Artisans I Jacques Serena

"Les artisans me faisaient parfois croquer sur un plan. Quand j’étais vraiment à sec, à tout hasard, j’allais un peu voir de leur côté. Pas seulement pour les plans, autant le dire tout de suite, et de toute façon je savais à quoi m’en tenir, avec les artisans, et pour cause, j’en avais été plus ou moins un, à un période, et plutôt plus que moins, pendant une assez longue période, alors j’étais bien placé pour savoir comment ils pouvaient être rats, et parfois au contraire. C’est quoi le contraire de rat. Ils avaient de la mentalité, comme on disait, le réglo et le pas réglo, les sales coups appréciés en connaisseurs, et les sales coups que non, là non, dégage.
Mais déjà, rien que pour y aller. Pas moyen de marcher normalement en longeant les vieux rails. Aucun train ne venait plus jusque là depuis longtemps, ni aucun bus, ni aucune voiture. Il n’y avait qu’à pied, et encore. Il fallait souvent enjamber des enchevêtrements métalliques noircis, carcasses de deux roues, d’autres choses indistinctes, pas mal d’électroménager, rien d’autre à faire, si on voulait avancer, enjamber. En respirant le moins possible. En croyant entendre, de temps à autre, des bruits derrière soi, pas la peine de se retourner, peut-être un chat, ou le vent, ou rien. Après chaque pas, ce qu’on venait de dépasser semblait lointain."