Nous accédons à ce que nous sommes en nous faisant porteurs de l'Histoire – peu importe qu'on s'astreigne à l'assumer de façon vaste (la leçon des antiques, ou Salluste qui résonnerait ici), et peu importe qu'on y soit directement mêlé: nous sommes porteurs de tant de récits, et ce qui traversa avec violence tant de générations des nôtres. Les livres naissent de cette acceptation raisonnée de l'Histoire, pas question d'en faire détour: et l'histoire, telle que nous la recevons, est toute entière trouée de guerres, elles viennent aussi dans les récits, les poèmes, les peintures.
La guerre est à nos portes, il y a peu, du temps de Sarajevo, les avions de guerre partaient des bases françaises et y revenaient dans la journée, et à l'autre bout du monde des soldats exercent la guerre en notre nom.
Et la guerre partout est puante, et nous concerne quand bien même on n'y a pas les mains prises. Il n'est que d'ouvrir le journal.
Et ce travail, la détestation de la guerre, la haine de la guerre, ne serait pas à constamment réentreprendre? Et ce travail de détestation de la guerre, de haine de la guerre, n'imposerait pas qu'on la nomme?
Souvenir de ces vers d'Agrippa d'Aubigné, qui non seulement résonne ici, mais vient en traverser la prise, quand il est question des massacres de guerre civile dans ce qui maintenant semble notre province endormie, perpétuellement refaite avec ses rocades et ses enseignes normalisées: Niort, Poitiers, Angers ou Tours dans Les Tragiques, les morts jetés au fleuve.
C'est ce travail qu'a mené – pour lui – Raymond Bozier: il ne s'agit pas de bruit, remuement, horreur, loin de nous et dont nous serions préservés. Les images télévisées, les clichés des magazines, nous le rappelleraient bien vite. Mais lorsqu'on en fait écriture, on quitte cette nécessité personnelle du travail pour en établir l'instance collective – le texte lui-même alors devient collectivement nécessaire.
Dans le travail que nous menons à publie.net, il y a des envies et des obligations: un texte comme celui-ci établit la cartographie collective de ce qui nous concerne ensemble. si la violence et l'âpreté d'écriture de Bozier y sont reconnaissables, et donnent à cet abécédaire de notre misère sa voix et sa force, sa chair, il y a dans la poésie – peut-être même cela fait partie de ce qui la rend en tant que telle reconnaissable – une instance d'écriture anonyme, littéralement collective. D'où notre responsabilité à le prendre en charge, le diffuser.
Nous ne sommes pas débarrassés de la puanteur de la guerre.
A propos d'Abattoir 26, lire Chronic'Art. Merci à Hubert Saint-Ève pour la toile reproduite en ouverture (voir son site).
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