Carnet de bord 2020, semaine 40 4 octobre 2020 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : anne savelli, bibliothèques, Chloé Delaume, christophe grossi, Dépôt légal, philippe aigrain
publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
Maelstrom des emails : mailstrom sans doute. Depuis que nos mails ont migré d'un serveur vers un autre il y a quelques jours (migration signalée par plus de 80 mails, justement, et savoir d'où ils sont venus / où ils sont allés en ces temps de migration ces mails, sachant que tout était en mouvement ?) il y a des merdouilles dans les imap, l'envoi des messages vers des dossiers préalablement réglés ne se fait plus (tempête de spam partout) et tous mes folders sont désarticulés, comprendre donc plus rangés dans le parfait ordre qui convenait aux mouvements de l'instinct : plus rien n'est à sa place. Passer donc de longues secondes à les chercher. Paperasse aussi. Pour intégrer une nouvelle bibliothèque aux abonnements bibliothèques (en soi une excellente nouvelle) il faut en passer par de drôles de trucs, notamment un paragraphe en plus ou moins petits caractères : En cas d'urgence, le pouvoir adjudicateur pourra contacter les personnes désignées ci-après qui devront être en mesure de répondre et de satisfaire à leur demande 24 heures sur 24. Glups. Derrière, une autre bibliothèque encore se manifeste (re-yeah), et pose plusieurs questions : tout laisser en plan pour y répondre.
mardi
Je ne sais pas où est passé le super tampon qui me sert à marquer les épreuves pour qu'on puisse les identifier comme telles (épreuves non corrigées, parution le tant). C'est comme avec les folders de ma boîte : il n'est plus là où j'avais l'intuition qu'il était. Je le cherche mollement. Je n'arrête pas de revenir à l'endroit où il devrait être plutôt que d'essayer le trouver là où il est effectivement. Le CNL a lancé une campagne d'aide exceptionnelle à la relance des maisons d'édition en ces temps de covidie débridée : chouette. Pour y être éligible, il faut, entre autres, réaliser un chiffre d'affaires de 500 000€ minimum : pas chouette. Pour nous du moins. À quoi servirait ce plan de soutien ? La subvention exceptionnelle à la relance des maisons d’édition a pour objet de soutenir financièrement les entreprises les plus fragilisées par les conséquences de la crise sanitaire du Covid-19 pour leur permettre d’honorer leurs charges (et notamment les droits d’auteur dus) et éviter autant que possible les licenciements ou les faillites. Faut-il en déduire qu'en dessous de 500 000€ de CA annuel, on part du principe que les maisons d'édition 1) n'ont pas d'équipe à rémunérer et 2) ne payent de droits d'auteurs à personne ? Voilà qui me rappelle un échange que nous avions eu dans un très beau bâtiment du ministère il y a quelques années où l'on s'était entendu dire que de toute façon, à moins de 500 exemplaires, ça ne vaut pas le coût de faire un livre. Comme s'il y avait une certaine frange de la production littéraire (je vous laisse le soin de deviner laquelle) qui, au fond, n'était pas censée être là. Peu importe : le devoir m'appelle. C'est l'heure du dépôt légal du livre numérique pour les livres de la rentrée, de l'upload des livres numériques sur les serveurs pour les bibliothèques, et de la génération des notices dernièrement parues, toujours pour les bibliothèques. Pardonnez-moi l'expression mais il y a une e-couille dans le potage : je me sers d'un logiciel libre, PMB, pour convertir des notices onix en unimarc, et depuis que j'ai réinstallé PMB sur un environnement stable (et non plus de test) il y a quelques mois, de fausses notices ressortent dans la machine : ce sont les notices témoin de l'application (l'équivalent de ces faux livres de déco dans les magasins d'ameublement qui servent à vous projeter dans un environnement réaliste, donc pourvu de livres, donc en réalité peu réaliste finalement si on se place dans la peau du consommateur lambda, mais enfin c'est un autre sujet). Impossible de les supprimer toutes d'un coup (ou plutôt si, je sais qu'on peut aller vider la table à la sauvage dans la base de données, mais je sais aussi que ça peut générer des fantômes et diverses bizarreries, s'abstenir donc). Il convient de supprimer 35 livres et notices à la main, rattachées à des titres bien réels, parmi lesquels La Chrysalide Diaprée, Trois fêlés et un pendu voire même Le Porc et les produits de la charcuterie, hygiène, inspection, règlementation (ce qui, en soi, ne prend pas non plus mille ans à faire, sauf bien sûr si en parallèle on se retrouve à écrire qu'on le fait dans le carnet de bord du même nom, mais là j'ai envie de dire, je l'ai cherché).
mercredi
Me revoilà à Paris un jour de catastrophe. Vendredi, c'était des attaques près des anciens bureaux de Charlie Hebdo. Aujourd'hui c'est une explosion terrifiante venue d'on ne sait où. En réalité, ce n'est pas une explosion mais un avion parti en intercepter un autre dans l'idée de l'abattre (je ne sais pas si c'est mieux ou pire). Mais tout de même. On prend de mes nouvelles. On prend de mes nouvelles, mais moi je n'étais pas sur place quand c'est arrivé : c'est arrivé lorsque mon train entrait en gare. Alors je pose la question à tous ceux que je croise et avec qui je parle aujourd'hui, sans doute pour faire de mon absence une forme de présence à mon tour. Près du Canal Saint Martin avec Anne (après quelques texto, dont un : où tu iras j'irai, mais alors comme je n'assume pas ma référence eh ben j'y mets des guillemets), il est question de donner un coup de pied dans une fourmilière. Je ne vous dirai pas ici, dans cette métaphore, à quoi renvoie ladite fourmilière. Quant au coup de pied, si j'étais capable de dire concrètement ce qu'il recouvre, je n'aurais pas besoin de brainstormer comme ça à bâtons rompus. Près de nous (enfin, non, loin de nous, du fait de la distanciation non sociale mais terrassée) quelqu'un donne des cours de français à quelqu'un en distanciel, comme on dit, ici en parlant fort (puis moins fort : devant un ordinateur, avec un casque sur les oreilles). Bien qu'on échange régulièrement ici ou là, avec Anne, on ne s'était plus vus depuis Strasbourg. Presque un an, mine de rien. Le soir, ce sera le lancement de Sœur(s) à Ground Control, dans le fuselage d'un avion non pas cloué au sol mais en état d'escale littéraire. Nous lançons donc (comprendre : nous sommes lancés). Une très belle soirée, et un bon moment à partager en si belle compagnie (pour certains, nous ne nous sommes pas vus depuis des mois là encore). Les échanges (présentation et questions de Hugues, réponses et lectures de Philippe) ont été enregistrés pour celles et ceux qui n'auront pas pu se joindre à nous.
C'est l'occasion aussi de prendre la mesure des nouvelles dispositions sanitaires et de voir combien elles rendent possibles (ou pas) le principe même d'une rencontre quelque part. De voir aussi ce qui est mis en avant sur les tables (que dis-je, les tables : les billards russes !) de la librairie. Ainsi découvrir cette réédition de La nuit je suis Buffy Summers, le livre dont vous êtes le héros de Chloé Delaume (décidément) que je ne peux que recommander en passant.
jeudi
Philippe remet le couvert ce soir à Ground Control pour une table ronde intitulée Et si la fiction faisait basculer le monde ? avec Catherine Dufour à l'occasion de la parution des Déliés de Sandrine Roudaut. Je n'y serai pas, mais l'occasion d'étendre le domaine de Sœur(s) (mais aussi de Surveillances et d'Une armée d'amants, les livres ici n'étant pas périssables, est-il besoin de le rappeler) à deux soirs au lieu d'un.
J'ai rendez-vous en fin de matinée avec Christophe, que je n'ai pas vu aussi depuis pas mal de temps, et je me retrouve à lui écrire ce texto parfaitement dans l'esprit de cette année WTF : Je suis tout à gauche en entrant, au fond, à côté d'un gros ours en peluche (!). C'est le cas. On suppose que ces ours (il y a quantité d'ours disséminés dans la brasserie) servent à matérialiser les places à laisser libres en vue de garantir la distanciation toujours pas sociale mais humaine, du moins non pelucheuse. L'un d'entre eux porte tout de même un masque sur le museau, preuve qu'on est bien en sécurité. Ouf. Au fil de nos échanges, il est quand même peu question de Castex ou Véran, et plus de fiction, d'hybridités littéraires et de lectures à voix haute (c'est mieux comme ça). De verres voire de bouteilles à moitié vide ou pleines, aussi. D'un protocole sanitaire permettant de respecter les nouvelles nouvelles restrictions tout en envisageant d'organiser des lectures dans un lieu public (lectrices et lecteurs avec masque ? chacun lisant pour un petit public de dix personnes maximum ? or donc faire des groupes ? le public allant d'îlot de lecture en îlot de lecture ? tout est possible et on peut tout à fait détourner le protocole comme donnée pour une performance à contrainte). Avant bien sûr qu'un nouveau point presse ministériel tombe fatalement pour annoncer peut-être prochainement de nouvelles nouvelles nouvelles annonces évoquant donc de nouvelles nouvelles nouvelles restrictions et alors c'est merveilleux cette histoire : c'est juste impossible de prévoir quoi que ce soit, le temps qu'on assimile les dernières règles en vigueur, voilà que d'autres plus écarlates encore viennent les envoyer voler en éclat (ou bien alors sommes-nous l'éclat ? nous sommes l'éclat). Retour aux manuscrits plutôt dans le train du retour et aux mails en retard, par exemple là, retours de correction, je lis (mais je ne dis pas qui) : voilà j'ai fini de faire le dindon !
vendredi
Retour à la vie réelle (ou alors c'est le contraire) et aux bibs. Envoi des stats pour celle-ci, notamment pour qu'elle puisse se situer entre deux époques : pré-covidie
VS en-covidie.
Est-ce de nature à nous éclairer sur la période future, postérieure à l'épidémie ? Est-ce que la demande en contenu numérique sera ou non en hausse, est-ce que les usages vont changer ? Sur un autre sujet, est-on en droit de se demander si, quand les grands groupes annonçaient, au printemps, des trémolos dans la voix, réduire la voilure des parutions pour la rentrée et l'automne afin de soutenir les libraires et de ne pas les noyer sous des milliers de nouveautés, ils nous bullshitaient à mort ? Sans doute : Nous constatons, raconte Sébastien Lavy, que les gros éditeurs ont peu joué le jeu. Ils n’ont presque pas réduit les titres pour la rentrée et les ouvrages prévus au printemps 2020 se retrouvent programmés à l’automne. L’embouteillage arrive maintenant. Le problème c’est qu’il y a beaucoup de titres d’auteurs connus, qui attirent. C’est donc difficile pour nous de choisir ceux que nous laisserons forcément de côté. On a l’impression que la crise n’a pas servi de leçon aux gros éditeurs. Le problème, si l'embouteillage arrive maintenant, c'est que nous sommes maintenant. Irrémédiablement maintenant.