[REVUE DE PRESSE] Nouvelles de la ferraille et du vent lues par La Viduité 3 juin 2019 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : Hédi Cherchour, Nouvelles de la ferraille et du vent
Une chronique à retrouver ici, merci La Viduité !
Le couloir rhodanien, vent et rêves. En dix-sept nouvelles Hédi Cherchour impose la beauté sauvage des destins brisés de ceux qu’il serait trop facile de considérer comme des laissés pour compte. L’acuité ciselée d’une prose à la simplicité cassante, aux surgissements inattendus d’impressions et de sensualité brutes, de poésie même, fait de ces Nouvelles de la ferraille et du vent une expérience d’un regard politique, empathique, sur la France dite de l’immigration des années 80. Une très grande réussite.
La première très belle surprise de ce premier recueil de nouvelles tiendrait, pour un regard pressé, à sa capacité à s’intéresser, vraiment – comprendre par une sorte d’absorption dans le milieu décrit -, à une population que la littérature française ignore avec une morgue coupable. Sans en faire un objet sociologique, sans donc une distance d’une observation participante qui regagne ensuite le confort des beaux quartiers, Hédi Cherchour nous plonge dans les quartiers, les cités comme on disait, d’autant plus périphériques qu’ils sont situés en bordure d’agglomérations de moyenne importance. Pour causer comme un journaliste, Nouvelles de la ferraille et du vent donne à voir un territoire. Pas un mince exploit que d’y parvenir comme l’autrice uniquement par l’appropriation des perceptions de ses personnages. Ce qu’ils y vivent, dans un tragique sans tire-larme, nous renseigne sur leur environnement toujours perçu en contre-champs. Un rendu sensible : les boîtes où l’on découvre le raï, les foyers Sonacotra, l’embauche ouvrière et surtout la venteuse immobilité.
La compassion, la tristesse tout ça, c’était un truc pénible, destiné aux riches, je crois, à l’époque.
On pourrait alors souligner une empathie en connaissance de cause. Hédi Cherchour capte des histoires minuscules, d’une véracité si profonde que l’on en viendrait presque à interroger la part de témoignage. Des récits d’enfance mise à distance par le temps ? Peut-être mais qu’importe. L’essentiel de ce très beau, très fortement cohérent, recueil de nouvelles tient à son effort pour s’approprier une langue. Dans chaque « histoire urbaine et sauvage » le lecteur est confronté aux « nerveux du mistral chiant », « aux nerfs méditerranéens, des nerfs vifs rouge acajou sous la peau basanée, méchoui d’Europe ». On parle alors, je crois, d’une langue poétique, dans son sens le plus fort : celui de fabriquer des mots et des « visuels disponibles » dans tous ces espaces où les mots manquent. L’autrice le répète avec cette clarté des colères rentrées : « le soleil neutralise les mots qui sont en nous » ; « il n’y a rien à dire entre le blanc des yeux estomaqués. » La grandeur aveugle, inlassable, de ceux qui se taisent. L’ouverture soudain à la tentation, que ce soit celle d’un homme croisé au hasard et qui conduit à une meurtrière prostitution, l’enfantine prise de conscience de l’injustice du monde quand un père se fait arrêter, à l’aube dans la meilleure tradition répressive, face à sa famille ou un autre père dont on se souvient des couteaux et cicatrices, d’une femme qui, d’en haut de sa tour croise un étranger ou d’une autre qui passe le permis. Et qu’importe la fin, Hédi Cherchour sait nous rendre cette exaltation passagère, ces fantômes d’espoirs et de désillusions qui, tous, nous hantent.
Comme ça tout se tient, tout est lié, tout va bien partout, tout le temps, pour les vivants, les morts et ceux qui vont mourir.
1987, la date revient comme l’interrogation lancinante qui vibrionne dans toute littérature : que sont nos fantômes devenus ? Une mémoire bien sûr de l’immigration dont Nouvelles de la ferraille et du vent retrace une généalogie. « Sale guerre d’Europe , sacré souvenir de jeunesse. » selon la belle formule laconique qui résume les harkis, l’engagement des troupes dites indigènes dans la seconde guerre mondiale, le poids d’une mémoire familiale et son traumatisme dont nous parlait déjà Dans l’épaisseur de la chair de Jean-Marie Blas de Roblès. De cette vision du passé, par la circulation entre les nouvelles toutes si intimement reliées entre elles, Hédi Cherchour sait néanmoins nous donner un visage contemporain. Celle d’une « décision pisse-vinaigre politique » (on admire au passage cette façon sonore de tordre la syntaxe) « à la fin des années de plein-emploi. » Les mots et les représentations manquaient semble nous suggère Nouvelles de la ferraille et du vent, ils ont été remplacés par les représentations les plus haineuses, bassement politique comme de proposer 10 000 francs pour retourner au pays. Reste l’effort vibrant, sans idéalisme ni lyrisme, d’imposer une autre voix. Il semble que par ces textes brefs et acérés, Hédi Cherchour y parvienne.
Un grand merci aux éditions Publie.net pour l’envoi de ce grand livre