[NOUVEAUTÉ] 30 ans dans une heure, de Sarah Roubato 5 septembre 2018 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : roman, Sarah Roubato, temps réel
Rentrée, acte III. Après les voyages dans le passé opérés avec Cor et Village ces dernières semaines, notre troisième livre à paraître aujourd'hui s'interroge sur un présent très concret, et de proches avenirs. Avec 30 ans dans une heure, premier roman particulièrement sensible de Sarah Roubato, c'est une vaste galerie de personnages qui trouvent chacun une voix à articuler. Comme son titre l'indique, les hommes et les femmes qui s'expriment dans ce livre sont sur le point d'avoir 30 ans et de voir leur vie basculer. Certains s'apprêtent à réaliser leurs rêves, d'autres à y renoncer, d'autres encore en sont à s'insérer dans le moule prévu pour eux par une société qui les dépasse... Quant à certains, ils n'espèrent qu'une seule chose : disparaître d'ici (pour mieux réapparaître ailleurs ?).
Écrit sous la forme d'un roman choral aux témoignages entrelacés, 30 ans dans une heure entretient un formidable effet de foule et construit une narration au nous qui en dit beaucoup sur notre époque prête à mettre la mise en scène d'une multitude de je, notamment sur les réseaux, au centre des débats. Et si le renoncement et le désespoir semblent au cœur des sensations qui traversent ces personnages, un même élan vers des avenirs plus doux se révèle malgré tout, preuve que le désir peut encore s'avérer riche (et vif) en eux.
Sarah Roubato, auteure après les attentats de novembre 2015 d'une lettre ouverte ("Moi, je n'irai pas qu'en terrasse"), lue et partagée massivement à l'époque, signe ici un premier roman à la fois riche et ciselé qui parvient à saisir la singularité de toute une classe d'âge en proie aux doutes de notre époque tourmentée.
Partout en France et ailleurs, ils sont sur le point d’avoir trente ans. Une foule d’anonymes qui cherchent à habiter le monde ou à le fuir, à dessiner leurs rêves ou à s’en détourner. Au cœur du tumulte, ils s’interrogent, se font violence et ce sont leurs voix que l’on entend se déployer :
Chacun dribble avec son petit moi.
On a soif. Soif d’un nous.
Je me sens la taille d’une comète à qui on offre l’espace d’un bac à sable.
Un animal a envie de chialer en moi.
Il y a des jours où j’aimerais que quelque chose me maintienne quelque part. Que je puisse dire ce que je fais ici. Qu’il y ait une raison.
Je veux passer le plus de temps possible à cultiver mon champ d’étoiles.
Demain j’ai rendez-vous avec ce qu’on attend de moi.
Le rêve c’est un muscle, ça doit s’atrophier si on ne l’utilise pas.
Roman choral de l’espoir et des désillusions aux monologues finement entrelacés, 30 ans dans une heure dresse le portrait d’une jeunesse en proie aux désirs et aux renoncements.
Avec ce premier roman, l’auteur de Lettres à ma génération tisse un faisceau de récits croisés d’une grande justesse.
Lire un extrait
Elle se tord dans le cendrier comme quelqu’un qui vient de recevoir une balle dans le ventre. Elle sautille encore entre mes doigts, et puis s’effondre au milieu des autres.
Le cendrier est plein. Demain il faudra que je le vide. Ce sera la dernière fois. Demain c’est dans une heure.
Dans une heure j’arrête de fumer. Pas pour la santé, pour l’horizon. Pour moi, la clope, ça n’a jamais été une affaire de pompage de nicotine. Seulement demain, il n’y aura plus de place dans ma vie pour les rêveries de balcon. Il y aura le générique de la matinale à la radio comme réveil, le fond de céréales qui aura toute la journée pour coller au fond du bol, le coup de eyeliner sur l’œil gauche toujours moins bien fait que le droit, le miroir de l’entrée qui va retrouver une existence. Le soir à la boulangerie, compter le nombre de baguettes tradition qu’il reste et le nombre de clients avant moi. Redescendre à la supérette chercher un paquet de chips ou un citron. Se sentir enveloppé dans un autre monde en plongeant dans le canapé, télécommande à la main et petite couverture sur la poitrine. Quelque chose de stable, de solide.
Maman est rassurée. Sa fille va avoir un endroit où aller et d’où revenir chaque jour. Finis les mois à ne rien faire. Pas question de lui faire comprendre que c’est là que je me suis le mieux entendue avec moi-même. Je veux dire, littéralement entendue. J’ai compris plus de choses sur ce balcon enfumé que dans toutes les réunions d’orientation et les confidences de fin de soirée. Ici je suis entière. Je me suis parlée comme personne ne saura jamais m’entendre. Demain je vais devoir me présenter. Avoir des opinions, de quoi me plaindre et de quoi rigoler. Savoir dire ce que je fais, ce que j’aime, d’où je viens, ce que je fais là. Demain j’ai rendez-vous avec ce qu’on attend de moi. La clope, elle n’attend rien. Je sais, j’aurais pu trouver mieux comme confidente. On s’invente le Philinte qu’on peut. Si je l’emmenais dans ma nouvelle vie, ce serait infernal. Elle aura toujours le goût des rendez-vous avec moi-même. L’écart serait trop grand avec ceux qui pompent leur nicotine en marchant, ou avec le gobelet blanc de la machine à café.
Je finirai bien par le prendre, le café de la machine. Je le goberai sans m’en rendre compte, pour me faire croire que ça me réveille. Ce sera un de ces gestes que je ferai sans l’habiter. Je garderai au moins ce geste-là entier. On ne sait jamais… Plonger les doigts dans le paquet, évaluer la bonne quantité de tabac entre deux doigts, filtre et papier déjà prêts dans l’autre main, sortir tout juste la bonne quantité, faire tourner le papier entre les doigts, comme on balance un enfant dans un berceau, et quand on le sent, un coup de langue et le Finale. Je veux rester présente à ce geste. Même si c’est celui de millions d’autres. La clope aura toujours pour moi le goût d’un balcon.
Présentation vidéo
152 pages
ISBN papier 978-2-37177-549-7
ISBN numérique 978-2-37177-188-8
14€ / 5,99€
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