Carnet de bord, semaine 32 11 août 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Avant que j'en vienne à écrire un email qui commence par la phrase Je reviens aux nouvelles concernant Barbe-bleue (!), Lou Sarabadzic m'a envoyé une première ébauche de son manuscrit montaignien. Roxane, elle, me demande, via notre application de travail cabine de téléphone rouge, si le titre que j'ai entré dans le fil correspondant au livre est le titre définitif. Au début non, puis ensuite oui. Du moins, oui jusqu'à nouvel ordre. C'est un oui franc mais qui reste ouvert au réexamen de son état de oui. C'est un faux oui. Ce n'est définitivement pas un non. Mais un oui ouvert aux métamorphoses, voilà comment je devrais le formuler (bien sûr, je ne le formule pas comme ça, ça je le réserve au Carnet de bord autrement j'aurais vite fait de saouler tout le monde avec mes mystères). Mais du coup, un titre, quand est-ce qu'on en est sûr ? Déjà, un titre, est-ce le territoire de l'auteur ou de l'éditeur ? Certains te disent sans autre forme de procès, le titre, c'est l'éditeur. Comme pour la couverture ou la quatrième de couverture. Le territoire de l'auteur serait donc uniquement cantonné au texte intérieur ? J'imagine que chacun gère ça à sa sauce. Moi, ça me paraîtrait étrange d'imposer un titre dont je sais qu'il ne convient pas à l'auteur. Qu'il y ait parfois des désaccords, c'est normal. Mais il convient quand même de trouver un terrain d'entente. Parfois, ça ne pose pas question, et le titre est évident dès le début, dès le premier envoi du manuscrit ; d'autres fois, c'est plus tumultueux, et il faut en passer par divers brainstorming pour le trouver, comme pour Ambiance garantiedont le titre était tout autre au début et est passé par différents états, jusqu'à ce que Xavier Briend nous le sorte de son chapeau. D'autres fois encore, on a le titre parfait depuis le début, et l'auteur, pour une raison qui lui appartient sans doute, souhaite le modifier en cours de route pour quelque chose de beaucoup moins singulier. Glups. Il faut alors trouver les mots pour le ou la convaincre de garder son premier choix, qui était sans doute le plus viscéral. Mais ça ne répond pas à la question qu'on se pose : comment savoir si un titre tient. Déjà, ça se vérifie dans le temps. S'il s'use après quelques semaines de réflexion, ce n'est jamais bien bon. Et puis, il y a une part de hasard. Un jour on lit un commentaire sur un réseau social suivant l'annonce de parution du livre qui dit quel titre ! et on se dit que, bien sûr, c'était ça. Vais-je pour autant dévoiler le titre ici ? Non. Parce que c'est sans doute trop tôt. Et qu'il faut laisser aux métamorphoses la possibilité de se jouer...

Photo Lou Sarabadzic

mardi

Chaque matin nous recevons, par mail, le résultat des ventes papier de la veille en librairie. Ce matin (hier donc), c'est la douche froide :

Il y a des jours comme ça. En fait, ce n'est pas si étonnant, ou en tout cas pas inhabituel : à cette période de l'année, la plupart des petites librairies sont fermées pour leurs congés annuels, donc ne commandent pas. Ça reviendra après le 15 août, et plus encore lors de la parution de notre première nouveauté de la rentrée, Au canal. D'ici-là, être patient. Et, pour des raisons indépendantes de ma volonté, relire un texte sur une machine absolument inadaptée à ça, une vieille Kindle des premières générations non tactiles, et prendre des notes dessus. C'est plus long, laborieux, et il faudra tout reprendre et reporter ces annotations (non telles quelles mais les traduire pour qu'elles soient lisibles et intelligibles pour l'auteur concerné), demain. Ce faisant, j'ai l'impression d'invoquer les esprits avec une planche Ouija. Est-ce que ça marche ? Une averse soudaine et, comment dire, généreuse est tombée sur nous. Qui sait ce que j'ai pu déchainer sur la ville sans le savoir...

 

mercredi

Aujourd'hui, une vente. 30 ans dans une heure (un réassort de Fnac.com). En passant de 0 à 1, nous avons enregistré une progression, en l'espace de 24 heures, de... Mais c'est quelque chose que même les mathématiques modernes ne peuvent pas résoudre ! Ça vous donne une idée de nos progrès. La matinée sur l'extrait de manuscrit que Lou m'a envoyé l'autre jour. Une cinquantaine de commentaires pour 35 pages environ et un mail de trois kilomètres. Aimerais-je, à sa place, recevoir un retour d'une cinquantaine de commentaires et un mail de trois kilomètres ? J'ai envie de dire, ça dépend des jours. Là, je m'en veux un peu de m'en remettre à l'écrit pour lui transmettre tout ça. Pourquoi ? Parce que par email interposé, on peut très facilement ne pas se comprendre. Ou se mésinterpréter. Est-ce un mot ? C'est un mot. On serait face à face à la terrasse d'un café, ce serait complètement différent. Et, bien sûr, nous ne nous en remettrions pas uniquement au langage, mais aussi à des expressions, des gestes, des regards (une autre forme de langage, somme toute). Là, c'est plus froid, et de fait nous échangerons pendant un moment de l'après-midi pour essayer d'atteindre un point de convergence. Je sais qu'elle est alors dans un train pour Bagni di Lucca. Où est-ce, Bagni di Lucca ? Je regarde sur la carte. C'est à 1043km d'ici. Il me faudrait, dixit cette application de cartographie en ligne d'une célèbre entreprise mondiale dont la devise est de n'être pas le mal (quel programme !), 219 heures à pied pour la rejoindre. Comprendre, plus de 9 jours. Ces 9 jours doivent-ils s'entendre de façon absolue (marcher sans relâche jour et nuit) ou avec un temps de repos nécessaire à la sauvegarde de la machinerie humaine ? Ça, l'application en ligne ne le dit pas. Mais, d'ici-là, à Bagni du Lucca, Lou n'y sera plus : son voyage se poursuit. Est-ce une métaphore de quelque chose ? De quoi ? Là, nos messages vont d'un point dans l'espace et le temps à un autre, par le jeu des satellites et de la fibre optique. On finira par se comprendre. Mais ça ne va jamais de soi de se comprendre : il suffit de voir ce que technologiquement parlant ça déplace et ça convoque. Surtout quand l'objet même de nos échanges concerne une matière aussi sensible (d'autant plus qu'elle vient à peine d'être écrite) qu'un texte de littérature. Est-ce que j'en dis trop ? Ou au contraire pas assez ? Ce que je sais, c'est que tout roule. Je l'ai même écrit.

jeudi

Après avoir fomenté avec Roxane par chat interposé des plans de délinquance en col blanc (fictifs, rassurons-nous), je prends connaissance des réponses d'Emanuela à la dernière version des poèmes de Fabrizia Ramondino. L'une des modifications du texte avait retenu mon attention, et je ne comprenais pas comment on était passé de A à B. La précédente version de ce vers était comme une voûte entre moi et mes désirs. Là, je lis : comme avant entre moi et mes désirs. Ne lisant pas l'italien, j'avais demandé à Emanuela de me situer tout ça. Si je reproduis ici sa réponse c'est que, comme je l'écris en commentaire à la suite, je trouve que c'est une belle histoire (les italiques sont de moi) :

Je vous raconte une drôle d’hisoire. FR a découvert un jour qu’en dessous de sa maison dans le centre historique de Naples, il y avait un vide, une voûte, qui reliait son bâtiment à un espace ancien, profond et grand, relié à son tour à un puits, donc à la mer. Cet espace devint un lieu de théâtre, au moment où FR quittait la maison. Cette image m’a beaucoup frappée et quand j’ai lu ce poème j’ai visualisé cet espace. J’ai compris volta comme voûte – cf. les versions précédentes - alors que volta c’est aussi, et plus banalement fois. Donc oui, c’est dans le sens de autrefois.

À un moment donné, une étudiante en métiers du livre nous invite à répondre à une enquête sur nos façons de travailler. C'est envoyé à divers éditeurs indépendants. Je veux dire : son étude porte sur l'édition indépendante. Les questions sont d'ordre général, notamment dans l'optique de la collaboration avec d'autres personnes ou prestataires (production, fabrication, distribution). À un moment donné, de bute en blanc : comment gardez-vous vos auteurs ? Je ne sais déjà plus ce que j'ai répondu (quelque chose de consensuel). Mais, du coup, derrière, ça cogite. Garde-t-on les auteurs avec qui l'on travaille ? Dans nos contrats, contrairement à je pense la majorité de la profession, on ne prévoit pas de droits de préférence : cette clause qui indique qu'un auteur doit à son éditeur X prochains livres qu'il ou elle n'a pas encore écrit. C'est comme ça que l'éditeur peut se projeter : il est tellement improbable qu'un livre marche (surtout quand c'est un premier texte) qu'on parie sur le fait que le prochain, ou le suivant, ou celui encore après, lui, marchera. On s'assure donc que ces livres-là ne seront pas voués à finir à la concurrence (et en gros avoir fait le boulot de porter un auteur à ses débuts pour rien). Ce qui ne veut pas dire pour autant, pour l'auteur, qu'il ou elle est arrivé où que ce soit : l'éditeur se réserve bien sûr le droit de refuser les textes qu'on lui enverra si ceux-ci ne le satisfont pas. C'est une façon, j'imagine, de garder un auteur. Où je veux en venir avec cette histoire ? Nulle part. Juste qu'une partie de la profession le pratique et que nous pas. D'ailleurs, ça ne nous dérange pas outre mesure de faire des one shot : de travailler avec quelqu'un sur un livre et c'est tout. Peut-être parce que tous les auteurs (et, au-delà, tous les livres) sont différents. Certains ont besoin qu'on les garde avec nous. D'autres publient aussi chez d'autres éditeurs. D'autres encore, c'est précisément le contraire : ce sont eux (ou elles) qui nous gardent. Par exemple pour construire des projets singuliers, comme Le Journal du brise-lames de Juliette Mézenc que Roxane a commencé de mettre en page aujourd'hui et qui commence à se déployer...

vendredi

Manuscrit en cours de lecture sur une proto-liseuse des temps jadis.

Ces derniers jours, reprise des manuscrits en cours, ou laissés de côté. Certains relus, d'autres lus pour la première fois. C'est probablement la période de l'année qui me fait dire au secours, on n'aura plus rien à publier passée telle date ! C'est évidemment faux. Mais il est évident aussi qu'on ne résonne pas de la même façon quand on publie cinq livres par an que quand on en publie, comme nous, vingt ou vingt-cinq. Fatalement, quand on lit des textes qu'on nous propose, tout est toujours trop ceci ou pas assez cela. Avant-hier, je trouvais tel manuscrit trop court. Hier, tel autre trop long. Et puis après ce sera trop obscur, trop inégal (voilà quelque chose qui revient très souvent), une personnalité pas assez marquée, trop bleu, trop rouge. Ce ne sont pas des prétextes. Je veux dire, ce sont des choses bien réelles que j'ai ressenti à la lecture, et ressenties aussi parfois par d'autres lorsque nous confrontons nos regards sur les textes. Ils nous aident, notamment, à motiver nos refus (puisque là, je parle surtout de textes qu'on choisira de ne pas retenir pour publication, comme le veut la formule). Mais, en définitive ce n'est pas ça le problème central. Le problème central, c'est que dans ces cas-là, ceux auxquels je pense et dont j'essaye de rendre compte un peu maladroitement ici, les textes ne sont pas assez bons. Tel manuscrit trop court, s'il était suffisamment bon, on trouverait toujours le moyen de le publier quand même. Même chose pour celui qui sera trop obscur, trop inégal, etc. Par exemple, on lit souvent que les éditeurs ne publient pas de recueil de nouvelles. La plupart du temps, c'est vrai. Jusqu'à ce que vienne un recueil de nouvelles tellement bon qu'ils ont envie de le publier. Par exemple, je me souviens de la présentation d'un livre à sa sortie par les Éditions de l'Ogre : on avait décidé de ne pas publier de nouvelles. C'était un recueil de nouvelles. Mais c'était Ravive, de Romain Verger. Et comment veux-tu, même quand tu as décidé de ne pas publier de nouvelles, ne pas publier Ravive ? Pour celles et ceux qui ne l'auraient pas lu, c'est un livre remarquable. Et je crois avoir ressenti exactement la même chose en travaillant sur les Nouvelles de la ferraille et du vent d'Hédi Cherchour. Un livre hors norme. Voilà ce qu'on recherche. Ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas détailler à l'auteur du manuscrit refusé ce qui nous a déplu (de même ce qui nous a plu par ailleurs). Ce sera toujours utile pour lui ou elle. Mais, en définitive, peut-on dire à quelqu'un que l'on refuse son texte car il n'est pas assez bon ? Je veux dire, bien sûr que c'est implicitement ce qu'on dit dans ces courriels. Mais frontalement, comme ça ? Là encore, est-ce que j'aimerais qu'on me le dise ? Là, nous avons un manuscrit comme ça. Trop court. Hors norme. N'est-ce pas à nous de faire l'effort, non pas de le faire enfler (est-ce un service à lui rendre ?) mais de lui créer un objet qui lui corresponde au mieux ? On hésite depuis des semaines. Des mois même ! On a demandé d'autres textes. Mais c'est lui le plus juste. Que faire alors ? Se poser la question, c'est déjà commencer d'y répondre.