Carnet de bord 2020, semaine 50 13 décembre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : Jcaques Ancet, Laurent Grisel, Louise Ackermann, Xavier de La Porte, Zrinka Stahuljak
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lundi
Il aura suffi d'écrire dans le carnet de bord de la semaine dernière que la presse traditionnelle n'était pas réellement prescriptrice pour que tombent dans le week-end deux articles coup sur coup : une chronique dans Libé pour Dans le sillage de Louise Ackermann et un article dans La croix sur la maison d'édition comme alternative à Netflix (!).
La véritable question étant, si ces articles étaient parus quelques jours plus tôt aurais-je écrit ce que j'ai écrit vendredi ? Mine de rien, ce carnet de bord ne fait pas que répondre (à supposer qu'il réponde jamais) à des questions, il en pose aussi X autres. Par exemple : est-ce pertinent de communiquer (puisqu'il s'agit tout de même, voire malgré tout, voire avant tout de communication) sur des livres aussi longtemps à l'avance ? L'idée du carnet de bord était de pouvoir briser le hiatus qui se tisse dans l'enthousiasme d'un livre différé par rapport à sa publication, notre désir de livre étant toujours décalé dans le temps : lorsqu'il paraît, nous sommes déjà depuis longtemps ailleurs, tournés vers un autre. Mais en communiquant si longtemps (plusieurs mois) en amont, n'est-on pas à contre-temps ? Susciter le désir au moment où le livre n'est pas encore disponible, ou accessible, c'est un peu dommage. Idéalement peut-être, le carnet de bord devrait-il être écrit dans le présent, puis cryogénisé un moment et redistribué quand le timing est bon. Oui mais alors, on perd tout lien direct avec la maison d'édition dans son cambouis quotidien, et on perd l'urgence de publication. J'imagine qu'il n'y a pas de bonnes réponses ici. Encore d'autres questions.
mardi
On en parle un moment au téléphone avec Philippe, à plusieurs moments de la journée : comment se positionner en fiction, quel est l'équilibre (dans tous les sens du terme) à atteindre, comment s'adresser à des lecteurs qui sont en dehors de nos cercles sans pour autant se couper de notre lectorat propre (nos cercles, donc). Comme souvent dans les conversations, celle-ci a tendance à se prolonger au-delà de son temps effectif : c'est continuer à mener les débats dans sa tête bien après qu'on s'est retrouvé seul. De toute façon, en ce moment, vu la situation qui est la nôtre, et n'ayant pas vu un collègue ou un·e auteur·e comme on dit en présentiel depuis très exactement deux mois et une semaine, on n'a pas beaucoup d'autres choix que de se retrouver à parler tout seul (penser, donc ; écrire, presque). Mais enfin peu importe, à un certain moment de ces échanges j'en viens à repenser à un podcast du Code a changé (encore lui) écouté il y a quelques jours. Instagram en est le sujet de l'épisode et à un moment donné Xavier De la Porte en vient à dire ceci sur la question des communautés sur les réseaux sociaux en général :
Le succès passe par une forme de répétition : des variations dans un dispositif stable. C'est comme ça qu'on agrège autour de soi une communauté d'abonné·es. Ça vaut pour les photos sur Instagram, mais (et ça c'est plus inquiétant, ou gênant), ça vaut aussi pour Twitter (...). C'est vrai : sur Twitter, les gens qui gagnent des followers (je l'ai remarqué de manière un peu empirique), dont les propos vont être relayés, sont des gens qui, au fond, disent toujours un peu la même chose. Des gens qui, en tout cas, parlent des mêmes sujets. C'est assez logique. Mais surtout, ça incite à ne pas sortir de son cadre. Dès qu'on en sort, on intéresse moins. Notre voix porte moins. (...) Ça incite donc à toujours aborder les sujets sur lesquels notre voix porte, et de la façon dont on sait qu'on est attendu. Juste pour recevoir une forme d'assentiment de la communauté. Parfois j'ai l'impression que certains tweets ne sont écrit que pour ça. Et ça me chagrine. Ça me chagrine parce que, cette manière de conforter sa communauté, elle organise les discussions, elle les tend et elle finit par les rendre impossibles. Parce que nuancer, sortir de ce qu'attend la communauté, ça revient à la trahir. Donc on n'ose pas sortir de ce qui est attendu de nous, de peur de froisser la communauté. Et je pense profondément que ce qui a été fait, induit par le fonctionnement de la plateforme, nuit au débat public, et nuit donc, par incidence, à la pensée.
Quel rapport avec notre affaire ? Eh bien si on remplace communauté par lectorat, tweets par livres et l'utilisateur d'un réseau social par auteur voire éditeur, on arrive à quelque chose que l'on connaît bien, dans la littérature, qui est son enfermement dans sa forme la plus attendue. Raison pour laquelle nombre d'auteurs passent leur temps (et sont assez rayés pour ça par ailleurs) à écrire X fois le même livre ? Raison pour laquelle X éditeurs (on a tous je pense des exemples qui spontanément nous viennent en tête) se tiennent tellement à leur ligne éditoriale qu'ils en viennent au fil des années voire des décennies et à devenir des genres de parodies d'eux-mêmes ? Raison pour laquelle on fera bien comprendre à un auteur d'essais qu'il n'a pas trop intérêt à faire autre chose que ce qu'il sait faire pour par exemple écrire de la fiction (notons que ça marche aussi dans le sens roman > poésie, sauf quand on s'appelle Houellebecq). Raison pour laquelle on freinera aussi des quatre fers quand un auteur estampillé jeunesse veut se mettre au roman adulte. En somme, reste bien dans ton champ, là où l'on sait qui tu es, autrement tu vas nous perdre. C'est un peu ce que nous constatons, à notre petit niveau, quand nous tentons des pas de côté en dehors de notre cœur de cible (sic). Au lieu de conquérir de nouveaux lecteurs tout en gardant les nôtres, nous peinons à être compris de nos cercles et nous n'en gagnons pas nécessairement de nouveaux, étant peu et mal identifiés par eux. C'est ce qui arrive aussi lorsque Julie tente de placer des livres de collections autres que celles pour lesquels nous sommes fortement identifiés (Temps réel et L'esquif principalement, pour schématiser) : je pense par exemple aux Essais. Là, ce qui se produit est très simple : dans la plupart des librairies, son interlocteur n'est pas le même que d'habitude en Essais qu'en Littérature générale. Il faut donc tout refaire de zéro, apprendre à se connaître, comprendre qui on est et comment l'on fonctionne, quelle est, là encore, notre ligne. Est-ce un problème de sclérose liée aux collections elles-mêmes et le carcan de la classification des lettres ? Peut-être. Peut-être y a-t-il d'autres façons de catégoriser les livres pour faire advenir un monde plutôt que catégoriser quoi que ce soit. Voir par exemple le travail de Zrinka Stahuljak dans son Médiéval contemporain, Pour une littérature connectée (Macula) :
Voici les catégories de l'inventaire de la bibliothèque ducale fait par David Aubert à la mort du duc Philippe entre 1467 et 1469 : sans titre (175) ; "Bonnes meurs, ethiques et politiques" (193) ; "Chapelle" (56) ; "Meslée" (33) ; "Livres de gestes" (72) ; "Livres de ballades et d'amours" (103) ; "Chapelle" (7) ; "Librairie. Croniques de France" (110) ; "Oultremer, médecine et astrologie" (75) ; "Chapelle" (33) ; "Declaration des parties a mectre encore en l'inventoire" (18). Ces catégories ont été complètement écartées par l'anachronisme moderne de genres littéraires qui définissent l'histoire littéraire et les études de la littérature : le roman, la chronique, la poésie, l'épopée, etc. Mais nous défaire du genre littéraire moderne nous permet de nous glisser dans le genre médiéval, dans cette écriture du monde qu'ordonne la bibliothèque. Car, à l'époque des deux ducs, les livres étaient davantage un processus destiné à faire advenir un monde qu'un objet de savoir ou de prestige à collectionner.
mercredi
Roxane met en pages la réincarnation de Climats en semi-poche à venir au printemps. Philippe reconfigure notre matrice nous servant à fixer les prix de nos livres pour l'adapter aux nouveaux tarifs d'impression 2021 (hausse significative des coûts, nous le savons depuis cet été). J'ébauche un semblant de planning pour le second semestre 2021 entre deux séances de relecture du premier tome de L'amitié des voix à paraître en avril. Je peste qu'un ouvrage essentiel de réflexion poétique dans notre histoire littéraire (mentionné dans L'amitié des voix) soit proposé chez un grandéditeur en numérique à 45.99€ et j'en viens à me demander : ledit grandéditeur n'a-t-il pas touché des aides de l'Etat pour numériser son fond à cette période-là ? Mieux vaut peut-être n'en rien savoir. Lequel grandéditeur a également mal sous-traité l'epub d'un de ses derniers titres à succès de la dernière rentrée, m'a-t-on soufflé il y a quelques jours... Au moins, à 45.99€, on est sûr que le numérique ne se vendra pas, on pourra donc dire que le numérique ça ne marche pas. Ou alors on s'en fiche pas mal du numérique et au fond ce qui compte c'est de ne pas déprécier l'image de la marque. C'est l'idéologie du luxe appliqué au livre dématérialisé ; sauf que rien n'est luxueux dans le format epub. C'est un fichier pratique. C'est un bleu de travail. Ce n'est pas la haute couture de la programmation. C'est un outil pour parcourir le monde et non pour défiler sur des podiums en vase clot. C'est un poche à emporter partout.
jeudi
Et allez, c'est reparti. Environ deux fois plus de retours (les trois quarts d'Amazon) dans le relevé des ventes d'hier que de commandes (les trois quarts d'Amazon, qui prend aujourd'hui en réassort ce qu'il nous a retourné en masse hier). Rien ne sert de répéter ce qui a déjà été dit (et écrit) dans ce carnet ces dernières semaines. Avec Julie, lors de notre point tel hebdomadaire, on se demande si Amazon, passé le confinement du printemps, du fait de l'augmentation de ses commandes hors livres et la prise de conscience des consommateurs du livre à acheter en librairie indépendante, n'a pas tout simplement choisi de minorer ses espaces de stockage pour le livre afin de les réattribuer à d'autres produits de nécessité disons autre comme les grille-pains ou les aspirateurs (somme toute, faire dans l'ombre la même chose que la Fnac fait à visage découvert depuis des années). Cela pourrait expliquer ces retours. Mais pas totalement. Et quelles que soient les solutions que nous pourrons trouver pour endiguer cela (non les retours mais les commandes déraisonnables à l'origine, conduisant au fil du temps à générer des retours), il faut se dire que nous aurons encore des mois à éponger avant d'en arriver au stade où les retours se calmeront : il restera un bon paquet des commandes de 2020 à écumer d'abord. Pour se faire une idée, réalisons que, pendant que les commandes de cette enseigne sont en baisse (logique compte tenu du contexte) les retours ont littéralement doublé. En fait, depuis plusieurs mois, Amazon nous retourne plus qu'il nous commande.
Mieux vaut penser à autre chose. J'essaye de lire ce manuscrit qui m'avait paru intéressant hier, moins aujourd'hui. Est-ce car j'ai atteint une autre région du texte moins réussie ou bien que mon état d'esprit a changé ? Ce que je sens, c'est que si on lui ôtait 90% de son contenu, ce roman ferait une nouvelle juste. Peut-être que c'est trop dilué. C'est sans doute dur à entendre qu'un texte de 200 pages, il vaudrait mieux n'en garder que 20 ou 10. Mais enfin, c'est toujours mieux que de n'en rien garder du tout ? Un jour j'ai répondu à un auteur que son roman était trop long, qu'il fallait ne garder que le strict nécessaire. L'auteur l'a fait et m'a renvoyé le texte plus tendu, ça lui allait très bien. Sauf qu'entre-temps il était devenu trop court pour qu'on puisse le publier... L'ironie de la situation, c'est souvent un peu douloureux. Et ce n'est pas évident de répondre à la personne après coup : on se sent piteux. Parfois l'intérêt du texte est contraire à l'intérêt commercial du livre qu'il pourrait devenir. On le voit parfois durant des retransmissions de matchs (attention, métaphore footbalistique) : les commentateurs déplorant le mauvais choix d'un joueur ou un autre et disant le jeu n'était pas là. Comprendre qu'au lieu d'enfermer au centre, il aurait mieux valu écarter sur l'aile où le jeu se dégageait (ou le contraire). Voilà, parfois dans un texte, le jeu est ailleurs et l'auteur est le seul à ne pas l'avoir vu, car la littérature est un sport bien cruel par moments.
vendredi
Je suis toujours étonné de la différence de réponse que je peux avoir quand je contacte pour des fins promotionnelles des rédactions, ou des institutions, ou des maisons d'édition prestigieuses, ou des chaînes X ou Y, voire des agents d'artistes pour obtenir l'adresse postale d'X personnalités. Calmons-nous sur le choix du mot personnalités : on se doute bien j'espère lisant ces lignes que je n'envoie pas de SP à Justin Bieber. Mais tout de même. C'est le jour et la nuit. Les réponses varient. Ça va justement de pas de réponse (un classique) à l'adresse de la personne envoyée directement sans filtre ou alors le forward du mail à la personne, l'envoi du courriel de la personne pour que je la recontacte, voire la demande d'envoyer dans une enveloppe pré-affranchie le pli en question dans une autre enveloppe, elle aussi affranchie, pour qu'il puisse y avoir transfert de courrier par un tiers. La plupart du temps, soit ces envois ne servent à rien (comprendre : on ne voit pas directement les effets que ça peut entraîner, sous la forme par exemple d'une recension X ou Y) soit ils servent à quelque chose mais on ne le sait pas. Et parfois, pouf, ça donne quelque chose de visible. Il y là-dedans une part d'arbitraire, de hasard, de coïncidence. Il ne faut pas qu'on se désespère (de fait, nous voyons fleurir de plus en plus de recensions ici et là) sans pour autant arroser de partout. Encore une histoire d'équilibre.