Le nom de Joseph Méry (1797 - 1866), célèbre en son temps, est un peu tombé dans l’oubli. On le croise parfois au détour d’études littéraires et quelques éditeurs reprennent parfois ses textes. Si son domaine de prédilection n’est pas la science fiction, — sa polygraphie féconde le rendant inclassable — il a produit quelques textes relevant du genre comme Histoire de ce qui n’est pas arrivé, l’une des premières uchronies de l’histoire ou Les Ruines de Paris plusieurs fois repris dans des anthologies. « Ce qu’on verra », publié tout d’abord sous le titre « Nouvelles de l’avenir » (malgré le pluriel une seule semble être parue) emmène le lecteur en 3845, soit un bond de mille ans dans l’avenir.
Joseph Méry utilise l’anticipation avec une visée satirique et humoristique. Comme Pierre Véron et d’autres, Joseph Méry imagine un centre du monde qui a basculé hors d’Europe, dans lequel les transports et les communications se sont grandement améliorés. L’Afrique et l’Asie ont connu une progression les faisant égales de l’Europe et des États-Unis.
Le vocabulaire a connu des simplifications amusantes : par exemple « kil » remplace « kilomètre » car la « vie est trop courte pour nous servir de mots longs » cependant comment le distinguer du « kil » pour « kilogramme » ?
Dans ce monde mondialisé, parmi les artistes à succès, qu’ils soient compositeurs, dramaturges ou peintres, se côtoient Européens, Chinois, Indiens ou Africains. La mode mêle crêpe de Chine et braie gauloise. Parisien on tombe amoureux d’une belle de Valparaiso lors d’une étape à Lima. Le Havre est le faubourg de l’Amérique. De grandes villes comme Lupata en Afrique, véritable paradis urbain, Tombouctou ou Alger rayonnent sur tout le continent. D’antiques vestiges de la civilisation européenne ornent Paris tout comme des statues de Brahma et on y glorifie les noms des Français autant que ceux des étrangers en raison des mérites pour l’humanité et non en fonction de la nationalité d’origine.
Les mœurs ont évolué, le célibat est condamné, le mariage obligatoire et la rivalité amoureuse lourdement sanctionnée. Ce monde est vertueux.
En 3845, l’homme a dompté la nature, transformé la forêt équatoriale en jardins, éradiqué les animaux sauvages pour laisser place à l’humanité. L’irrigation et les vertus de l’électricité assurent la fertilité des terres qui nourrissent une population mondiale très importante. Les espaces vierges sont des espaces de relégation pour les célibataires endurcis. L’humanité perce les montagnes et détourne les fleuves. Le lit de la Seine a été creusé pour créer Paris port de mer.
La musique tient une grande place dans la nouvelle de Joseph Méry. L’avenir a inventé l’opéra sans paroles, bien plus reposant pour l’ouïe et le théâtre sans réplique où seule la musique est parole. De nouveaux instruments sont apparus tel l’érophone « qui est la voix de l’amour ».
Les sciences et les techniques ont envahi tous les domaines y compris l’art. La musique est désormais à vapeur. Les chemins de fer électriques, véritables paquebots des terres dotés de tout le confort moderne, traversent tous les continents, emportant dans leurs voitures couchettes, restaurant, jardin, etc., des milliers de voyageurs.
Tout est placé sous le signe de l’immense, de l’incomparable, et de la démesure : un pont relie Alger à Marseille, le port de Marseille accueille trente mille navires électriques, les déserts humains n’existent plus.
L’aire urbaine de Paris s’est étendue jusqu’à Rouen et la Seine est une artère irriguant l’immense agglomération. Elle reste la cité de la culture, du passé glorieux et des plaisirs.
Dans « Ce qu’on verra » Joseph Méry s’amuse des hypothèses des archéologues du futur et se moque de l’orgueil de son époque, dans « Les Ruines de Paris », il systématise le procédé.
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