pluriel à l'autre), et je sais que ça ne m'a pas dérangé le moins du monde dans Marche-frontière d'Ahmed Slama. Pourquoi ? Parce que c'est bien dosé (pas suffisamment employé pour que ça pèse sur la lecture et que ça nous sorte du livre et assez néanmoins pour que ce soit un geste cohérent sur l'ensemble du récit). Parce qu'il a la délicatesse de choisir une forme minimale dans sa représentation (ne pas redoubler les points dans les cas de pluriel, par exemple abonné.es et non abonné.e.s). Si cela avait été gênant pour la lecture, un risque pour quelqu'un de sortir de la narration, cela aurait été un problème et je le lui aurais dit. Là, la seule chose que je lui ai fait remarquer, à Ahmed, ça a été : pour moi le point médian est plus élégant. Même chose côté Notre vie n'est que mouvement d'ailleurs il y a quelques semaines (même si dans ce livre-là, l'usage était plus dilué dans la longueur du texte). Nous avons donc opté pour le point médian. Mais à la relecture, un dilemme se pose que je n'avais pas anticipé : quand un mot déjà fractionné par l'écriture inclusive est doublement fractionné par une césure, ça ne va plus. Ce que l'on a au final, ce sont des lambeaux de mots et non des mots en toute singularité. C'est un problème. En somme, un problème qui relève strictement d'une question de typographie et non d'idéologie, et ce n'est pas la fin du monde que de régler ce genre de problèmes. J'ai envie de dire:  on est là pour ça. Non, la vraie fin du monde, c'est la montée des eaux, le réchauffement climatique, la surconsommation, l'exploitation à outrance de tout et n'importe quoi, la disparition des espèces. Or, à la toute fin de l'année paraîtra dans la collection ArchéoSF dirigée par Philippe Ethuin un ouvrage qui, bien qu'issu du passé, et parlant du futur (ou du moins d'une vision du futur immergée dans le passé) a bien des choses à nous apprendre sur notre présent. Demain l'écologie : ce sera notre dernière parution de l'année. On y trouve, en plus d'une incroyable nouvelle de 1872 qui expose déjà la plupart des maux contemporains que je viens d'énoncer, une très simple proposition pour venir à bout du covid. Voyez plutôt :

Un  physicien, je regrette que l’histoire, si avide de recueillir les noms  des brigands fameux, n’ait pas conservé le sien, persuadé que l’atmosphère n’était pas infectée à une grande hauteur, s’éleva dans les  airs ; l’eudiométrie perfectionnée lui ayant prouvé que ses conjectures étaient fondées, il adapta à son aérostat des tubes d’étoffe imperméable qui descendaient jusqu’à terre, et les fit communiquer à de puissants ventilateurs. Il parvint ainsi à établir des courants  perpétuels d’air pur. Ce moyen simple employé en grand eut le plus heureux succès. Chaque place, chaque rue, chaque hospice eut  des ballons salutifères, et la maladie s’arrêta. Depuis, l’expérience ayant démontré que les miasmes contagieux ne dépassaient guère trois cents pieds, hauteur commune des brouillards, on imagina de se servir des tours des églises pour soutenir des tuyaux de descente, auxquels s’ajustent au besoin des ventilateurs. (Pierre Marc Gaston Levis, Lettre XXV)

mercredi

Si j'en crois cet autre ArchéoSF en préparation pour le printemps (Demain la Commune) : l'essentiel, c'est de savoir manier la charrue, d'être bonne ménagère ou bon agriculteur. Le reste, on peut s'en passer. Au risque de briser des illusions au sein de notre lectorat, je ne sais ni manier la charrue et ne suis ni bonne ménagère ni bon agriculteur. Nous voilà bien. On ne peut pas tout savoir faire. Qu'est-ce que je sais bien faire ? Me poser des questions, je crois bien. Par exemple : si tu découvres un jour une écriture qui te parait tout à fait bonne, mais que ce petit truc en plus qui fait qu'elle te semble l'être provient d'un aspect tout à fait incontrôlé, pour ne pas dire accidentel, bref que quoi qu'il se passe ce n'est pas fait consciemment, cette écriture devient-elle de fait une mauvaise écriture ? C'est quelque chose qu'on se demande souvent lisant des textes impubliés mais qui tendent à l'être : est-ce conscient ? Est-ce fait exprès ? Voire même parfois est-ce bien présent dans le texte, ou est-ce moi qui le lis (ou veux le lire) ? Je ne sais pas si ces questions nécessitent qu'on y réponde. L'important, me dis-je, c'est d'être conscient que c'est peut-être inconscient, et d'être conscient qu'on en est conscient afin de garder, selon la formule consacrée, les pieds sur terre. Un bon livre écrit entièrement à l'instinct, on peut le faire une fois, guère plus. J'imagine donc que mon travail auprès d'un auteur ou d'une sera de lui faire prendre conscience qu'il faut que les choses soient plus conscientes. Somme toute, qu'il faut y mettre (et parfois y trouver) du sens. Quand il n'y a pas de sens, on a le sentiment que le texte (pour ne pas dire la personne) parle tout seul. Ça peut même être bien. Mais on n'est pas requis. On n'est pas désiré. On n'est pas invité à lire. S'il n'y a que du sens, si tout est contrôlé (pensons à tous ces romans académiques qui sont tellement appliqués à faire le job qu'ils en deviennent transparents), on est trop requis, on est trop préfiguré, on programme à l'avance nos réactions de lecteurs. En somme, on est en terrain conquis. Or si l'ensemble du territoire t'appartient de fait, que reste-t-il à conquérir par toi-même ? Il n'y a pas de recette miracle. Et pour moi la seule question d'importance qu'il faut nécessairement se poser quelle que soit la forme que prendra l'écriture quand elle s'engage dans l'envergure d'un projet (et ce qu'on l'appelle roman, livre, poème, texte, performance ou que sais-je) est celle-ci : quelle est-elle cette chose que je suis seul à être en capacité d'écrire ? 

 

jeudi

Breaking découverte dans la recherche fondamentale d'éventuelles traces de vie humaine sur la planète Amz via ce message de Philippe :

La plateforme auteurs qui gère des page auteur sur Amazon, à laquelle on peut s'inscrire sans vendre ses âmes passées, présentes et à venir au diable, permet à ma grande surprise de communiquer avec des êtres  humains et de résoudre des problèmes de type image de couverture, absence de livres dans des listes auteurs, etc. Ne pas y compter pour des choses comme les questions de disponibilité, prix, etc.

Voilà qui est inattendu. Mais bon à savoir. De mon côté, entre quelques échanges de mail type envoyez-moi des textes, je vais vous envoyer des textes, cool j'ai hâte de lire vos textes, je termine de fignoler ces textes et dès que c'est près je vous les fais parvenir (et ainsi de suite), terminer de relire Demain la Commune (ou presque) et penser à cette fois bien programmer le carnet de bord de la semaine. Vendredi dernier, je l'ai programmé pour dimanche, ce que généralement je ne fais pas (d'habitude, c'est mis en ligne et relu au moment de la publication). Ce que j'ignorais, c'est que notre WordPress n'est pas à l'heure d'été, il est encore à l'heure d'hiver (ou alors un autre fuseau farfelu). Résultat des courses lorsque le tweet automatique est parti, l'article n'était pas en ligne côté site, croyant qu'il était une heure trop tôt. Que de frustration chez les inconditionnels du carnet de bord (qui sont comme vous l'imaginez des dizaines, non des centaines de milliers au moins chaque semaine) ! Cette fois, je ne referai pas l'erreur ; cette fois, j'apprendrai de mes erreurs. Et c'est une belle leçon à se faire à soi-même pour clore le carnet de bord de cette semaine 32, je trouve.