Carnet de bord 2019, Semaine 14 7 avril 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : antonin crenn, archéosf, Charles-Nicolas Cochin, Daniel Bourrion, Hédi Cherchour, Isabelle Pariente-Butterlin, Joachim Séné, jules michelet, la saga de mô, mathilde roux, michel torres, Nicolas Thély, philippe éthuin, Pierre-Marie Desmaret, Rainer Maria Rilke, Vincent Fleury, virginie gautier
publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.
lundi
L'idée du carnet de bord est venue assez naturellement en réalité. Le truc, c'était de se réapproprier notre propre site. Comment en est-on venu à se dire qu'on n'était plus réellement chez nous sur notre site ? Bon, ce n'est pas exactement cela, mais il faut remettre les choses en perspective. Depuis plusieurs années maintenant, nous procédons régulièrement à des travaux importants ici : il y a eu la migration de l'ancienne librairie vers l'actuel espace que vous avez sous les yeux, qui a nécessité beaucoup de travail minutieux (intégrer des fichiers numériques, créer des variations de produits, interfacer le tout avec le système d'abonnement, qu'il a fallu recréer pour l'occasion...), la création de la plateforme d'accès à distance pour les bibliothèques abonnées, puis le développement de la vente directe de nos livres papier sur le site, sans compter les nombreuses mises à jour indispensables au bon fonctionnement de l'ensemble, et qui ne sont pas nécessairement visibles pour un visiteur extérieur (et sur lesquelles on ne communique pas forcément d'ailleurs). Pour toutes ces tâches, fort heureusement, nous ne sommes pas seuls, nous travaillons avec notre webmaster Romain. Mais le temps passé pour chacune de ces tâches, sans oublier l'incontournable syndrome de tête-dans-le-guidonite, ont fait que nous avons dévié de notre envie de départ : faire aussi de ce site un espace d'échanges, de lectures, de réflexions et pas seulement de vente. L'un ne va pas sans l'autre. Sans doute même que l'un alimente l'autre. Et ce Carnet de bord, qui sera mis en ligne chaque semaine dorénavant, nous permettra de raconter les dessous de la maison d'édition sous la forme d'un genre de feuilleton.
Un site, c'est comme une monture, ça s'entretient. D'ailleurs, Roxane fait du ménage dessus (Everest en soi au vu de la masse de donner à gérer), idem pour le site dédié aux bibliothèques abonnées qui doit être actualisé pour les nouvelles parutions du mois. À côté de ça, c'est relecture-correction du Peuple de Michelet qu'on s'est mis en tête de mettre au catalogue des classiques, tout en mettant à jour ses autres titres num. Mais tout cela demande pas mal de temps et on avance toujours moins vite que prévu.
Viendra aussi le moment de la correction d'épreuves : Erased, Le Tournant numérique de l'esthétique et L'empire savant viennent d'arriver. Quelques petites choses revues par Roxane : lisibilité titraille sur la couverture, texte de quatrième trop grand, QR code oublié, problème de gabarit... Toute une palette d'erreurs dont je ne me félicite pas, mais les épreuves sont faites pour ça. Corrections sur les fichiers indd, mais il faudra de toute façon attendre les retours des auteurs avant de faire la véritable intégration. Sans oublier d'alimenter le compte Instagram, même si ce sont toujours un peu les mêmes photos qui reviennent et le temps manque. Est-ce que ça sert à quelque chose de toute façon ? Ça fait partie des nombreuses questions que l'on se pose en permanence.
mardi
À 11 h comme chaque semaine le mardi, point téléphonique avec Julie, notre chargée des relations libraires, elle-même libraire sur son autre mi-temps. Ce sera un peu plus tard que d'habitude : ici quand le temps est couvert, les portables passent moins bien. Ici, c'est-à-dire près de Lourdes, où l'on prévoie d'aller d'organiser une rencontre dans sa librairie en juin, avec Antonin, dont on a pu découvrir une belle interview dans la Nouvelle quinzaine littéraire cette semaine. D'ailleurs il faut que je valide nos billets de train. Pour que le voyage soit le plus abordable possible nous partirons aux aurores à 6 h 42 (ça pique, m'écrit Antonin), mais peut-être aurons-nous le temps de passer voir la grotte ? Il en est justement question durant nos échanges avec Julie, mais pas que, par exemple il faut comptabiliser les ventes d'un libraire lors d'une autre rencontre la semaine dernière. Petite déception sur le nombre d'exemplaires à facturer mais nous nous rattraperons sans doute dans les semaines qui viennent, la libraire étant désireuse de conserver des livres. Nous referons le point en mai. Il se trouve que les relevés de vente quotidiens d'Hachette (que nous recevons chaque matin à l'aube par email) sont plutôt bons ces jours-ci : en l'espace de deux jours nous avons réalisé l'équivalent du quart de notre mois d'avril 2018 (je parle uniquement en terme de ventes papier en librairie). Bien sûr, on s'en félicite, même si rien n'est jamais gagné pour autant, et que nous sommes bien placés pour savoir que des semaines fastes peuvent précéder de longues semaines de disette (et voici un mot qu'on ne pensait pas se retrouver à écrire ici). Nous cherchons également ensemble un lieu pour accueillir une rencontre courant mai, en librairie ou ailleurs, mais sur une période bien précise et à ce moment-là de l'année, comme on dit sur Facebook, c'est compliqué.
Et au fait comment ça avance La fin du monde ? C'est le titre d'un texte envoyé par Philippe Éthuin pour le site ArchéoSF, ce qui donne à Roxane l'occasion de le nettoyer un peu et de l'actualiser : ça faisait longtemps qu'on y avait rien publié, la fin du monde est une bonne occasion. Je me rends compte que c'est vraiment par cycles que je peux m'en occuper mais que je n'arrive jamais à tenir la cadence sur de longues durées et de manière régulière – trop de projets dans tous les sens.
Début aussi de l'epubisation de Je les revois, idéalement à terminer d'ici mardi prochain pouvoir le mettre en ligne en avance et permettre aux abonnés de le lire en avant-première. Début aussi de l'epubisation de Malika, le dernier opus de la Saga de Mô qui paraîtra en mai. Roxane met le site à jour pour l'occasion mais il y a encore du boulot... Et on pense que epubisation devrait intégrer le Robert d'ici 2020 easy.
mercredi
Relecture d'épreuves de notre premier inédit en ArchéoSF et, justement, il faudrait plus mettre en valeur que c'en est un. Manuscrit perdu au fin fond de la Bibliothèque de Compiègne, c'est la première fois que des lecteurs feront connaissance avec ce texte étrange, parcellaire, mais aussi d'une réelle modernité. Le livre est vraiment beau, la couverture conçue par Roxane rend parfaitement la chaleur qui habite le texte, lui-même traversé de moments de poésie comme lorsque Isidore, le héros du roman qui le voit parcourir une partie de l'Afrique inconnue des Européens à l'époque, fait connaissance avec le lion :
Comme l’aurore est saluée ailleurs par le chant des oiseaux, ici le coucher du soleil signifie le réveil tumultueux d’une multitude affamée. Les hyènes, les chacals, les panthères commencent le concert. L’air est déchiré de leurs hurlements confus et impitoyables. Au bout d’une heure de ce vacarme toujours croissant, dans le lointain se fait entendre une voix majestueuse. Ce premier rugissement du lion fait cesser à l’instant toutes les criailleries. Le profond silence n’est plus interrompu que par les longs éclats de ce tonnerre et si d’autres lions y répondent, on croit entendre plusieurs orages gronder sur la plaine. Tous les animaux de la caravane restaient immobiles de consternation ; nos chevaux les plus fiers se montraient défaits et rapetissés ; tout leur corps tremblait, mouillé de sueur. Et les aboiements de nos chiens ne faisaient qu’accroître leur terreur. Quelle puissance exerçaient sur tous les autres animaux ces espèces redoutables, avant même qu’elles soient connues d’eux. Tous les chevaux de cavalerie de l’Europe réunis et abandonnés à eux-mêmes trembleraient comme des moutons, je ne dis pas à l’aspect du lion, ni même à sa voix, mais de sa seule odeur. Au lieu de se précipiter sur lui, en le foulant aux pieds, ils n’auraient de défense que de se serrer tous ensemble, tandis que leur ennemi choisirait et dévorerait sa proie. Prodigieux effet de quelques miasmes imperceptibles, qui en effleurant un sens détruisent tout courage et toute force. Par un contraste non moins singulier, ces terribles dominateurs sont eux-mêmes frappés d’épouvante au seul bruit d’une mouche. Aussitôt que le zimb-zimb a fait entendre ce cri aigu que son nom exprime, les lions fuient éperdus, ainsi que les éléphants. Une déroute générale les entraîne jusque dans les déserts de sable. La nature humaine leur a révélé où cet insecte n’y peut être point.
Mais c'est aussi un pur ArchéoSF en cela qu'il imagine tout un tas d'appareils et d'inventions du futur (et qui pour certains correspondent à notre propre présent, comme le présente bien Vincent Haegele, qui a retrouvé le manuscrit, puis édité, annoté et préfacé le livre) :
Isidore découvre de curieux appareils, des fluides, des cristaux qui répercutent les ondes, font apparaître la matière enfouie, ou, plus communément, transmutent les métaux. Desmarest imagine tour à tour un appareil capable de lire dans les pensées, un autre qui permet d’écouter les conversations (sa description ressemble de façon troublante au téléphone), les rayons X, la cryogénisation (ou principe de vie arrêtée à la demande), la fécondation in-vitro, la capacité de se mouvoir dans les airs, les boissons énergisantes, une pédagogie où instruction et éducation sont inextricablement mêlées, l’usage de la psychanalyse et l’intuition de l’inconscient… À chacune de ces inventions ou découvertes, le narrateur est confronté aux problèmes moraux, éthiques et sociaux qu’elles provoquent : perte des repères, société du spectacle et de l’image, répression gouvernementale stérile, coexistence des générations, marchandisation du corps humain et de ses fonctions reproductives…
L'autre parution d'ArchéoSF paraîtra également en juin, que Roxane finit de relire de son côté, plongée dans un tourbillon de virgules à élaguer, de majuscules à minusculiser : les joies des textes anciens et de la correction archéosfienne. Une première version de la couverture, pas encore finalisée car manquant d'aspects architecturaux (très présents dans le livre), est là – un peu en retard… Les deux couvertures ne sont-elles pas prêtes à être présentées et manipulées ensemble sur les tables ?
Roxane recherche aussi désespérément son exemplaire du deuxième volume de Rilke pour une photo qui accompagnera l'article de parutions. Là, je suis face à ma montagne de livres publie.net... On ne se mentira pas, l'importance du stock et sa diffraction en différents lieux (quatre en tout répartis entre Paris, Toulouse et Montpellier) pose parfois souci. Là, Roxane va défaire la moitié de sa bibliothèque pour le retrouver derrière son ordinateur (le temps se perd...). Quant à moi, j'ai dû intégrer une colonne spéciale à mon fichier de stock pour me rappeler à quel endroit de l'appartement j'ai mis tel titre. D'ailleurs, j'y pense, je dois mener un inventaire bientôt (comprendre : il y a deux mois).
Un autre beau projet nous occupe : un genre de paysage augmenté où les cartes et collages de Mathilde Roux rencontrent les textes de Virginie Gautier. Comme il s'agit de planches graphiques, il faut caler tout ça dans un former adéquat (qui sera celui qu'on appelle entre nous le format cabane, non pas qu'il permette qu'on y vive en retrait de la civilisation mais du nom du premier livre qui l'a expérimenté, comprendre 10.8 sur 17.8cm). Les allers-retours de calage se multiplient, d'abord les images, ensuite le texte par-dessus. D'après Roxane, sa première version était trop ramassée, trop en colonnes, les filles m'ont demander de rallonger tout ça, de grossir un peu la typo : et effectivement, ça va beaucoup mieux. C'est toujours une émotion particulière quand un livre prend forme, plus encore quand c'est un défi graphique comme celui-ci. Là, il m'a semblé que les listes (il y en a) étaient un peu trop sages, et de fil en aiguille Roxane en est maintenant venue à se dire qu'on pourrait créer une sorte de légende pour chaque type d'entrée de liste, ce que j'appelais "légende" mais que Virginie qualifie plus judicieusement d'"alphabet". On teste. Plein de symboles encore restent à interchanger, trouver, inventer.
jeudi
Faute de temps de cerveau pleinement disponible, je n'ai cessé toute la semaine de remettre au lendemain le moment de découvrir la nouvelle version du manuscrit d'#Hh, nom de code qu'a trouvé Joachim Séné pour son prochain roman, L'homme heureux, et dont il rend compte de ses travaux de réécriture sur son site. Ce n'est pas vraiment (relire un texte, travailler à l'annoter dans ses moindres recoins après une phase plus générale sur les énergies d'ensemble effectuées en décembre-janvier) quelque chose que je peux faire en picorant une heure ou deux ici ou là entre d'autres tâches parallèles. Voilà pourquoi je le remets encore, ce ne sera pas pour aujourd'hui. Mais ça me pèse de ne pas être en accord avec mon propre planning, fût-il mental. Non, la journée est surtout consacrée aux déclarations de droits d'auteur pour l'année 2018. Qu'on ne croie pas qu'il nous suffise de cliquer sur un bouton pour tout générer directement, ça en passe par divers fichiers de type tableurs qu'il a fallu alimenter ces dernières semaines, et qu'il convient de vérifier minutieusement. Surtout, le nombre des canaux de vente (ventes papier en librairie, ventes papier hors librairie, ventes numériques sur notre site, ventes numériques sur les différentes plateformes, abonnements individuels, abonnements bibliothèques) et le nombre de titres au catalogue (notamment numérique) nécessitent que l'on y passe du temps. Hier encore, je me rendais compte d'une erreur sur les tableaux de l'an dernier, certes sans conséquence sur le plan des nombres de ventes, mais qui implique de revérifier tout l'historique de ventes de certains titres à nouveau. Là, même si les fichiers sont prêts, ce n'est pas fini pour autant, et c'est au tour de Philippe qui, après s'être tapé la compta du premier trimestre en début de semaine, travaillera à la génération des relevés à envoyer aux auteurs dans les prochaines semaines.
D'autres projets se dessinent également, c'est le cas par exemple des Étés Camembert que Daniel Bourrion appelle sur son site sa série Usine d'étés. C'est un peu compliqué à envisager, parce que le texte est court, et que par conséquent la tentation vient vite de le compléter par autre chose. Une idée est venue, celle de coupler ce texte à son Robert Smith pour une parution tête-bêche (on retournerait le livre pour passer d'un récit à l'autre). La réponse de notre imprimeur (Lightning Source) nous fera changer de direction : notre système qui va analyser le fichier va bloquer le titre si celui-ci propose deux sens de lecture en même temps. Le système ne peut accepter qu'un sens de lecture classique ou renversé (manga). Robert Smith en manga, ça pourrait le faire. On aurait déjà le nom du personnage principal, il apparaît en objet dans nos mails à tous trois (Daniel, Roxane et moi) : ROBERT CAMEMBERT. Rien que pour ça, on ira loin.
Pour Roxane, l'epubisation de Je les revois continue : en réalité, l'export et le code vont vite car j'ai l'habitude de mes fichiers indd (comprendre InDesign), mais il faut traiter toutes les images.
vendredi
Comme chaque début de mois, c'est l'heure de la lettre d'information. Ne pourrait-on pas écrire un jour un genre de lettre de désinformation ? On passerait notre temps à donner des infos complètement accessoires sur nos parutions, par exemple le poids au microgramme près, ou le premier mot de la 99e page, ou une liste de mots ne figurant pas dans aucun des livres concernés. On pourrait aussi faire un genre de lettre d'info à l'envers, qu'il faudrait lire dans un miroir, par exemple dans la salle de bain le matin en se brossant les dents. Pas cette fois. Cette fois, c'est une lettre d'info entièrement composée de questions. Ce sera probablement horripilant. Mais fun. Voilà ce que j'écris dans mon mail à l'équipe pour le soumettre le texte : c'est encore à l'état de brouillon mais si vous avez des retours (ou si vous souhaitez vous désolidariser de l'édito tellement vous en êtes affligé), vous avez jusqu'à... Le truc, c'est que je passe moins de temps à écrire la newsletter quand je procède par contrainte que quand j'écris normalement. Du coup, j'en viens à rêver qu'on nous envoie plein de contraintes loufoques en réponse ou en commentaire, contraintes que l'on tirerait au sort pour le mois suivant, et ainsi de suite. Histoire de ne pas trop se répéter. C'est important de ne pas trop se répéter.
Important également d'y inclure l'affiche réalisée par Roxane en deux-deux pour le lancement du livre d'Hédi Cherchour au Monte en l'air le 24 avril : j'ai peur que ce soit trop coloré mais je crois qu'il faut me rendre à l'évidence aussi, j'ai du mal à ne pas colorer les choses dans mon travail. Alors on est comme ça, nous autres : tout colorés. Je crois que ça nous va bien.