Carnet de bord 2021, semaine 3 24 janvier 2021 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : Camille Ruiz, Christine Jeanney, Daniel Bourrion, Laurent Grisel, Louise Ackermann, Maurice Maeterlinck, sébastien ménard
publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
Faire du surplace : par exemple vendre autant qu'on nous retourne, comme c'est le cas aujourd'hui. Ou encore : après avoir terminé de travailler sur les termites, envisager de recommencer depuis le début la même affaire sur les fourmis. Ou constater que malgré l'écoulement du temps, le temps reste le même : bientôt le salon de L'autre livre en mars, et alors se dire la même chose que nous nous étions dite cet automne. D'abord, mine de rien ça va venir vite. Puis mais va-t-il avoir lieu, ce salon ? Avant l'implacable bien sûr qu'il sera annulé ? On est maintenant rôdé à ces mécanismes. On fait comme si tout s'apprêtait à être normal, bien que tout indique que ce ne sera pas le cas. Et puis, c'est quoi être normal ? En attendant, les salons on en rêve la nuit. Salon de province dont on se dit qu'il n'aura pas lieu alors que si, pour lequel on oublie les stocks, dont le placement nous a isolés loin des lieux de passage (mais à côté des bonbons et des barbapapas, on ne peut pas tout avoir), et où on se rend compte, paniqué, qu'un livre pour lequel une rencontre est prévue sur la scène centrale on a tout simplement oublié de le faire paraître. À force de considérer normal que rien n'ait jamais lieu et que ce qu'on prévoit au cas où est toujours ajourné, ne va-t-on pas finir par se trouver le bec dans l'eau quand il se passera effectivement quelque chose ?
mardi
Vu passer ce post sur Twitter l'autre jour : une libraire qui évoquait son dernier rendez-vous professionnel avec un(e) ponte commercial de son diffuseur. En substance : vous ne faites pas assez de chiffre, vous serez punie avec une remise moindre.
Je viens de vivre un moment étonnant de #maviedelibraire
Imaginez un peu. Un Directeur des Ventes d’une grosse boîte de diffusion/distribution (commençant par Inter’) vient de me faire passer un « entretien annuel ». Vous lisez bien, chez Bolloré les clients sont évalués et...— Place Ronde (@PlaceRonde) January 15, 2021
Les clients ne sont pas considérés comme des clients dans le grand marché mainstream mais comme des prestataires uberisés dont il convient de dégrader la note quand ils ne sont pas conformes à nos attentes (comprendre, nos projections). N'est-ce pas déjà comme ça que les États sont évalués eux-mêmes aux yeux des organismes internationaux et des banques ? Notons qu'à aucun moment des échanges tels qu'ils sont retranscrits ici il n'est question de la qualité des livres (je n'ose même pas parler de la qualité des textes). C'est secondaire. C'est hors du champ du commerce des livres. Probablement que l'année qui vient de s'écouler et que les circonstances que l'on sait y sont pour beaucoup. On en parle avec Julie ce matin, c'est notre point hebdomadaire. À force de vouloir faire prendre conscience au grand public qu'il fallait sauver les libraires et boycotter Amazon, le grand public a sauvé les libraires et boycotté Amazon... en changeant les libraires en employés d'Amazon, c'est-à-dire en leur faisant passer leurs journées à gérer des commandes à distance. Faire de la manutention, réceptionner des cartons, les ouvrir, les fermer, les expédier, gérer des lignes de commandes Excel, etc. Tout ce qui fait le propre de la librairie de proximité a finalement eu tendance à s'éroder : peu ou plus de conseils (quand ils viennent en magasin, du fait des consignes sanitaires, les clients ne s'éternisent pas, ils entrent, savent ce qu'ils veulent, prennent leurs livres, payent, s'en vont), plus de rencontre ou d'animation avec des auteurs ni d'évènements festifs, créneaux horaires resserés du fait des couvre-feux, etc. La conséquence directe (et critique pour les éditeurs indépendants) de tout ce marasme, c'est qu'il y a de moins en moins de pluralité dans les achats, et donc dans les lectures. Il n'y a plus que le grand public. On ne conseille pas le grand public, le grand public suit servilement les recommandations de la presse et d'ailleurs, qui est toujours là pour amorcer la pompe. Yoga est sur toutes les bouches ? On achète donc Yoga. Du jour au lendemain, c'est terminé : Yoga est évincé de la dernière liste du Goncourt, il va disparaître des classements d'une semaine à l'autre, littéralement. Ensuite, c'est le Goncourt. L'anomalie approche le million d'exemplaires (plus de 800 000 milles écoulés à ce stade), et ce n'est pas fini : on dit qu'en moyenne, ces dernières années, un Goncourt se vend à environ 367 000 exemplaires (c'est précis). À présent, c'est La Familia grande, car nous sommes dans ce moment médiatique. Etc. Aucun de ces phénomènes n'est nouveau. Mais c'est encore pire que les années précédentes. Comme dans beaucoup d'autres sphères (économiques, politiques, sociales), la pandémie n'a fait que confirmer, accélérer et hypertrophier un mouvement général vers le pire qui était déjà en marche. Jusqu'à quand ?
mercredi
Après Louise Ackermann : Marguerite Audoux. Première lecture du travail effectué par Christine ces dernières semaines, en plongée dans le temps. La vie littéraire n'a semble-t-il pas beaucoup changé en un peu moins d'un siècle, comme on peut le constater ici :
« […] Le titre de mon bouquin de chez Flam.[Flammarion] sera La Fiancée ; on corrige les épreuves en ce moment. La publication aura lieu, sans doute, en mars ou avril. Le gain ne sera pas énorme sûrement. La librairie va mal, dit-on. Ainsi que vous-même, je ne m’occupe guère de littérature et surtout des littérateurs, ils sont trop. Savez-vous que maintenant, sur les marchés parisiens, on vend des livres dans les petites voitures, exactement comme les prunes ou les poires. Au Bon Marché, maison Boucicaut, on trouve des rayons où les livres en tas sont vendus comme de vulgaires coupons d’étoffes. [...] » Lettre de Marguerite Audoux à Antoine Lelièvre, 1932.
Chez nous (2021), une entreprise propose des distributeurs de livres pour les gares ou les stations de métro, sur le même modèle que la junkfood (qu'en est-il du contenu ? on sait simplement que ces bornes automatiques permettront de rendre les livres après achat, moyennant remboursement partiel du client). Entre autres innovations, la lecture numérique s'enrichirait prochainement d'un dispositif permettant de tourner les pages avec les yeux, lequel fonctionnerait via la caméra incluse dans la tablette, ou dans le téléphone (fonctionnalité impropre aux liseuses, donc), le but de la manœuvre étant que le livre continue sa lecture et tourne la page au moment exact où les yeux du lecteur s'y pose pour... quoi d'ailleurs ? Ne pas faire physiquement le geste ? Ne pas briser l'immersion ? Sauf que ce type de fonctionnalités nécessite de tourner sur des applications types Kobo ou Kindle, et donc pendant que tu lis ton livre, le livre aussi te lit. Avons-nous envie de laisser le contrôle de nos webcams à Rakuten ou Amazon ? Que se passera-t-il lorsque nous aurons une poussière dans l'oeil, va-t-on ouvrir la table des matières par inadvertance ? Le futur est fort, quand même, pour nous poser artificiellement des questions qu'on n'aurait pas idée de se poser à la base... Mieux vaut donc revenir au présent : J'ai été Robert Smith est désormais paru, la preuve, les précommandes arrivent chez des lecteurs heureux, comme ici chez Michaël Alamy (merci à lui pour la photo) :
jeudi
Nous revoilà dans le cambouis de Perdre Claire, avec les réponses de l'autrice à mes derniers commentaires. Je reprends donc le fil et fais des allers-retours dans le document qui, hébergé sur le cloud d'Adobe, nous envoyait malencontreusement des notifications mail sur une adresse commune à chaque réponse (note pour mon moi futur : penser à désactiver les notifications la prochaine fois).
Sur Twitter, on nous demande quelques conseils avant l'envoi d'un manuscrit. J'ai déjà disséminé ici et là dans ce carnet de bord de recommandations ou au contraire des choses à éviter au gré des situations, mais j'ai oublié un point sensible : ne pas concevoir de fausses couvertures pour son manuscrit, à moins d'être graphiste soi-même ou de collaborer avec un.e. Autrement, dans 99% des cas, ça ne projette sur le texte qu'un a priori négatif avant même qu'on ait commencé à le lire (c'est une façon alambiquée de dire que bien souvent c'est raté). De fait, les graphistes avancent aussi de leur côté : Roxane planche sur la couverture et les visuels figurant dans le disque de Climats.
vendredi
Si je me retrouve à patauger dans les organes internes de la petite Dymo qui sert à imprimer les timbres de nos expéditions, c'est sans doute une métaphore. Cela vient nous rappeler que nous passons un temps certain dans nos actions à faire grosso modo de la mécanique avec nos bouquins, et ce qu'il soit imprimés (paragraphes de Jusqu'à très loin plus compacts et uniformes pour des formes pleines et régulières, côté Olivier), numérique (problème de l'epub de Quelque chose que je rends à la terre sur un modèle de liseuse qui se pose cette semaine et que Roxane tente de résoudre à distance, ne possédant pas elle-même le modèle en question) ou proposé sous forme de disque avec accompagnement musical comme ce sera le cas pour la version jazz de Climats, en collaboration avec Fred Wall°ich et Philippe Saliceti (enregistrement de l'OPO - autorisation de production de disque - par Philippe ce matin pour permettre le pressage du disque dans les prochaines semaines). En somme, la cuisine interne, c'est aussi de la machinerie. S'agissant de la Dymo, elle s'est tout bêtement retrouvée victime d'un bourrage papier des plus classiques, sauf qu'un bourrage papier avec des étiquettes autocollantes c'est d'autant plus un bourbier à résoudre que les étiquettes autocollantes, eh bien, collent. Tout le rouleau est complètement bloqué, il faut donc ouvrir la bête, défaire des vis et des parties plastiques pour ensuite avoir accès à la zone incriminée... pour bien sûr ne plus très bien savoir comment la remonter à l'identique. À un autre niveau encore de production d'un livre, le Marguerite Audoux conçu par Christine Jeanney mentionné l'autre jour, c'est encore une autre affaire d'écrous, de visserie et de rouages qui se joue : pour l'instant l'équilibre n'est pas exactement aussi efficace que pour Louise Ackermann ; sans doute car Marguerite Audoux et Louise Ackermann n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Ce qu'il nous manque, c'est un angle d'attaque comme me l'écrit Christine, qui parle aussi d'os à ronger. L'enquête pour Ackermann, comme point d'ancrage et pour Audoux la délégitimisation ? Autrement plus passionnant que mes histoires d'étiquettes et de Dymo.