Carnet de bord 2020, semaine 4 26 janvier 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : Annie Ernaux, antonin crenn, Daniel Bourrion, Dépôt légal, Joachim Séné, Lou Sarabadzic
publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
Ça va me revenir brusquement quelque part dans la nuit au milieu d'une interrogation en lien avec le dépôt légal : ce manuscrit mal-aimé en première lecture, ne l'ai-je pas mal reçu car j'étais moi-même mal luné ? Je le reprends, donc, en parallèle d'une relecture des Présents. On parlait de littérature exigeante l'autre jour oui mais : si on n'est pas soi-même à la hauteur du texte, n'est-on pas alors au moins en partie responsable d'une mauvaise lecture ? Là, pas vraiment. Mon avis reste le même. Peut-être suis-je mal luné aujourd'hui même ? Que faire si je suis mal luné chaque jour ? En voilà des perspectives vertigineuses. Et réjouissantes ! Je passe quand même plus de temps sur les présents (le livre d'Antonin Crenn à venir) que sur les absents (un manuscrit qu'on ne publiera pas). Heureusement d'ailleurs. Et dans Les présents justement, c'est assez intéressant de voir à quel point un moment a priori secondaire d'un chapitre au milieu du livre, qui dans les versions précédentes n'était pas forcément connecté à un autre, devient maintenant que la fin a été modifiée un genre de fine passerelle annonciatrice des dernières pages. Je ne crois pas que ce soit voulu par Antonin (encore que ?), mais ce n'est pas un heureux hasard ou une coïncidence non plus. C'est peut-être signe que nous allons dans la bonne direction, et que tout est (bien) connecté.
mardi
Voilà l'un des problèmes soulevés par l'essence même d'un dispositif comme PNB (le dispositif de prêt numérique en bibliothèque). Sans parler même de la présence de DRM absurdes et faisant semblant de mimer dans l'écosystème numérique les contraintes d'emprunt du papier, ou des conséquences sur l'expérience de lecture de la personne qui emprunte un fichier (s'en remettre à Adobe, être bridé dans ses possibilités, de copie du fichier bien sûr, mais aussi de copier-coller du texte par exemple, quand on veut le citer mettons), tout cela, on l'a répété déjà X fois, et je vous renvoie à l'ouvrage dirigé par Franck Queyraud aux Presses de l'ENSSIB Connaîre et valoriser la création numérique en bibliothèque pour approfondir le sujet. Simplement, quand un livre numérique proposé en prêt selon ce dispositif via une bibliothèque connaît du succès, lorsqu'il est emprunté plusieurs fois par exemple (ce qui est finalement la meilleure chose qu'on peut lui souhaiter), une fois atteint son nombre d'emprunts maximum, il disparaît de la plateforme de la bibliothèque. Il doit être racheté par l'établissement. Nous voilà donc dans la situation absurde où les livres les moins lus restent disponibles longtemps, mais ceux qui attirent l'attention du public disparaissent. Et coûtent à la collectivité, si d'aventure ils sont rachetés (alors même que, contrairement à un exemplaire papier, qui peut s'user, un fichier numérique ne subit au fil du temps aucune déperdition de qualité). C'est un peu étrange, et ce n'est pas très heureux. Fort heureusement, dans Les présents, on trouve un heureux homme (et je peux vous garantir qu'il est tout particulièrement question des présents, je veux dire de nos époques présentes, dans L'homme heureux). Du bonheur en barre, on en trouve aussi dans Des étés Camembert, sauf que c'est littéralement en barre, c'est-à-dire en pâte (lactée) industrialisée. C'est aussi un livre où on se tape des barres de rire (comme disent les jeunes), et la boucle est bouclée. D'autant plus que ça y est, le livre est déposé chez l'imprimeur, et la couverture donne le ton (disponible en mars dans toutes les bonnes crémeries).
mercredi
On s'interroge avec Roxane sur le format à choisir pour un livre à paraître. Entre notre format disons habituel (133*203mm) et le semi-poche type Cabane d'hiver, qui l'a initié (108*178mm), nos cœurs balancent. On ne se rend pas encore trop compte de son épaisseur. Il faut tester. Mais ça donne lieu à des conversations étranges sur un chat quelque part. Elle : je vais couler en cabane on va voir. Puis elle précise : jargon publie.net. Ce à quoi je réponds : c'est carnetdebordisable. La preuve. On nous propose un manuscrit, j'invite chaudement la personne à lire nos livres avant, et sa réponse est sensiblement la même que beaucoup d'auteurs à qui je donne le même conseil : je regarde votre catalogue. Nous serons donc regardés et non lus. Et lui ? Après avoir terminé ma relecture des Présents, j'écris à Antonin on y est presque. Mais ça veut dire quoi presque ? Ça peut vouloir dire, par exemple, pour un livreur Chronopost censé livrer un carton de nos livres, de presque-le-livrer plutôt que de le livrer effectivement. Sur son terminal, la personne a indiqué que le colis était en lieu sûr. C'est une métadonnée possible dans l'écosystème Chronopost. Généralement, ça veut dire : j'ai laissé le colis au voisin pendant l'absence du destinataire. Là, c'est un peu plus retors que ça. La personne laissé le colis dans le buisson derrière la boîte-aux-lettres. Ça n'est pas très littéraire comme activité de retracer un colis en lieu sûr, ou de végéter là pendant des jours quand on est ledit colis. Mais à quelques centimètres près, il était presque là. Livré.
jeudi
J'écris dans un champ pour des métadonnées quelque part que l'année de copyright est 2929. C'est vrai (nous sommes le futur !), c'est faux (nous sommes en 2020). C'est comme ça. François Bon, lui, n'a pas attendu 2929 pour lire L'homme heureux et il a raison. Il le dit d'ailleurs en vidéo, merci à lui !
Après un rendez-vous téléphonique au sujet de mes interrogations quant au dépôt légal du livre numérique (cf. épisode précédent), après donc avoir pris des notes manuscrites dans un carnet papier pas numérique pour un sou (mais avec des baleines dessus, on ne peut pas tout avoir), par exemple que le champ que je recherche pour indiquer quand un livre concerne une réédition est <EditionType> (vous saurez tout), rendez-vous dans un café cette fois avec un étudiant qui travaille sur la notion de récit autobiographique, de romans personnels et d'autofictions. Il souhaite interroger des éditeurs sur la publication de textes de cette nature, avant sans doute également de solliciter des auteurs. Là encore, un carnet papier est au centre des débats, un carnet rempli de questions : le sien, cette fois. Comment travaille-t-on avec des textes de cette nature ? Est-ce sensible ? Prend-on des précautions particulières ? Dans quelles dispositions sont les auteur.e.s de ces livres ? Prennent-ils (ou elles) un risque à publier des livres dans lesquels se dévoiler plus peut-être que dans une fiction éloignée de soi ? Il y a cette citation d'Annie Ernaux qui me revient, sauf que bien sûr je ne me souviens plus exactement de la phrase, et que je ne suis plus très sûr de savoir de quel livre elle provient. Somme toute, dire qu'elle me revient est un peu exagéré. Disons plutôt que j'en cherche pendant quelques secondes la substance. Je l'ai retrouvée depuis. Ce n'est pas une phrase, c'est un paragraphe. C'est dans Passion simple.
Tout en sachant qu'à l'inverse de la vie je n'ai rien à espérer de l'écriture, où il ne survient que ce qu'on y met. Continuer, c'est aussi repousser l'angoisse de donner ceci à lire aux autres. Tant que j'étais dans la nécessité d'écrire, je ne me souciais pas de cette éventualité. Maintenant que je suis allée au bout de cette nécessité, je regarde les pages écrites avec étonnement et une sorte de honte, jamais ressentie – au contraire – en vivant ma passion, pas davantage en la relatant. Ce sont les jugements, les valeurs « normales » du monde qui se rapprochent avec la perspective d'une publication. (Il est possible que l'obligation de répondre à des questions du genre « est-ce autobiographique ? », d'avoir à se justifier de ceci et cela, empêche toutes sortes de livres de voir le jour, sinon sous la forme romanesque où les apparences sont sauves.)
Ici encore, devant les feuilles couvertes de mon écriture raturée, illisible sauf pour moi, je peux croire qu'il s'agit de quelque chose de privé, de presque enfantin ne portant pas à conséquence – comme les déclarations d'amour et les phrases obscènes que j'inscrivais en classe à l'intérieur de mes protège-cahiers et tout ce qu'on peut écrire tranquillement, impunément, tant qu'on est sûr que personne ne le verra. Quand je commencerai à taper ce texte à la machine, qu'il m'apparaîtra dans les caractères publics, mon innocence sera finie.
vendredi
Montaigne est de retour. Non lui mais le livre de Lou Sarabadzic. La dernière version du manuscrit est entre mes mains, c'est-à-dire qu'elle n'est pas entre mes mains mais devant mes yeux. Ce n'est pas exactement la même chose. Il est encore l'heure de faire quelques remarques purement factuelles (coquilles oubliées, ultime interrogation de sens). Rien de majeur. Vérifier que tout tient (oui), dire et/ou penser encore on y est presque, imaginer le livre qui vient. Et pour tous les livres à venir (et déjà venus), terminer le travail sur le dépôt 2018-2019 du dépôt légal numérique. Une dernière interrogation subsiste (j'envoie à Vladimir, à la BNF, un fichier onix qu'il vérifiera avant le vrai dépôt), concernant le champ <EditionType> évoqué hier qui, semble-t-il, a beau prévoir quantité de champs possibles selon les types d'édition (rééditions, édition annotée, critique, expurgée, en gros caractères, en petits, etc.) mais pas d'édition numérique mettons homotéthiques (alors que les éditions augmentées sont présentes). Notre distributeur numérique semble considérer que tous les livres numériques publiés sont des originaux numériques, soit la codification "DGO" qui semble-t-il ne s'applique plus vraiment à notre situation actuelle de publication papier et numérique simultanées. Qu'en penserait Montaigne ?