Carnet de bord, semaine 46 17 novembre 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Photo Xavier Briend.

Dernier jour de salon.

"Normalement, on devrait revenir avec moins de livres qu'au début.

— Oui, c'est logique. Comment ça pourrait ne pas être le cas ?

— Oh, tout est possible..."

"Votre maison d'édition s'appelle 'Signatures' ?

— Euh, non, ça c'est une affiche qui annonce nos signatures d'auteurs pendant le salon...

"Bon, il est bien ce bouquin. Mais il est invendable."

"Les algorithmes m'ont recommandé de suivre Lou Sarabadzic."

"La poésie, c'est jamais vendu de toute façon."

"Ah, Virginia Woolf !"

"Oh, ce livre c'était beaucoup de boulot. Bon, c'est pas moi qui l'ai fait, mais..."

"On en a vendu 50.

— Ah, c'est pas mal."

"Pierre Ménard, c'est un homme ? Je veux dire, c'est une vraie personne ou c'est un algorithme ?"

Nombre de livres vendus : 7. Aucune comparaison possible avec 2018 (pas de lundi férié). Taux de certitude quant à l'efficacité d'un quatrième jour de salon : couci-couça.

 

mardi

Avant dépôt des fichiers pour les épreuves de L'homme heureux, refonte des pages de présentation de la maison. Autant il y a consensus sur la question d'inviter les lectrices et lecteurs à découvrir (ou approfondir leur connaissance de) publie, par exemple en redirigeant sur le site et en mentionnant le Carnet de bord (car après tout qui fait ça à part nous ?), on n'est pas vraiment d'accord sur la forme que ça doit prendre, et notamment savoir s'il faut ou non mentionner mon nom (j'ai tendance à croire qu'il vaut mieux s'abstenir). À quoi Joachim répond qu'au contraire, c'est important, d'ailleurs L'air nu fait front sur ces questions, Anne me disant dans le train qui nous mène à Strasbourg, je la cite : "Mets ton nom, bordel." Et en réalité tout s'enchaîne très vite : le TGV dans lequel on refait le monde des lettres et du livre, le dédale dans les rues strasbourgeoises en gardant d'un œil la cathédrale comme point de repère, l'appel d'une journaliste de Livres Hebdo à l'hôtel pour un premier bilan du salon de L'autre livre. "Ça a bien marché pour nous, je crois que c'est notre meilleure année. — Ah bah c'est cool !" En effet. Puis, ensuite, la raison première de notre venue à Strasbourg, à savoir la rencontre Connaître et valoriser la création littéraire numérique en bibliothèque animée par Franck Queyraud (l'évènement phare, nous dit-on, des Rencontres de l'Édition). Nous passons en revue, dans la bonne humeur, l'histoire du web littéraire en France, Dita Kepler, l'archivage de nos sites et leur architecture, les expérimentations de Joachim, le livre numérique, la carnetdebordisation des esprits, la vie d'un éditeur indépendant, comment le métier d'auteur évolue avec le numérique (ou sans), comment s'y retrouver dans la complexité d'organisation d'un site, comment la navigation dans ces sites est comparable d'une certaine façon à la narration au sein d'un texte, la nécessite de faire œuvre collective (ou de faire œuvre de collectif ?) et de rassembler les démarches et les individualités, le rôle à jouer des bibliothèques dans la médiation de ces (nouveaux ?) contenus, Horace, Pierre Ménard, À travers champs, le prêt numérique en bibliothèque, l'ouvrage aux Presses de l'ENSSIB qui nous réunit aujourd'hui et qui paraîtra dans quelques semaines, les cabanes et la vie de salon, la précarité des auteur.e.s, le marché du livre qui va dans le mur et comment, ce mur, tenter de l'escalader, les respirations possibles, etc, etc. Et, en réalité, Anne et moi, avec l'aide de Franck au fil des échanges, ne faisons en réalité que prolonger une discussion qui s'est ouverte avant même notre arrivée dans la ville (et avant même le léger séisme qui l'a frappée), dans le train en venant. Discussion qui elle-même se verra prolongée au restaurant avant le retour à notre hôtel sous l'air de, croyez-le ou non, Douce nuit joué par quelqu'un quelque part à la flûte au pied de la Cathédrale.

 

mercredi

Après une nuit chelou (on n'en dira pas plus), traversée des petites rues pavées de Strasbourg pour regagner la gare. Un café (et un dilemme : faut-il parler de tout dans le Carnet de bord ? Faut-il se censurer ? Est-ce de la communication ? Peut-on laisser des mystères ? Que va-t-on maintenant s'imaginer après avoir écrit tout ça ?) tout près d'elle avant de repartir. Quand soudain : Le propriétaire de la valise marron oubliée sur le quai devant la voiture 4 est prié de venir la récupérer urgemment... La conversation reprend avec Anne à mesure que le train s'arrache à l'attraction du brouillard. MarilynUn jour sans fin (qu'à la suite d'un lapsus d'écriture terrible j'écris Un jour sans faim, mais ça ne veut plus dire la même chose). Catherine Deneuve. Par email dans un téléphone de poche qui tressaute, on se félicite d'avoir enfin pu parler à un être (a priori) humain chez Amazon. Un livreur Chronopost pour une livraison : il faut que je descende. Mais je suis toujours dans ce train. "Vous pouvez laisser le colis à la gardienne. — C'est fermé. — Dans ce cas, il faudra relivrer demain. — Ok." Quelques minutes plus tard, un texto m'apprendra que je devrais aller chercher moi-même le colis dans un point relais. Tandis que dans le téléphone lui-même, le correcteur orthographique fait des siennes : il remplace le mot dynamique par dystopique et vous par couscoussière. Voilà qui n'est pas banal. Mais tout est comme ça. Quand soudain : le propriétaire d'un sac de voyage noir oublié devant les toilettes de la voiture 18 est prié de venir le récupérer urgemment. 

 

jeudi

Quoiqu'il se passe aujourd'hui dans la vie de la maison d'édition, cela se passe sans moi.

 

vendredi

J'ai plus d'une centaine de mails qui se sont accumulés dans une boîte certes immatérielle mais dont le poids virtuel pèse réellement dans la tête, et quelque part au niveau de la nuque, je crois, signe qu'il n'y a pas que le coût de l'énergie (mails stockés dans des serveurs qu'il faut alimenter en électricité continuellement, rendez-vous en janvier pour lire ça dans L'homme heureux) mais il y a aussi le coût psychologique des ces monceaux de messages qui attendent d'être ouverts, reçus, pensés, assimilés, et, la plupart du temps, auxquels il faut répondre. Curieusement, c'était un sujet de conversation très spontané à Strasbourg, et quelle que soit ton métier ou ta branche, c'est une forme de violence pour beaucoup que ce flux continu de langage. Là, Roxane m'a envoyé le lien de suivi de livraison du colis contenant nos catalogues-affiches, alors je me retrouve régulièrement à l'actualiser dans le vide pour voir si le statut a changé. À partir de 10h, DHL indique en cours de livraison par coursier. Je suis donc sur mes gardes, et rien que d'être attentif à cela, je ne le suis pas à autre chose, ce qui veut dire que littéralement je perds du temps mental qui pourrait être autrement mieux employé (mais faut-il toujours employer son temps mental de façon optimale ? vaste sujet). La livraison intervient vers 15h30, mais je ne pourrais récupérer le colis qu'une heure après. Derrière, le temps de tout mettre en enveloppe (c'est-à-dire faire de la mise sous pli et non une mise en plis comme je l'ai dit l'autre jour à quelqu'un pendant le salon, sinon là encore ça ne veut plus dire la même chose et on peut retourner regarder Un jour sans faim dans la foulée), le guichet pro de la Poste sera fermé. Cette heure de latence entre 15h30 et 16h30 nous a donc coûté, et les catalogues-affiches ne partiront que lundi. C'est certes un peu relou, mais compte tenu de l'état du monde dans lequel on vit, c'est dérisoire.