[NOUVEAUTÉ] Image et récit de l'arbre et des saisons, de Jacques Ancet 13 février 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : Christine Jeanney, jacques ancet, jean-yves fick, poésie, Ronald Klapka, temps réel
On ne présente plus Jacques Ancet. Grand poète contemporain, immense traducteur également, c'est aussi quelqu'un qui accompagne publie.net depuis ses débuts (premiers textes en 2008) et dont nous aurons plaisir à rééditer également les essais dans les prochains mois. En 2016, nous avions réédité son cycle en prose, Obéissance au vent pour fêter notre première participation au Marché de la poésie. L'année suivante, un éclair poignant et hors normes : Le dénouement (si vous ne l'avez pas déjà lu, eh bien faites-le, c'est quelque chose d'unique). Aujourd'hui, avec beaucoup de plaisir, nous vous proposons à présent Image et récit de l'arbre et des saisons, publié initialement chez André Dimanche il y a plus de quinze ans, et depuis plusieurs années épuisé. Comme toujours lorsqu'il s'agit des livres de Jacques Ancet, un merci tout particulier à Jean-Yves Fick, ici accompagné de Christine Jeanney, pour leur aide précieuse sur le texte.
Comme l'écrivait à l'époque Ronald Klapka pour la Lettre de la Magdelaine :
Jacques Ancet nous aura donné un de ses livres les plus aboutis dans lequel se révèlent en acte(s ?) sa poétique et son interrogation sur ce que peut encore aujourd’hui la littérature. Comme cet homme face à sa fenêtre, face à l’immense poirier, la montagne, le pré, en qui passent la vision d’un malade seul regardant tomber le soir, celle d’un couple enlacé dans l’une des chambres de l’étage, ou celle d’un homme écrivant dans une pièce encombrée de livres, le lecteur ressentira que « la poésie n’est pas de l’ordre de la "langue" mais du "discours", C’est-à-dire d’une parole singulière incarnée et située, comme toute vraie parole ».
Ici, au cœur d'un décor réduit à sa plus simple expression (un champ, une montagne au loin, une ferme), l'image d'un arbre se dépose sur une fenêtre. Un homme, dans une chambre, le regarde. Et inversement. Se déploie alors un espace, immense et infime, qui s'approprie à la fois l'obscur de la nuit, la friction des écorces, les flux de luminosité du jour et la phosphorescence des neiges. Dans cet opus qui s'apparente à ses Quatre saisons, Jacques Ancet chante l’apparente immutabilité des choses et leurs secrètes métamorphoses.
GV
Lire un extrait
Quelques pétales épars se détachent encore du feuillage maintenant entièrement vert où les fleurs ne sont plus qu’un semis d’étoiles fanées, couleur miel, à peine visible dans le frissonnement léger. Tachée d’ombre et de soleil, l’écorce du tronc est une géographie mouvante, terre et cendre. Les traces des jours s’y inscrivent et les yeux s’attardent sur les plages claires, les craquelures, les écorchures, les fissures mauves, le travail obscur des mousses, tout un monde inépuisable que la distance rend uniforme, paisible, dans la douceur de l’après-midi. Derrière, les gris, les bleus, les blancs du ciel changeant ne cessent de tisser une toile brouillée sur laquelle réapparaît le profil plombé de la montagne. À gauche même, au-dessus du toit de la ferme, plus haut que les pentes violettes des bois, s’ouvre la clarté vert pâle d’un champ, surmontée d’une crête rocheuse et d’une dentelure bleue-noire de sapins. La vie a repris ses droits et le regard circule à nouveau avec aisance dans l’image. Malgré le vent qui s’est levé, l’herbe du pré reste immobile. Pareille aux prairies des toiles impressionnistes, elle est un fouillis de touches distinctes mêlant de longues traînées roses, des taches rougeâtres, des semis intermittents de points allant du blanc au jaune d’or et aux multiples nuances du vert. Il en émerge pourtant un ordre léger, insaisissable, que l’œil s’épuise à discerner. Puis, lassé, brouillé par trop d’effort inutile, il revient au premier plan dont la stabilité reposante – encadrement de la fenêtre, tronc massif de l’arbre – apaise son vertige. Pause. Vrombissement d’un petit moteur dans le flou de l’image. Silence. D’une des deux boîtes de bois suspendues au tronc, s’échappe un oiseau (queue-rouge ou mésange) trop vite pour qu’un nom puisse s’imposer. Le récit des heures se poursuit dans la simplicité tranquille de l’après-midi. Vers le soir, une sorte de petit drame se prépare. Derrière le tremblement de l’arbre, la partie supérieure de l’image s’obscurcit, devient noire, tandis que l’entier du feuillage s’illumine d’une lumière intense. Mais rien, finalement, ne se produit. L’orage demeure une menace suspendue peu à peu recouverte par le soir
L’écriture est lente mais régulière. On voit la main droite glisser de gauche à droite, accompagnée de son ombre, tandis que la main gauche, index et majeur écartés, posée sur le bord de la feuille, la maintient fermement. Tout le corps légèrement incliné vers l’avant participe à cet acte immobile. La tête, à peine penchée sur la droite, surplombe un mouvement qui lui semble étranger, mais derrière les petites lunettes métalliques, les paupières et les cils ne cessent de battre sur les yeux attentifs. De temps en temps, la main s’arrête, hésite, suspens imperceptible, puis reprend son trajet. La page ainsi est vite remplie et produit un froissement léger quand la main gauche la retourne. La lumière matinale qui entre par la fenêtre à gauche, tamisée par le feuillage, tremble sur la table et le mur. Trilles, roulades, cris, pépiements accompagnent le bruit discret de la plume sur le papier et, un instant, il semble que la silhouette de l’homme assis en train d’écrire entre dans l’image, se superposant puis se confondant à elle
Sur la fenêtre, l’arbre et le monde sont une seule image, instantanée, débordant de son explosion fixe la lenteur de toute écriture. Que peut alors l’homme qui chaque jour vient s’asseoir devant elle, sinon faire le récit de son regard appliqué à suivre patiemment l’infini réseau des branches, les variations de la lumière, des jours, des nuits et des saisons, en quête d’une improbable coïncidence ? Ce qui jusque-là, dans tout roman, toute narration n’était que l’arrière-plan ou, tout au plus, le témoin muet de nos vicissitudes et de nos drames, en est soudain devenu le centre, rejetant le monde des hommes, les âges de la vie, dans les marges de son irrésistible prolifération. Non plus décor mais personnage à part entière, l’arbre est donc le sujet de ce livre, traversé par ailleurs d’une interrogation sous-jacente mais obsédante : que peut encore, face aux arts visuels traditionnels — peinture, photo, cinéma — mais aussi face à ceux qui triomphent aujourd’hui — vidéo, imagerie virtuelle —, cet exercice silencieux, solitaire, imperceptible, qu’on appelle littérature ?
JA
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160 pages
ISBN papier 978-2-37177-566-4
ISBN numérique 978-2-37177-202-1
19€ / 5,99€
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