Carnet de bord 2020, semaine 12 22 mars 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV

lundi

Je mentirais si je disais ici m'attendre un jour à répondre à un fil de mails dont le sujet est Plan d'action pendant l'épidémie. Ou alors si, mais concernant Une épidémie, le livre de Fabien Clouette. Mais l'épidémie en générale, susceptible de s'immiscer dans nos vies et de nous toucher directement ou indrectement, non. Comme tout le monde, j'ai envie de dire. Mine de rien, cela nous prendra une partie de la journée, entre pour Roxane des allers-retours de correction et de quatrième de couverture sur les Atlantes, le prochain ArchéoSF à paraître en juin (du moins nous l'espérons) et la relecture de mon côté du second tome des Œuvres complètes d'Horace traduites par Danielle Carlès : en l'occurrence, il s'agit des Odes. Voilà (entre autre) ce qu'on peut y lire : toi de même sagement souviens-toi de mettre un terme / à la tristesse et aux duretés de la vie / dans le doux vin. Cela n'a pas vocation à être un conseil quelconque applicable en ces temps compliqués (et confinés), mais enfin nous apprenons aujourd'hui que les cavistes sont considérés comme des commerces indispensables à la vie. Que faire alors ? Déjà, contacter les auteur.e.s concerné.e.s qui ont un livre à paraître dans les prochaines semaines que les sorties seront repoussées. Nous ne serons pas les seuls dans ce cas, puisqu'avec l'ensemble des librairies fermées cela gèle, de fait, toutes les parutions prévues à ce jour au printemps. Il y a également le cas très particulier des livres de Christophe Grossi parus le 11, et dont on ne pourra pas modifier la date (mais dont les efforts de promotion seront reportés sur l'après-confinement). Et puis, il faut avertir nos lecteurs de cette nouvelle réalité (puisque l'ensemble des informations transmises dans notre newsletter de mars sont désormais fausses), et leur proposer des possibilités d'accès facilité au numérique, bien que les expéditions de livres soient toujours à l'heure où j'écris ces lignes possibles. Pour cela, des abonnements proposés à prix réduit pour tous, ainsi que des livres numériques offerts, et je m'en vais déjà contacter des auteur.e.s pour qu'ils me disent s'ils seraient ok pour participer (et elles), et quel livre cela concernerait. Évidemment, c'est peu. Mais on ne fabrique ni des gants en latex, ni des masques chirurgicaux et on ne sait pas comment produir du gel hydroalcoolique. Dans l'attente de diversification de notre activité et d'une révolution de nos savoirs faire, on s'en tient donc à ce qu'on sait. Vous inviter à lire.

mardi

Fort heureusement, le monde continue de tourner. Roxane a mis en ligne l'article (et envoyé la lettre d'information) annonçant les différentes dispositions mises en place suite à la situation inédite de confinement dans le pays. Quelques inquiétudes (ou lassitudes) quant au grand nombre de publications de livres numériques gratuits (auquel donc nous contribuons) qui commencent à apparaître sur les réseaux : redouter que les livres numériques n'éveillent l'intérêt des gens que lorsqu'ils sont gratuits, faire comprendre que c'est un travail de les produire et de les éditer, et qu'aux prix où nous les pratiquons, ils sont tout de même accessibles quel que soit le moment malgré tout. Avant cela, il a fallu revenir sur le texte plusieurs fois encore, ne serait-ce que pour le mettre en conformité avec les nouvelles dispositions annoncées hier soir par une série d'allocutions gouvernementales et présidentielles. Sinon, tâcher de s'en remettre à Horace : Un mauvais jour ne dit pas si l’autre / le sera.

mercredi

Hier encore, nous avons eu des retours. Sans doute en réalité des annulations de commande de vendredi, qui ne seront pas traitées par la distribution. Quid des commandes qui, elles, sont bien parties avant les premières annonces de la fin de semaine dernière mais pas encore livrées ? Sans doute en transit chez un transporteur, et destinées à repartir à l'envoyeur. Notre imprimeur et notre distributeur répondent chaque jour. Ce n'est donc pas fermé. Mais bien évidemment ces échanges de marchandises ne sont pas, compte tenu de la situation, considérées comme prioritaires (et ma foi c'est bien normal). Le contexte fait également que des bibliothèques cherchent à proposer à leurs inscrits des livres numériques. Nous échangeons avec un établissement d'une petite commune de moins 5000 habitants à cet effet, et voir si nous pouvons raccorder notre plateforme à la leur en des temps records. Techniquement, et avec l'aide de notre webmaster Romain, ce serait jouable. Mais le maire acceptera-t-il (ou elle) de signer pour des dépenses non indispensables en ce moment ? Pour le reste, le temps cette semaine est étrange, du moins notre rapport à lui, et je me retrouve régulièrement à me demander quel jour on est. Comme souvent quand la situation extérieure nous dépasse (et nous effraie) on a tendance à surréagir dans un désir toujours croissant d'être productif malgré tout, d'avancer malgré tout, de montrer qu'on est présent malgré tout. On peut donc se précipiter, vouloir répondre trop vite dans certains cas, compenser notre impuissance par une impression d'efficacité. C'est sans doute trop. Là encore, Horace à la rescousse (je termine de relire ses Odes) : S’atténueront les noirs / soucis par le chant.

jeudi

Si l'on en croit les mails : tout va bien, nulle trace de la pandémie. Les prix littéraires continuent de dévoiler leurs sélections comme si de rien n'était. Le spam continue d'affluer (notamment des entreprises à l'étranger fabriquant ou prétendant fabriquer des masques, no comment), ainsi que les recueils érotiques proposés à la publication et des auteurs n'ayant jamais ouvert un seul de nos livres s'étonnant de ne pas avoir de réponse moins de dix jours après avoir envoyé leur manuscrit. Même chose concernant les mises à jour sur le back office d'Hachette par ailleurs. Un retour encore comptabilisé aujourd'hui (à combien de jours se situe le lag dans la prise en charge des retours par rapport à leur réception ?). Pas de commande bien sûr, même pas pour Amazon qui continue de rester ouvert, sans précautions particulières pour ses employés et les colis qu'ils manipulent semble-t-il. Le ministre de l'économie déclare qu'il rouvre le dossier de la réouverture possible des librairies comme commerces indispensables. Un libraire indépendant sur Twitter : ne rouvrez pas les librairies, fermez Amazon ! Il semble y avoir un consensus des libraires sur cette question. Malgré les difficultés économiques qu'entrainera pour eux la fermeture, ils ne tiennent pas à prendre le risque de propager l'épidémie. Le ciel n'est pas plus rose chez les collègues éditeurs diffusés avec qui je discute. Même à supposer que les librairies rouvrent effectivement et que des gens s'y rendent (ce qui n'est pas du tout à souhaiter d'un point de vue sanitaire), il faudra au moins une quinzaine de jours aux diffuseurs-distributeurs pour remettre en branle le circuit des commandes, de la facturation et de la distribution. Les parutions sont par ailleurs soit déplacées, soit gelées en attendant un éventuel retour à la normale, et vont se retrouver embouteillées dans un goulot d'étranglement de parutions futures (plus que d'habitude, je veux dire), d'autant que les distributeurs ont un nombre limité de nouveautés qu'ils peuvent prendre en charge chaque semaine. Il est donc à prévoir, même à supposer un prochain retour à la normale, des perturbations dans le secteur qui devraient durer plusieurs semaines encore, voire plusieurs mois. Que faire ? Roxane, elle, s'en remet à l'intelligence des fleurs (c'est, du moins, ce que l'on a cru lire à un moment donné dans une notification et non ce qu'elle a écrit). Doux programme. Que je retrouve d'ailleurs dans les minutes qui suivent dans le troisième volume de la Littérature inquiète de Benoît Vincent : le relais de la fleur de Mallarmé (l’absente de tous bouquets) à la fleur de Blanchot, via celles de Paulhan.

vendredi

Notre imprimeur nous a transmis un message quant à la situation actuelle et la continuité possible en matière d'impression et d'expédition. Toutes les tâches possibles en télétravail sont effectuées par ce biais. Les équipes de production sur place sont équipées de gants, masques et de produits de nettoyage. Au terme de chaque équipe de travail, les postes sont entièrement désinfectés. En cas d'exposition au virus, le site sera fermé. En cas de fermeture à Maurepas, la production pourra être redirigée sur une unité LSF au Royaume Uni ou aux États-Unis. Les commandes sont donc toujours assurées. A-t-on besoin de faire des commandes ? Non, notre stock est largement pourvu, et de toute façon nous avons fait le choix de cesser les expéditions de commandes sur le site dès le début de la semaine. Les épreuves, dans l'idéal, oui : Notre vie n'est que mouvement est passé en production, et en temps normal nous aurions imprimé des épreuves pour relire sur papier et nous assurer que tout allait bien. Compte tenu de la situation, et du fait que nous soyons pas présentement dans un monde idéal, c'est bien sûr suspendu. Nous n'aurons donc pas à faire imprimer (ni livrer) quoi que ce soit, où que ce soit, pendant le confinement. Sauf qu'avant les annonces du week-end et de la fin de semaine dernière j'ai passé une commande pour Des étés camembert et les épreuves de Doucement (!). Le livreur de Chronopost m'appelle pour me dire qu'il dépose le colis en bas du bâtiment, je le récupère avec des gants pendant qu'il attend à une bonne dizaine de mètres de là que je le prenne, puis s'en va. On est trop loin pour se parler alors c'est avec les mains, c'est-à-dire donc les gants. Je pose le carton quelque part, j'y passe des lingettes désinfectantes et je ne l'ouvre pas. Je me lave les mains compulsivement, comme à peu près des centaines de milliers de personne si ce n'est plus au même moment. Écrire cela, c'est faire œuvre de journal de confinement ? Sans doute. Or sur les réseaux, il y a une forme de fronde à l'encontre des journaux de confinement, notamment ceux, vides, bourgeois, indécents parus dans la presse ces derniers jours. On reproche à ces écrivaines et écrivains installés (je crois que c'est comme ça qu'on dit) de faire étalage de leurs faiblesses, de leur lâcheté (certains ont fuit Paris pour la campagne), de leur fantaisie parfois, le tout sans recul. Le paradoxe, c'est que ces remarques sont faites le plus souvent sur des espaces de micro-messages qui, une fois condensés, composent un genre de journal de confinement en eux-mêmes, et le tout précisément sans recul. On reproche donc aux auteur.e.s (quelle que soit par ailleurs la qualité de leur production) de faire précisément ce que tout un chacun fait de son côté : avoir peur, tâcher de protéger au mieux les siens, faire des erreurs, s'ennuyer, chercher de la douceur où il peut y en avoir, espérer qui sait. Est-ce à dire que nous nous le reprochons, quand nous le reprochons effectivement, à nous-même ? Sauf qu'avant cela, des clins d'oeil avaient circulé. Shakespeare a écrit Le Roi Lear pendant une épidémie de peste, vous savez. Le message est clair, non ? Les écrivains, ils sont là pour écrire des chefs-d'œuvre. Qu'ils (et elles) le fassent ! Sauf que c'est maintenant qu'on a besoin de les lire, car c'est maintenant qu'on s'ennuie. Somme toute, le monde entier se comporte comme d'habitude et ça devrait nous rassurer : c'est preuve que rien n'a viscéralement changé. Tout est parfaitement normal. Ouf.

D'autres journaux existent, et tournent moins. Ils mériteraient pourtant d'être lus, en ce moment ou plus tard, quand on voudra, avec recul, essayer de comprendre, ou de ne surtout pas comprendre. Joachim en a listé quelques uns (dérouler le fil).

Il y a aussi cette rubrique chez les amis de l'aiR Nu (dont, précisément, Joachim). Cette plateforme mise en place par l'APA. Pas forcément dans le cadre du journal d'ailleurs : ce collectif sur Medium par exemple. La mer gelée, Quentin Leclerc. Benoît Jeantet est là aussi. Christine Jeanney, David Dufresne, Guillaume Cingal, Christophe Grossi. Ce n'est pas exhaustif, et j'en ai sans doute oublié plein mais ce n'est pas rien. N'hésitez pas à signaler celles et ceux que vous suivez. Benoît Vincent encore : Les écrivains, s’ils ne disent pas les béances du monde, qui le fera ?