[REVUE DE PRESSE] 30 ans dans une heure, sur la Cause Littéraire : des voix qui nous invitent à danser sur le quai des possibles 18 janvier 2019 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : 30 ans dans une heure, Sarah Roubato
Merci à Cathy Garcia pour sa chronique sur La Cause littéraire, que vous pouvez retrouver ici.
30 ans dans une heure : qu’est-ce qui relie les paroles de ces presque trentenaires d’ici et d’ailleurs ? Un âge qui marque une étape importante dans la vie, l’âge où la pression sociale se fait plus forte et où on commence à prendre conscience du temps qui passe.
Toutes ces voix rassemblées dans ce roman forment une polyphonie dont la note commune est un questionnement sur le sens, une quête de sens, de liberté et d’authenticité. Tout ne coule pas de source, et dans le monde qui se présente à elles, elles n’ont plus forcément envie de perpétuer des habitudes, des modes de vie et de pensée sans en interroger véritablement le sens. C’est une sorte de crise qui se traduit plus fortement pour ces personnes – pour cette génération ? – par un besoin pressant et vital de cohérence.
« C’est une espèce de courbature à l’âme. Comme un muscle qui tire chaque fois qu’on triche ».
Certains ont déjà fait le pas, le pas de côté.
Travailler, s’insérer, fonder une famille, éduquer ses enfants pour qu’ils aient une bonne situation, assurer sa propre carrière, sécuriser ses arrières, avoir des loisirs, des projets, être compétitif, prévoyant mais consommer sans se poser de questions. Voilà le réel qu’on leur a appris.
« Il vaut mieux peut-être s’exténuer à essayer d’inventer autre chose, au lieu de chercher à s’abriter dans les ruines de ce qui nous rassure. Il vaut mieux peut-être travailler à se donner les moyens de dire merde », dit l’une des voix.
Même quand elles sont marginales ces voix qui s’expriment ici, ce qu’elles disent est universel, va à l’essentiel et défie toute catégorisation, elles parlent de ce pas de côté qui permettrait de donner sens justement, de sortir des ornières et des sens uniques obligatoires, de donner de la dignité à ce que l’on vit, ce que l’on fait, à soi-même comme aux autres.
Comme Olivier chez qui « on était reçu comme des rois, mais jamais comme des invités » (…) Sa pauvreté n’était pas un refuge pour le laisser-aller, ni son exigence un abri pour l’orgueil. Quitte à faire quelque chose, autant le faire pour de vrai. Pour lui le mieux possible, c’était l’ordinaire.(…) Aucun de ses gestes ne clashait avec ses valeurs ».
Ces voix parlent de réappropriation, réappropriation de sa propre vie, de sa pensée, de ses choix et de sa responsabilité, y compris celle de ses erreurs et échecs, elles parlent aussi d’apprendre à disparaître.
« “Il devait avoir une faille”. C’est pas une faille, Madame, c’est un tunnel. Un couloir qui s’enfonce dans la vérité d’un homme ».
Elles parlent d’angoisses, de pertes de repères, de la violence du monde, de solitude.
« Un animal a envie de chialer en moi. Mais il a perdu son cri. Je me sens sec. Sec comme un arbre mort qui a encore assez de feuilles pour ne pas que ça se voie. Il faudrait quelque chose pour me rendre à nouveau vivant. Un autre regard qui se poserait sur ma vie. Quelqu’un qui verrait ce que je ne m’autorise pas à être. Quelqu’un qui ferait bien plus que m’apprécier. Qui pourrait m’espérer ».
Il y a des voix qui ont choisi de se mettre au vert pour de bon, qui préfèrent parler aux animaux :
« Tu dois penser que les humains, ça assure. On t’apporte du foin, de l’orge, des carottes. Ta citerne ne manque jamais d’eau. (…) On donne l’impression de savoir ce qu’on fait. Si tu les voyais, une fois dans leur monde, pas foutus de vivre ensemble ces humains ! Chacun dribble avec son petit moi. Ils jouent à un jeu sans connaître les règles. Alors ils se cognent, fatalement, de tous les côtés. Ils se cognent des mots, des intentions, des sourires, des projets, des caresses.
Ce ne sont pas les plus féroces qui ont les coups les plus cinglants. Ce sont tous ceux qui font mal sans faire attention, par paresse ou par négligence. Rien qu’avec des non-dits, des oublis, des laisser-faire ».
Il y a des voix qui cherchent à dénuder l’évidence, des voix qui chuchotent d’autres possibles.
« Il dit qu’il faut toujours porter en soi l’opposé de ce qui nous entoure, car sans l’ombre, la lumière ne sait pas éclairer ».
Des voix qui nous invitent, quel que soit notre âge, notre sexe, notre genre, notre identité, à danser avec elles sur le quai des possibles.
Qu’est-ce qu’on cherche au fond, toutes et tous, et que nous sommes si habiles à couvrir de mensonges qui nous font croire que ce n’est pas possible ?
Sarah Roubato, entre autre pisteuse de paroles, écouteuse à temps plein, parcourt, depuis pas mal de temps et par tous les temps, la France, et plus encore, pour glaner justement des voix, les rassembler, les porter, les faire entendre. Bien qu’ici elles sortent toutes de sa propre imagination, on ne peut s’empêcher de penser qu’elles sont nourries de rencontres réelles.
Une polyphonie où la fiction se fait miroir, écho des possibles, à nous d’en capter toutes les résonances, tous les reflets et peut-être parvenir ainsi à mieux nous voir et nous écouter nous-mêmes.