Cela commencerait (ou presque) ainsi :
tous les jours
le monde est sale dangereux laidaujourd’hui
le monde est encore plus laid, encore plus sale
tellement sale tellement laid
et, demain, le monde est encore plus sale
encore plusc’est terrible
c’est terrifiant
c’est horrible
on ne peut pas y échapper
on ne doit pas y échapper
il ne faut pas l’oublier
on n’a pas le droit
on n’a pas le droit
le monde est méchant méchant
le monde est laid
on n’a pas le droit de l’oublier
jamais
C’est probablement dit très vite, les occurrences reviennent par série, un changement impalpable, mais chaque thème vient à son tour émerger sans casser le flux rythmique :
ce qui arrive c’est terrifiant
partout, tout autour
c’est comme ça
c’est ce qui arrive
c’est terrible
on n’a pas le choix
il faut changer d’homme, de femme, de chien
de vêtements, de lunettes
bien sûr
on n’a aucun choix
on ne peut rien y faire
rien y faire
non, rien
évidemment, il n’y a rien à faire
rienon ne peut pas y échapper
on ne peut pas
c’est comme ça
comme ça
il faut bouger, bouger
on n’y échappe pas
il n’y a rien à faire
rien d’autre
rien du tout
we are under attackemergency response
move
move
bouge
C’est la qualité concrète qui détermine la prise du texte sur le monde. Dans cette énergie, ce qui en lui nous parasite s’éloigne un instant à distance, presque par l’incantation. Alors cette insolence est salutaire. On dirait presque : hygiénique. Dans la masse de ce qui pèse, comme dans le fameux je rame de Michaux, c’est de nommer qui peut se charger du pouvoir d’éloigner.
C’est la force de ces formes brèves qui sont déjà les pages les plus visitées de ce site : on peut essayer, se donner le plaisir de crier un bon coup, de boxer si on veut.
Mais c’est sans doute plus au fond aussi : ils sont nombreux, les auteurs de la génération de Frédéric Dumond, à travailler dans ces formes où la performance orale, les lois scéniques conditionnent la forme. Qui requiert la profération, la prise de parole, mais lui permettent l’adresse, la renverse sur le monde. J’aurais un stage théâtre à mener, je leur donnerais ce texte et on irait le donner dans une galerie commerciale, un samedi après-midi.
Je souhaite que ce site, publie.net, témoigne de la santé de cette langue d’aujourd’hui, et qu’elle ne craint pas le vieux monde. Qu’elle s’en moque. Qu’elle en jongle.
Voici donc quarante pages de Frédéric Dumond, une seule variation, avec temps fort. Et que ça fait du bien à l’ensemble des autres textes, ça nous détermine un terrain.
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