Carnet de bord 2019, semaine 22 2 juin 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : Cécile Portier, frédéric khodja, Isabelle Pariente-Butterlin, juliette mézenc, Lionel-Édouard Martin, marie-laure hurault, philippe éthuin, Pierre-Marie Desmaret, Rainer Maria Rilke, Sarah Roubato, Stéphane Gantelet, tiphaine touzeil, Xavier Briend
publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
Appel inopiné de quelqu'un. C'est un éditeur qui vient de passer de Create space (la plateforme d'impression à la demande d'Amazon) à Lightning Source, qui est aussi notre imprimeur, et qui s'interroge sur tout un tas de choses, notamment : ses ventes sur Amazon ont été divisées par 5 depuis qu'il a quitté la plateforme d'Amazon, comment ça se fait ? J'essaye d'être diplomate mais tout le monde comprendra que la réponse était dans la question. Ce week-end, Roxane a refait la mise en page d'Ambiance garantie pour que le texte soit plus aéré (interlignage plus ample). Revenir dessus alors. Relecture également des épreuves d'Au canal, et c'est la première fois qu'on peut voir le dialogue qui s'opère entre le texte de Marie-Laure Hurault et le travail photographique de Frédéric Khodja (ce qui est, il faut bien le dire, assez émouvant).
Tout va bien ou presque (et c'est toujours pareil avec les presque, tout est toujours dans les presque). Roxane continue ses travaux d'explorations graphiques pour les couvertures (provisoires ou non) qui figureront dans le catalogue du second semestre. Là, Rilke. Il y a un beau papillon bleu. J'aime assez ce beau papillon bleu. Ce ne sera pas ce beau papillon bleu. Mais tout de même. Derrière, ce sera lire des manuscrits avec plus ou moins de succès, et dire plus ou moins sensiblement la même chose à chaque fois, pas pour nous, trop d'adjectifs, quel rapport avec ce qu'on fait ?, etc.
mardi
Un certain temps dans la plateforme des dossiers d'aide à la publication du CNL, qui est passé au tout numérique depuis quelques mois. Plus besoin d'envoyer de dossier papier à amener à vélo rue de Verneuil une heure avant la clôture des dossiers en sueur (good), mais des télescopages de colonnes pour une plateforme dont on dirait qu'elle est issue de la fin des années 90 (pas good). Là, comme l'indique la capture d'écran, ma saisie sur cette page contient 22 erreurs. Yeah. Il va falloir revenir dessus, et échanger très vite avec Roxane et Philippe pour renseigner tout un tas de champs que, en l'état, je ne sais pas renseigner. Il faut aussi sortir entre deux averses poster les pré-commandes d'Erased, qui sort demain, et préparer l'article qui annoncera sa parution, mais aussi revenir sur un mois et demi de manuscrits envoyés auxquels je n'ai pas encore répondu, non, pas répondu répondu, mais juste accusé réception, faute de temps, ce qui est juste horripilant pour les auteurs et ça me désole, d'ailleurs je le leur dis dans mes réponses (non pas que ça me désole mais que, oui, je le suis). Idéalement c'est un truc que je dois faire chaque semaine mais on aura compris en lisant ces lignes (ou d'autres encore) qu'on ne vit pas, ni ici ni ailleurs, dans un monde idéal, et que le nombre de trucs dont on se dit il faudrait que je le fasse chaque semaine, eh bien, dans la réalité, souvent ils ne résistent pas à l'érosion du quotidien, à la cascade des micro-tâches, aux insatisfactions, etc. Que faire de ça ? Absolument rien. Roxane a proposé une série de couvertures provisoires pour le Journal du brise-lames en s'appuyant sur le jeu vidéo développé par Stéphane Gantelet, ça donne des trucs très étonnants, on est dans la fantasmagorie des polygones et des pixels, on est dans la figure d'un personnage que l'on dirait en phase de pré-métamorphose, on est parfois dans d'autres imaginaires que celui du livre, j'écris un truc comme ça, car il ne faudrait pas non plus qu'on puisse croire que c'est un livre de science-fiction tout de même. L'instance de la couverture, c'est un moment qui peut être très sclérosant pour un lecteur : en un seul coup d'œil on peut en venir à se dire, instinctivement peut-être, à tort ou à raison, ce livre, il n'est pas pour moi. Ou bien alors le contraire. Voilà pourquoi il ne faut pas convoquer des imaginaires trop éloignés de l'ADN du livre. Le sujet est d'ailleurs le même pour Horace, dont le premier volet de l'intégrale traduit par Danielle Carlès paraîtra à l'automne : les classiques latins et grecs ont d'ordinaire une robe particulière que l'on n'a pas nécessairement envie de reprendre, mais il ne faut pas non plus trop s'en éloigner. C'est une question d'équilibre. Équilibriste aussi celui qui veut dompter les flux de distribution dans un mois fragmenté comme le mois de mai : les dernières corrections de L'empire savant ont été déposées chez l'imprimeur en fin de semaine dernière et le livre tarde à repasser en production. Or, tant que ce n'est pas le cas, nous ne pouvons pas en faire tirer et livrer où que ce soit. Les délais sont serrés et la participation de Philippe Éthuin au colloque "Le merveilleux scientifique en question" à la BNF la semaine prochaine se fera sans L'empire savant : non seulement le jeudi est férié cette semaine, mais le lundi également au Royaume-Uni (ou aux États-unis, je ne sais plus) et un problème est détecté sur nos fichiers. On en vient donc au moment dans la semaine où l'on se dit (à soi et à autrui) eh ben c'est mort.
mercredi
Parallèlement à la couverture, le contrat du Journal du brise-lames. C'est un peu particulier pour ce livre qui va prendre des formes inédites (lesquelles donc ? on aura l'occasion d'en reparler), ce qui pose des questions inédites là encore, alors ce sera beaucoup d'allers-retours de mails, d'interrogations, de formulations un peu absconses, et ainsi de suite. La couverture d'Ambiance garantie se fixe également, on en est à voir si le titre est mieux au milieu des cheveux ou pas (c'est donc qu'il y a des cheveux, et pas qu'un peu, et des petits légumes, enfin je me comprends). Rendez-vous ensuite avec Sarah Roubato, de passage à Paris, dans un café pas loin, où il sera question de public qu'on croise, de marchés et de marchés, de livres sauvages qu'on pourrait taguer à la place des publicités dans l'espace public ou sur les tables des médecins dans leur salle d'attente, et d'heureuses coïncidences, et de livres audio, et de tout un tas de choses encore que nous pourrions très bien garder (ou pas) pour nous.
jeudi
Je cherche un texte au catalogue pendant un temps que je ne trouverai pas. En chemin, je relirai le début du Garde-fou de Tiphaine Touzeil, qui commence par une évocation des heures et des minutes qui se déclinent chaque jour quand on vit dans le type d'établissement au centre d'un récit comme celui-là. Je l'ai déjà lu il y a longtemps, ce livre, mais je suis comme saisi par une telle entrée en matière.
06 heures 00. La porte à double battant est déverrouillée.
06 heures 01. La télévision de la chambre 35 entre en marche.
06 heures 02. Je voudrais me rendormir sans entendre la une ni la deux ni aucune de ces chaînes.
07 heures 00. L’infirmière n°1 me demande si j’ai bien dormi.
07 heures 30. Sur le pas de la porte, j’avale sous l’œil aguerri de l’infirmière mes 75 milligrammes d’Effexor.
08 heures 00. Un petit pain ou deux petits pains ?
08 heures 30. Contre 90 centimes, la machine me délivre un café.
08 heures 35. Première Fine 120, dans la cour.
08 heures 40. Trois tours de parc, toujours dans le sens des aiguilles d’une montre, comme tous les autres.
09 heures 30. Un nouveau psychiatre, une nouvelle ordonnance, une nouvelle histoire.
10 heures 15. Deuxième Fine 120, sur un banc rouillé.
10 heures 30. 120 pages tournées.
11 heures 30. Sur le pas de la porte, L’infirmière n°2, les médicaments.
11 heures 45. Cinq tranches de tomates, trois boulettes de viande, 134 petits pois, quatre morceaux de carottes, un sachet de vinaigrette, un morceau de fromage, un petit pain, un verre d’eau et un beignet fourré au chocolat.
12 heures 15. La fenêtre peut s’ouvrir sur 8 centimètres. 32 camions, 3 motos, 67 voitures dont 45 blanches par minute défilent sur la quatre voies.
12 heures 25. Contre 90 centimes, la machine me délivre un café.
12 heures 30. Troisième et quatrième Fine 120, dans la cour.
13 heures 00. Il est 13 heures…
14 heures 00. Sur la une, les feux de l’amour chassent les chiffres pendant 45 minutes.
14 heures 45. L’aide-soignante n°1 vient faire la chambre.
14 heures 46. 20 mètres de couloir, quatre ailes, quatre étages. Le même jeune homme qu’hier vient me taxer 50 centimes qu’il promet de me rembourser demain. Comme hier…
15 heures 00. Le téléphone de la chambre 37 sonne 12 fois avant que son occupant ne décroche.
15 heures 30. 20 000 mots, 50 photos.
16 heures 00. Contre 90 centimes, la machine me délivre un café.
16 heures 05. Cinquième Fine 120, dans la cour. 18 fumeurs répartis en groupes de 2, 3 ou 4.
16 heures 10. Deux enfants dans le parc, insouciants. Mes enfants.
17 heures 00. Sixième Fine 120, dans la cour.
17 heures 30. 24 images par seconde.
18 heures 00. Sur le pas de la porte, L’infirmière n°3, les médicaments.
18 heures 15. Un bol de soupe, 254 grains de riz, une tomate farcie, une portion de fromage aux noix, à la noix, un petit pain, une poire pas mûre.
18 heures 45. Contre 90 centimes, la machine me délivre un café.
18 heures 50. Septième puis huitième Fine 120 dans la cour avec les autres drogués.
19 heures 00. Fermeture des deux portes qui mènent à la cour et au parc. L’espace se réduit. 200 mètres carrés.
19 heures 05. Je voudrais pouvoir compter les étoiles mais je ne les vois pas.
19 heures 10. Combien de caresses, combien de baisers, combien de battements de cœur, est-ce que l’amour se mesure ?
19 heures 19. Combien de secrets, combien de peurs, combien de refus, est-ce que l’amour peut survivre à l’ordre social ?
19 heures 30. Fermeture de la cafétéria. L’espace se réduit davantage. 100 mètres carrés.
20 heures 00. Journal de 20 heures dans toutes les télés du couloir.
21 heures 00. Heure des tranquillisants et des somnifères. Chacun tend la main.
21 heures 30. Fermeture de la porte à double battant du couloir. L’espace est confiné. 30 mètres carrés.
22 heures 30. Extinction des feux et des télévisions.
23 heures 00. Quelqu’un n’arrive pas à dormir.
23 heures 30. Quelqu’un pleure.
00 heure 00. Première visite de l’infirmier de nuit. Il vérifie que je dors. Ou pas.
00 heure 30. Quelqu’un parle.
01 heure 01. Passage du train de 1 heure 01.
03 heures 30. Deuxième visite de l’infirmier de nuit. Je fais semblant de dormir.
05 heures 00. Troisième visite de l’infirmier de nuit. Je fais semblant de dormir.
06 heures 00. La porte à double battant est déverrouillée.
06 heures 01. La télévision de la chambre 35 entre en marche.
06 heures 02. Je voudrais me rendormir sans entendre la une ni la deux ni aucune de ces chaînes.
07 heures 00. L’infirmière n°1 me demande si j’ai bien dormi.
Et je repense, dans ses énergies comme ses respirations, à un livre comme Les longs silences, de Cécile Portier, qui est un très beau livre également. Ambiance garantie est en train lui aussi de respirer, Roxane dilate autant que faire se peut la mise en page, pour que le texte soit le plus confortable possible, même si bien sûr le livre lui-même n'est pas extensible à l'infini : il y a là encore un équilibre à trouver entre le confort de lecture, l'épaisseur de l'objet, la pagination qu'on veut atteindre, le prix qu'on vise, etc. Ce n'est pas toujours évident de concilier le tout mais une V6 à 210 pages semble faire consensus. On s'approche. Dernières relectures avant épreuves mi-juin.
vendredi
Série de micro-tâches extrêmement simples et basiques que j'ai tendance à sur-compliquer en vérifiant un milliard de fois chaque donnée dans chaque ligne d'un fichier, par exemple un tableur, par exemple en ce qui concerne des livraisons en librairie pour des rencontres (vérifier que c'est bien le bon code article, vérifier que c'est bien le bon numéro de téléphone, vérifier que c'est bien la bonne quantité), ou bien nos fichiers de dépôts des métadonnées Hachette (vérifier que c'est bien le bon ISBN, vérifier que c'est bien le bon code collection ou le bon code format, puisque tout passe par des codes insignifiants et jamais par des données faciles à contrôler, par exemple, je ne sais pas, des dimensions bien réelles et non une suite de numéros arbitraire). C'est qu'il m'est déjà arrivé d'inverser l'IBSN numérique avec l'ISBN papier ou un code format, ce qui est pesant, mais pas aussi pesant que de se tromper dans une quantité et de faire livrer par exemple 300 exemplaires d'un même livre au lieu de 3, ce qui pourrait facilement arriver. Pour le reste, j'ai une facture à faire et envoyer pour un réabonnement bibliothèque, des commandes sites ainsi qu'un SP à envoyer et le catalogue du second semestre à relire aujourd'hui absolument, et le contrat du Journal du brise-lames à terminer. Ce sera finalement un contrat plus deux annexes, soit un genre d'hydre-contrat à plein de têtes, et plein de mails pour détailler et expliciter ledit contrat pendant des plombes (mais, oui, c'est important aussi).