Carnet de bord, semaine 38 22 septembre 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Michel Torres nous fait suivre un article paru dans Usbek & Rica il y a quelques jours intitulé (subtilement) Demain, serons-nous trop abrutis pour lire ? Je crains fort que la réponse soit oui. À la lecture de cette page, je ne sais pas s'il faut se catastropher de ce que la lecture est devenue (ou va devenir) au fil des années, s'enthousiasmer que des opérations de type "Silence, on lit !" pour imposer 15 minutes de lecture par jour dans les établissements scolaires soient mises en place (mais que se passe-t-il passé ce seuil des 15 minutes ? d'ailleurs pourquoi imposer ? et pourquoi 15 minutes ? n'est-ce pas là un symptôme de la fragmentation de l'attention que cet article dénonce par ailleurs ? une lecture sous forme de zapping ?), s'exaspérer que pour bon nombre de personnes interrogées seule la page imprimée soit considérée comme seule méthode de lecture acceptable, ou tout simplement passer son chemin et continuer à faire ce qu'on fait, puisqu'après tout c'est là tout ce qu'on sait faire. Tout de même, il faudrait peut-être, avant d'en arriver aux implants rétiniens (qui ne seraient finalement que le prolongement de ce que l'ère du zapping permanent nous conduit à expérimenter avec le livre audio : chercher par tous les moyens à pouvoir faire autre chose que lire pendant qu'on lit), envisager l'un de ces divers dispositifs permettant soit de couper les notifications, soit de couper la connexion elle-même sur nos divers appareils. Sans parler bien évidemment de la suppression des applications chronophages, par exemple celles dévolues aux réseaux sociaux. Bref, si on ne lit pas sur ces appareils, ou si on est amené à passer d'une activité ou d'une application à l'autre et à zapper sans cesse (n'est-il par ailleurs pas possible de zapper d'un livre à l'autre exactement de la même façon ?), c'est peut-être qu'on le veut bien.

Mais tout ceci est parfaitement anecdotique car l'import dans PMB du fichier csv contenant l'ensemble des métadonnées du catalogue, qui avait parfaitement fonctionné en situation de test, ne fonctionne pas à présent. Tout est bien intégré mais pas les noms et prénoms des auteurs, qui se retrouvent tous mélangés sans qu'on comprenne pourquoi. C'en serait presque comique si ce n'était pas surtout délicieusement exaspérant...

mardi

Julie me dit ça y est, on est sorti du vortex des scolaires (et c'est plutôt une bonne chose, ça veut dire qu'on arrive à trouver des créneaux pour parler aux libraires). Quant à ce souci d'auteurs mélangés : c'est en réalité, comme souvent en informatique, un problème de cache. Le cache, c'est une façon moderne de parler de fantômes, ou bien comme l'écrit Jacques Ancet dans le chapitre "Entrer dans les images" d'Amnésie du présent le fantôme virtuel de la réalité. Je me bats donc contre ça un moment, non pas des e-moulins à vent mais des e-spectres. A priori, la suppression des notices de test dans la base, je ne l'ai pas effectuée comme j'aurais dû, d'où ces errances d'auteurs flottants partout. Après avoir tout supprimé, puis tout réinstallé ailleurs et sur une autre base de données, ça fonctionne. L'enregistrement des notices, leur export en unimarc iso2709 et la division du fichier global en autant de notices qu'il y a de livres est un succès. Ne reste plus qu'à renommer les fichiers suivant l'isbn de chaque livre via un script que nous prépare Philippe et tout sera réglé. Pendant ce temps, un mail à l'intitulé un peu brutal : assez urgent FDP. Ah non, c'est assez urgent FTP qu'il fallait lire. Et c'est la dernière ligne droite pour finaliser l'epub de Paysage augmenté qui paraîtra demain. Les couvertures du premier tome de l'intégrale d'Horace et la nouvelle version des Sonnets à Orphée, quant à elles, sont finalisées.

mercredi

Le cas des notices quasiment réglé, je peux enfin sortir de mon tunnel de chronophagie aiguë (Roxane me dit que le sien la retient toujours prisonnière et qu'en plus il s'allonge !), et terminer ma relecture des épreuves d'Amnésie du présent, commencer celles du Voyage sous les flots (ah ces scientifiques archéosfiens qui fument la pipe dans leur sous-marin !) et surtout m'attaquer à un monceau de mails en souffrance qui déborde de ma inbox. C'est surtout la parution ce matin de Paysage augmenté, ce qui va nous permettre, maintenant que tous les livres de la rentrée son paru, de faire une communication aux auteurs de la maison pour leur proposer une remise privée sur le tout le catalogue papier. Entre-temps, les épreuves (sanguines, cf. photo) du dernier Al Teatro sont arrivées. Notre choix de couverture pour le recueil de Fabrizia Ramondino, Retours, est également arrêté. La voici.

C'est aussi le moment des relectures minutieuses d'Horace, notamment pour l'index, qu'il convient de vérifier centimètre par centimètre, de quoi passer des nuits blanches pour Roxane et Danielle Carlès... Mais tout d'un coup, patatra, Xavier Briend m'écrit qu'il vit lui-même une aventure digne du Carnet de bord. Impossible pour lui de recevoir ces exemplaires d'auteur, alors que nous avions déjà eu du mal pour lui transmettre l'épreuve au début de l'été. Il faut voir ce qui cloche auprès de Chronopost, dont le livreur a indiqué, en commentaire de la livraison prétendue : lieu sûr. Ce qui, il ne faut pas se le cacher, n'est pas très engageant, voire flirte avec le comique. Je n'ai pas d'accès direct au transporteur, c'est notre imprimeur qui est en compte avec eux et qui expédie les colis. C'est donc à eux de mener l'enquête et, pour ce que j'en sais, ils la mènent.

jeudi

Je ne sais pas si c'est un hasard (cosmique) mais deux livres, très différents l'un de l'autre, que nous publierons dans les prochains mois en viennent à deviser sur les câbles transatlantiques. Ils se retrouvent donc tous deux au fond de l'océan, et à plus de 150 ans de distance, un genre de point de contact spatio-temporel mouillé. Il s'agit du Voyage sous les flots d'Aristide Roger :

Trinitus faisait remarquer à ses compagnons combien la pose d’un câble transatlantique serait difficile dans les régions qu’ils traversaient. Entre Terre-Neuve et l’Irlande on avait pu, après bien des efforts, couler deux câbles qui fonctionnaient à merveille, parce qu’en cet endroit la mer recouvrait un immense plateau sur lequel traînaient et s’appuyaient les câbles ; mais, sous les tropiques, le fond de la mer est loin d’être favorable à de semblables travaux.

...et de L'homme heureux de Joachim Séné :

je pars à pied, regarde l’étrange câble disparaître dans cette rue où, sans encore savoir pourquoi, je ne vais pas — d’autres câbles en dessous du bitume, tuyaux de données et nos vies dans ces câbles — il faudrait y penser à chaque seconde comme eux pulsent à chaque instant les données de nos vies — combien depuis 1851 et le premier câble télégraphique franco-anglais ? — 1858, premier câble transatlantique — et les satellites du XXe siècle ne seront pas plus rapides pour certaines communications — les paroles aiment les profondeurs marines — Marseille-Singapour : 1985 — les nœuds de communication du réseau sont des îles et que pourrais-je en dire moi qui ne connaît aucune île de ville ?

Deux livres que l'on pourrait tout à fait associer à ce passage du Journal du brise-lames de Juliette Mézenc, dont je relis par ailleurs la V2 :

à hauteur des yeux un homme et un homard passent sans un mot après nous avoir jeté un regard distrait, il faut savoir que les hommes et les crustacés vivent ici en bonne intelligence, ça repose, un lieu vous l’aurez compris où les rêveurs restent le temps nécessaire pour se reconstituer puis repartent affronter ce qu’ils appellent « le monde tel qu’il est »

Coïncidence ? Complot atlantico-électrique ? Comment savoir ? Ce qu'on sait en revanche, c'est qu'on peut (enfin, ça fait quand même 4 semaines que ça dure) clore l'arc narratif des notices unimarc dans le Carnet de bord et c'est doublement appréciable. D'abord, tout simplement parce qu'on en avait besoin, de ces notices, et remplacer les anciennes éditées par notre distributeur numérique, Immatériel. Ensuite parce que, mine de rien, dans l'édition, on n'a pas le sentiment d'avoir souvent fini quoi que ce soit, d'être arrivé quelque part. Un livre, une fois qu'on a fini de travailler dessus, c'est là que tout commence. Et, idéalement, sa "fin" de vie est une fiction (c'est d'autant plus le cas quand on imprime en impression à la demande, qui résout l'épineuse question des livres épuisés). Mais du coup, on en vient à manquer ce petit rush d'adrénaline (ou de dopamine, ou que sais-je) qui vient quand on a terminé une tâche. Quand on peut, en définitive, passer à autre chose. Cette autre chose viendra vite : il s'agira bientôt de s'atteler à la deuxième livraison de métadonnées pour le projet pilote du dépôt légal du  livre numérique. On n'y est pas encore. Là, si nous avons pu terminer aujourd'hui cette étape, c'est que Philippe a pu générer un script capable de renommer l'ensemble des notices unitaires (une notice par livre et non plus seulement un fichier global pour l'ensemble du catalogue), ce qui nous évitera d'avoir à tout renommer à la main. En l'occurrence, c'est un fichier en python (le langage, pas la bête) qui dit des trucs comme noms = genfromtxt(argv[1], delimiter='t', dtype=('a50','a50')) ou encore  os.rename(lignenoms[0], lignenoms[1]). Probablement la langue qu'on parle à X kilomètres sous le niveau de la mer quand on arpente le plancher océanique, recouvert d’une couche de poussière blanche, comme s’il avait neigé sur [lui], près des câbles transatlantiques, d'ailleurs.

vendredi

Aujourd'hui, il semble que je commence mes mails majoritairement par désolé de ne me réveiller qu'aujourd'hui mais... Est-ce bon signe ? C'est. Julie, qui en est à affronter des genres d'odyssées téléphoniques, m'écrit Il y a une image de Pierre La Police qui illustre parfaitement ma semaine :

Est-ce bon signe (bis) ? Hum. On est, de toute façon, en plein maëlstrom de délai et d'impression et un livre est actuellement bloqué chez l'imprimeur sans que l'on ne puisse rien faire, sinon bien sûr râler et demander à ce que le problème soit réglé en urgence, ce qui implique d'utiliser des mots tels que inconcevable et dès que possible (mode "pas piquage de hannetons" enclenché, voilà ce que j'écris à Roxane sur le chat). Côté ventes, cette semaine, des choses étranges se produisent. Par exemple, sur un livre qui n'a a priori pas d'actualité particulière, et qui est paru il y a plus de cinq ans (en l'occurrence Le Shnorrer de la rue des rosiers, de Michèle Kahn), on constate de micro-ventes Amazon, une ou deux, plusieurs jours de suite. Pas un seul réassort groupé mais de petites sorties espacées d'un ou deux jours. Y-a-t-il un algorithme quelque part chez eux qui dit, en substance, si l'un des entrepôts se réapprovisionnent en un titre, le commander aussi pour les autres entrepôts ? Mystère mystère. Mais un mystère qui vous donne l'occasion de (re)lire Michèle Kahn, c'est un beau mystère.