Ce livre paraîtra en papier le 8 février. Vous pouvez d'ores et déjà le précommander.
Y a-t-il, en littérature, un voyage en Suisse comme il y a le voyage en Italie ? Y a-t-il même (les amis de Suisse romande vont crier que non !) une spécificité suisse du paysage, du temps, voire de la littérature ?
Et si la réponse n’était pas si simple ? Y aurait-il La Montagne magique de Thomas Mann sans Davos, qui pourtant n’aide pas, aujourd’hui, à approcher la magie spéciale de cet immense roman, la façon dont un microcosme vient régler la totalité des relations humaines et faire bifurquer leur devenir ?
Rapprochement, parce que c’est ce que j’ai éprouvé en découvrant le manuscrit de Jean-Pierre Suaudeau.
Le narrateur arrive en Suisse, au bord du lac Léman, pour y séjourner. On n’en saura absolument pas plus sur lui-même. Sa passion à écrire, son enquête sur Rousseau, ne sont pas un prétexte suffisant pour l’ampleur du récit.
L’eau sans doute est importante. Jean-Pierre Suaudeau est d’ouest, il habite la région nantaise, est instituteur dans un village des marais qu’a si bien décrit Julien Gracq dans La Presqu’île. C’est plutôt chez Claude Simon qu’il faut chercher son horizon de langue : l’ampleur parfois lyrique de la phrase, l’attention aux signes, aux objets, aux dispositifs de représentation, et la volonté aussi de ne jamais rien laisser s’installer de stable. La phrase se casse, le récit s’ouvre, sa teneur poétique est scrutée dans l’intérieur des mots.
Mais c’est bien avec ces seuls outils, l’eau ouverte et le vent d’ouest, que Jean-Pierre Suaudeau aborde sa matière Lac. De couleur, de clôture, de clapot, d’odeur : qu’y a-t-il, dans notre imaginaire, dans nos rêves, qui sépare celui qui vit près d’un fleuve de celui qui vit près du lac ?
Alors, bien sûr, on quitte toute spécificité de territoire : il y a un hôtel, le lac, la ville, quelques personnages, des livres, où Paul Celan viendra à la fin percuter et remplacer Rousseau, il y a – parce que c’est la Suisse et qu’on y a tous des souvenirs artistiques de cet ordre –, de l’art contemporain (Rauschenberg) et des expositions (Giacometti), et le travail de la littérature s’exerce sur l’intérieur de qui s’y livre – résurgence de la mort, des proches qui sont morts, résurgence de l’origine de la langue, résurgence du temps et qui s’en travaille, nous travaille.
C’est à ce voyage, où la langue est à chaque page le lieu et le vecteur de l’expérience, que nous invite Jean-Pierre Suaudeau.
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