Carnet de bord 2020, semaine 51 20 décembre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : Alphonse Allais, André Léo, archéosf, Emile Second, Laurent Grisel, Maurice Maeterlinck
publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
Non, je ne parlerai pas d'Amazon aujourd'hui (caramba, encore raté, donc). D'ailleurs je ne suis même pas présent. Je veux dire, si, je suis là. Mais je ne suis pas dans le présent (ni les). C'est donc que je suis dans le futur ou dans le passé. Les deux, en réalité : je suis dans les relectures d'épreuves de Demain, la Commune ! (or donc un pied dans le passé, un autre dans le futur, soit le futur-du-passé propre à l'archéo-SFo-futurologie) qui s'ouvre, bien entendu, par des escargots sympathiques (what else ?).
Mais je suis aussi dans la termitière de Maeterlinck (La vie des termites, coming soon en 2021), même si je n'en suis pour l'heure qu'à un point situé entre la grande folie génitale et la coprophagie, #teasing. Somme toute, prolétaires d'un côté, protozoaires de l'autre. Après quoi je tombe sur cette phrase, de Maeterlinck donc, que je ne peux me retenir de déposer ici, en passant, dans l'herbier de la vie éditoriale au long cours qu'est ce carnet :
Notre corps aussi est une association, un agglomérat, une colonie de soixante trillions de cellules, mais de cellules qui ne peuvent pas s'éloigner de leur nid, ou de leur noyau, et demeurent, jusqu'à la destruction de ce nid ou de ce noyau, sédentaires et captives.
Quant à la Commune, elle est semble-t-il partout dans notre interminable présent pandémique de restrictions et d'interdits sociaux, comme ici sous la plume de André Léo :
— Habitants de Malenpis, s'écria M. Legros d'un air sévère, que faites-vous ici ?
On se regarda étonné, et un homme de bien et d'esprit, mais qui avait la tête un peu vive, Léveillé, prit la parole :
— Parbleu ! dit-il, vous le voyez : nous sommes sur la place, à causer de nos affaires entre nous, et c'est notre droit, à ce qu'il me semble.
— Je veux bien excuser pour cette fois, reprit le gouverneur, votre ignorance des lois du royaume ; sachez désormais qu'il est défendu de se rassembler ainsi. Il vous est permis de vous voir les uns chez les autres, entre voisins et amis, pourvu que ce ne soit pas en trop grand nombre ; mais vous ne pouvez, sous aucun prétexte, vous rassembler entre citoyens sans la permission du roi.
mardi
Un·e auteur·e m'écrit sa déception devant la faible présence de son livre en librairie, déception que l'on ne peut tous que partager. Comment lui dire que cela fait des mois maintenant que je me dis dans quelques mois peut-être les conditions de vie en librairie seront meilleures ou que ma principale préoccupation pour décembre c'est de finir le mois avec un nombre de ventes en librairie supérieure au nombre de retours (nous n'y sommes pas, -17% sur la période allant du 1er au 14 si j'en crois le relevé du matin ; comprendre non pas que notre chiffre est inférieur de 17% à l'an dernier mais bien que nous avons ce mois-ci 17% de retours en plus par rapport à nos ventes ; rassurons-nous, nous finirons la semaine dans le + et non dans le -) ? J'imagine que c'est ce que je fais ici, quelque part. Et je tombe un peu plus tard, dans un autre texte de Demain, la Commune ! sur cette phrase indiquant qu'un personnage possède, dans son cabinet de curiosité, une photographie d'un éditeur enrichi sans avoir fait banqueroute. C'est sans doute une mauvaise blague que me font ces épreuves, mieux vaut s'en remettre à la fiction de l'anticipation qui prévaut dans l'un des textes suivants, en l'occurrence sous la plume d'Emile Second. Voilà ce qu'il nous faut après tout : nous plonger dans une réalité tellement autre (une uchronie des lendemains de la Commune) qu'elle ne pourra que nous dépayser.
Le peuple était animé, et son irritation se traduisait parfois par des manifestations hostiles que le roi faisait réprimer violemment.
[Louis-Philippe II] avait d'abord hésité à employer la force, mais cette demi-liberté qu'il laissait encourageait à recommencer. Un jour que des rassemblements un peu compacts s'étaient formés sur le boulevard, des agents de police les firent dissiper brutalement ; une rixe eut lieu près du théâtre du Gymnase, et un ouvrier eut le crâne fracassé d'un coup de casse-tête (15 janvier 1875).Ce meurtre eut un effet déplorable, car la rumeur grossit, comme toujours l'évènement. La France crut qu'on allait revenir aux jours de terreur et de réaction, et le meurtre de cet ouvrier causa plus de colère que de frayeur.
Le roi désolé voulait punir sévèrement l'agent, mais c'eut été donner raison à l'émeute ; les ministres l'en dissuadèrent : roi, il ne pouvait être juste.
Je... Bon, retournons aux termites pour tâcher de trouver une autre forme de sagesse politique.
Quand, pour une raison que nous ne pénétrons pas, le gouvernement occulte de la termitière estime que le nombre de nymphes dépasse le nécessaire, on parque dans des chambres spéciales celles qui sont de trop, après leur avoir coupé les pattes, afin qu'à se mouvoir sans utilité, elles ne perdent pas leur embonpoint, puis on les mange au fur et à mesure des besoins de la communauté.
Je...
mercredi
Un spam (il faut faire attention avec les spams, on sait comment ça s'est fini la dernière fois...) nous propose de gérer à notre place l'envoi de notre newsletter pour 19,90€. À ce prix-là, est-ce qu'ils en écrivent aussi l'édito à ma place ? Ou doit-on externaliser ça et déléguer ce message à une intelligence artificielle ? Que de perspectives pour les prochaines lettres à venir en 2021 ! Mais aucun spam ne m'explique ce que j'ai besoin de savoir pour comprendre des aspects plus techniques de La vie des Termites. Je pars donc en quête d'information. Me voilà servi :
Le groupe des protozoaires est paraphylétique, il ne constitue donc plus un taxon valide dans les classifications cladistes, mais reste un règne reconnu dans les classifications évolutionnistes. Les lignées de bicontes ayant perdu la photosynthèse sont exclues de ce groupe (leur inclusion rendrait le groupe polyphylétique) et sont plutôt incluses dans les chromistes.
jeudi
Point termites (je suis présentement entre les pondeuses néotéiniques et les écornifleurs) : je m'interroge sur les raisons qui poussent le processus d'OCR a régulièrement ôter du texte les à. Est-ce tout simplement qu'il s'agit d'une lettre isolée, donc plus facilement manquable lors du scan ? Ou bien s'agit-il d'un ciblage algorithmique de l'application qui considère qu'une lettre seule a X% de chance de plus que les autres de n'être qu'une altération de la page ou de l'image (saleté, maculage, que sais-je) et qu'en tant que telle il y a intérêt à l'éliminer ? Et comment interpréter la volonté propre de l'application qui en vient à décider d'elle-même de mettre un mot (et lequel ? y a-t-il un sens caché ? veut-on me faire passer un message ?) en majuscules sans raison ? Il faut donc se méfier de la machine. Moi, je me méfie surtout de mon propre enthousiasme, par exemple à l'égard d'un texte qui m'a plu. Je préfère qu'un texte me marque plutôt qu'il me plaise. Plaire, ça peut s'évanouir dans le temps. Marquer, c'est plus durable. Là, j'écris à quelqu'un que son texte nous a marqués et qu'il nous faut le publier. Avant d'en arriver à un tel état de conscience, il a donc fallu que je me méfie. Que je laisse reposer. Que j'y réfléchisse et que j'oublie d'y réfléchir. Jusqu'à ce qu'un matin ce soit devenu une évidence. Suite à quoi je peux enfin prendre en main la maquette du nouveau Climats concoctée par Roxane en format va-t-en-paola-camembert (ou en format brises-lames-village-oloé, c'est selon), plus compact, et permettant une lecture plus tendue, vers ce point mêlant les dystopies et l'utopie que prend, ici, la forme de l'épopée.
nous industrialisons les rêves
nous industrialisons la forêt
et la reconnaissance des visages
vendredi
C'est l'heure du rapport du mois de novembre. L'un de mes tableaux est faux depuis des mois, je m'en suis rendu compte ces derniers jours en tâchant de pister (et comparer) les retours amazoniens : contrairement aux relevés quotidiens, quand on veut les afficher par enseigne dans le back office d'Hachette sur une plus longue période de temps, ils ne s'affichent qu'en soustraction des commandes. Donc si X librairie a commandé sur une période donnée 20 exemplaires et a fait 10 retours, on obtiendra un total de +10 (et on ne voit pas qu'il y a eu retour). Si c'est le contraire (20 retours pour 10 commandes), on aura logiquement -10 mais toujours pas le bon nombre de retours seuls. Cette histoire de retours est d'autant plus rageante que quand on ne regarde que les livres écoulés en librairie ce mois, on a en réalité fait mieux que novembre 2019 alors même que les librairies étaient fermées (en situation de cliquécollectage, certes). C'est ainsi et il faut faire avec ; on se dit bien naïvement sans doute que le passage à 2021 va remettre les compteurs à zéro pour repartir d'un pied neuf sur une année normale. C'est humain. Avant d'en arriver au crépuscule de 2020, et ce quelles qu'auront été les péripéties épidémiques à l'avoir traversée, il faut se dire qu'on ne s'en sort pas si mal. Nous par rapport à d'autres petits éditeurs plus en difficulté, sans doute. Le genre humain dans son ensemble compte tenu des circonstances. Je veux dire, ça aurait pu être pire. On aurait pu naître termites.
Leur civilisation, loin de s'épanouir au grand jour, se rétrécit sous terre à mesure qu'elle se perfectionne. Ils avaient des ailes, ils n'en ont plus. Ils avaient des yeux, ils y ont renoncé. Ils avaient un sexe, et les plus arriérés l'ont encore (les Calotermes, par exemple) ; ils l'ont sacrifié.
Joyeuses fêtes à toutes-tous, le carnet de bord reviendra en tout début d'année prochaine pour d'autres aventures avec ou sans retour et truffées de combien d'autres insectes en tout point fascinants (vivement).