[REVUE DE PRESSE] Pliez les cartes de sorte que se touchent l’Afrique du Sud et la Norvège 14 septembre 2019 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : alger céleste
Merci à Guillaume Lecaplain d'avoir mis en lumière Alger céleste, sur Libération.
Katia Bouchoueva est polyglotte : elle parle à la fois le révolutionnaire belge de Jean-Pierre Verheggen et le lyrisme algérien de Jean Sénac. Grenobloise née à Moscou en 1982, elle chante Alger dans son dernier livre et plaide pour un joyeux rétrécissement de la géographie mondiale. «Pliez les cartes / pliez les cartes / de sorte que se touchent / l’Afrique du Sud et la Norvège.»
Dans Alger céleste, elle se balade en «ballerine» entre les langues et les territoires de sa propre cartographie. On sent que les textes réunis ici ont été aussi pensés pour la scène : Katia Bouchoueva est par ailleurs slameuse et on peut avoir une idée de ses performances avec cette vidéo où elle récite Mémé pour la (passionnante) série «Appelle moi poésie».
Voici l’un des poèmes du livre, et pour apprécier sa musicalité nous vous conseillons donc de (vous) le lire à voix haute.
OGRESSE
Elle n’a mangé personne
et ceux qu’elle a mangés
n’ont rien compris.
(oh malheur, oh merdouille
quand tout d’un coup la fenêtre s’ouvre sur la tempête).
Elle s’est frottée le dos contre Alger,
jusqu’à Moscou s’est allongée.
Terrible être, le seul être
à tournoyer de la sorte.
(Dans la neige et le sable)
Les villes méconnaissables vous appellent,
de l’irréelle et vilaine maladie
vous allègent
ne retenant que les âmes,
laissant les os
aux bébés ours.
Ogresse – comment – encore – princesse –
pardon – princesse-nuit
ou la NUIT même :
dans la tanière,
dans le château – des lumières,
des kilomètres de phares, de lampions
et autres luminaires,
les lampadaires marchent dedans
protégés et contents.
Et les Russes blancs
et les Russes rouges
et les Russes verts et jaunes (ce sont déjà les algues).
Et tout se mange
se mâche et se comprend.
Elle : ronde et longue.
Elle : pleine et tellement rivière.
Jusqu’au Bosphore et Dardanelles –
père et mère.
«On était proches –
murmure la rive droite à la rive gauche –
on était BOUCHE.
On dévorait les petits bonhommes grecs,
les petites femmes romaines et berbères,
on les chantait, les gars de Sparte.
Me vois-tu pas sur la carte ?»
Merci terrible, merci énorme ;
merci princesse, que la casserole est chaude.
Le bon repas.
Avec tout l’orge du monde
et toutes les figues,
toute la fatigue.
Katia Bouchoueva, Alger céleste, éd. Publie.net, 104 pp., 12 euros.