[NOUVEAUTÉ] Ambiance garantie, de Xavier Briend 4 septembre 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : temps réel, Xavier Briend
Aujourd'hui, c'est ambiance garantie ! Non, ce n'est pas comme ça qu'il faut l'écrire. Aujourd'hui, c'est Ambiance garantie, soit le deuxième temps de notre rentrée littéraire. Que dire de ce premier roman de Xavier Briend que nous avons le plaisir de vous faire découvrir ? Qu'il ressemble à Pulp Fiction (pour le découpage narratif) et à Fargo (pour l'art du quiproquo) à la fois. Étrange, pas vrai ? C'est surtout un roman éminemment drôle, qui voit se croiser toute une galerie de personnages hauts en couleur, tous en quête de quelque chose (mais quoi ?). Voir comment ils se cherchent, ils se sondent, ils s'évitent, ils se ratent, parfois même se désirent, c'est un régal. Xavier Briend ne fait pas que saisir sur le vif les incompréhensions contemporaines et les conséquences de ce qu'on peut appeler le mal de l'incommunicabilité, il parvient également à tisser entre elles des générations dont on ne cesse de nous dire qu'elles n'ont, justement, rien à se dire. En cela, Ambiance garantie est aussi un livre très touchant sur la façon qu'a chacun, quel que soit son âge, quel que soit son parcours, de tenter de (re)nouer le dialogue avec autrui.
Comment ça, votre pastis préféré ?
Mais Fred n’a pas le temps de répondre à William car arrive, William l’aperçoit dans le miroir, arrive, il se retourne vers l’entrée du bar, arrive, il voit la fameuse robe bleu clair qui dénote avec ce qu’il connaît de ses mini- jupes et de ses collants à couleurs vives, arrive, même si elle a toujours son fameux blouson trop grand pour toi, arrive, les cheveux attachés en queue de cheval (ce qui nous la change aussi), arrive, avec un de ses livres à lui sous le bras, arrive, la démarche plus assurée qu’auparavant, bref, arrive ♥ Christelle ♥ et il sourit.
Christelle ? Christelle est un peu perdue : sa mère qui ne la comprend pas, son père qui ne cesse de radoter avant de prendre la fuite, William qu’elle vient de rencontrer en plein conflit larvé avec le sien, de père, William et son entreprise mondialisée, ses rêves écolos, ses souvenirs d’adolescence et son projet de roman, William sur qui fantasme Fred, Fred le frère de Christelle, Christelle qui pense à Anthony, et Anthony à son avenir tout tracé et à ses parents...
Grâce à son humour et à un sens certain de la parodie, Xavier Briend décline les quiproquos à un rythme fou et transforme une petite ville de banlieue parisienne en théâtre de l’incommunicabilité. Prenant en permanence le lecteur à contrepied, ce premier roman est un modèle d’architecture narrative. Ambiance garantie.
Extrait
Le lendemain matin, à cette heure tranquille où dorment encore nos deux adolescents, une voiture de type « Urban Jungle Style » se gare dans une rue chic. Christelle et Anthony sont bien enlacés. Depuis le très grand jardin aménagé avec goût par les artistes de vos espaces verts, on voit un couple à la quarantaine bien tapée sortir de ladite voiture. Christelle et Anthony sont toujours bien enlacés. Le couple entre dans la maison par la baie vitrée certifiée NF, ce qui, entre nous, est une garantie de performances optimales en termes d’étanchéité, dirait François. François ? Le père d’Anthony. Anthony ? Il dort gentiment. Sa mère : Anthony, tu es là, mon chéri ? Anthony se réveille et dit : Merde.
Dans la cuisine ouverte sur le salon qui est la tendance depuis un bon moment, François regarde les deux verres « Perfect Dream » posés sur le comptoir linéaire au design moderne facilement agençable, dirait-il. Mais là, il dit plutôt qu’il ne s’en est pas fait pendant notre absence, le chéri. L’agitation grandissante réveille Christelle et Anthony lui fait Chut avec le oide sur la bouche. Elle ferme les yeux, elle pense au stade vert, à Aurélie, elle revoit les lumières, la soirée chez Annabelle, la soirée jusqu’au moment où tu es enfin arrivé, la discussion dans la cour, l’Uber, cette maison incroyable, le whisky tourbé à soixante boules, les chips pour accompagner, la petite musique qui va bien puis ta chambre immense et sous la couette, les rires, et comment on s’est embrassés, comment on s’est déshabillés et je t’ai dit : Attention, tu sais…, et ta douceur et on est ensemble toute la nuit, et toute la nuit Christelle et Anthony dormirent bien enlacés mais, maintenant, c’est le matin, et elle le regarde et elle est inquiète et Anthony lui dit justement de ne pas s’inquiéter, ce sont juste ses parents. Christelle pense alors aux siens et se dit comment ne pas être inquiète ou méfiante ou en colère avec les parents, je vous le demande.
Ceux d’Anthony afficheront une mine offusquée puis une superbe indifférence feinte lorsque Christelle descendra l’escalier en colimaçon avec la structure en acier laqué blanc. Elle est en bas, elle est silencieuse devant le spectacle de deux riches parents s’affairant sans lui dire ne serait-ce qu’un petit bonjour. Elle comprend alors qu’ils l’ignorent et elle en est très affectée psychologiquement parlant car lors d’un lendemain de grande soirée on est toujours plus sensible. Croyez-en ma vieille expérience.
Notre pauvre Christelle ne sait pas quoi faire, elle est au plus mal de voir ça, de ressentir ça, de vivre ça. Même si, pour se rassurer, elle se dit que ça va passer, que les parents d’Anthony sont peut-être comme ça, un peu en colère. Il n’y a pourtant pas trop de bazar. Ils sont peut-être intimidés ?, se demande-t-elle. Mais non, Christelle, il va bien falloir admettre que leur morgue est synonyme de méchant mépris social comme disent nos ami.e.s gauchistes. Elle reste toujours immobile en bas de l’escalier, elle les regarde et se souvient qu’Anthony lui a dit que les siens étaient… étaient quoi déjà ? Anthony ne la regarde pas. Même pas. Anthony, tu ne me regardes pas, c’est peut-être ça le pire. Tes parents, je m’en fous après tout, mais toi, non, pas toi. Soutiens-moi, viens ici, dis quelque chose, je ne sais pas, moi. Anthony, elle voudrait le crier. Et elle se sent tout à coup seule, si seule. Non, ça ne va pas recommencer ! Et lui, il s’affaire comme ses parents, il va vite, et c’est des « Maman donne la valise » par-ci, ou des « Vous avez passé un bon séjour ? » par-là tout en s’activant dans cette belle cuisine ouverte sur ce salon de rêve.
On a roulé toute la matinée, dit le brave monsieur au polo étonnamment rose (coupe classique en coton surpiqué) qui s’assoit sur un haut tabouret (tubulures croisées « total black ») et se mange ce qui m’a tout l’air d’être des petites olives noires (de type Kalamata) sympathiques comme tout tandis qu’Anthony passe un petit chiffon sur le fameux comptoir linéaire au design moderne facilement agençable. Et à la question : « L’étain du comptoir est-il facile à entretenir ? », je répondrais que l’oxydation naturelle de l’étain est très discrète et n’altère en rien sa beauté et comme il ne craint ni les alcools ni les liquides chauds, un simple lustrage une ou deux fois par an avec une potée suffit à lui redonner sa brillance originelle. Signé François.
Si Anthony osait ne serait-ce que lever sa petite tête de ce comptoir quelques instants, il verrait Christelle juste devant l’escalier aux marches agrémentées d’une console métallique avec des trous décoratifs. Il verrait qu’elle le regarde, désespérée, abandonnée, pétrifiée, Anthony, mais Anthony regarde-moi. Mais qu’est-ce que c’est… Personne ne lui dit rien, même si elle pleurait, même si elle criait, le sinistre trio ferait comme si de rien n’était, le sinistre trio continuerait à parler tranquillement, avec les tranquilles et très légers reproches des parents envers leur chéri qui rime bien avec Anthony. Et c’est la maman silencieuse et hautaine maintenant enfoncée dans son fauteuil en cuir blanc tout droit sorti d’un studio de design, c’est la maman d’Anthony qui feuillète tranquillement un magazine même si elle sait que Christelle est là, toujours en bas de l’escalier. Elle adresse quelques reproches à peine désobligeants à l’attention de son petit chéri, son petit Anthony, quand ce n’est pas son père qui le fait sur le mode de la connivence, l’air de dire qu’il sait ce que c’est mais quand même, tu ne vas pas nous amener n’importe qui ici et il faudrait s’imaginer une petite tape sur l’épaule ou un petit rire viril à l’adresse d’Anthony.
« N’importe qui »
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208 pages
ISBN papier 978-2-37177-581-7
ISBN numérique 978-2-37177-217-5
17€ / 5,99€
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