[NOUVEAUTÉ] M.E.R.E, de Julien Boutonnier 28 mars 2018 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : Anthony Ceccarelli, julien boutonnier, l'esquif, poésie
En 2014, nous avons tous reçu Ma mère est lamentable en plein visage. Nous ne savions pas alors que ce livre, entre poésie narrative et récit de l'absence, du deuil, serait le premier opus d'une trilogie hors normes. Aujourd'hui, trois ans et demi plus tard, nous arrivons à un aboutissement : le deuxième volet de cette trilogie paraît après littéralement des mois de travail dans la collection l'esquif dirigée par Virginie Gautier et Jean-Yves Fick. Avec ce livre, l'auteur nous sort le cœur de la poitrine pour le faire battre dans ses mains et nous le donner à voir, nous le donner à lire, pendant rien de moins que 496 pages. Et celles et ceux qui ont assisté à la performance de Julien le 20 mars dernier à l'occasion de notre dixième anniversaire (ou qui se souviennent de son cri poussé dans la nuit toulousaine fin 2015 - il sera entendu en direct jusqu'à Saigon) savent qu'on touche ici au plus juste avec cette image. M.E.R.E, puisque c'est là son titre, est un livre absolument viscéral qui dépasse de beaucoup les cadres du livre de poésie, qui explose les contraintes et les conventions. Qui va au-delà, car c'est là son parcours et c'est de là qu'il crie.
C'est aussi un modèle de livre qui se réinvente au contact de son support. Il n'y a pas un M.E.R.E que nous déclinerions de façon mécanique avec une version imprimée d'un côté, une version numérique homothétique de l'autre. Non : il y a le M.E.R.E papier (près de 500 pages de poésie spatialisée, d'exploration du texte comme matière à même de contenir, ou de conjurer, le blanc de la page), le M.E.R.E numérique (avec un texte resserré, plus dense, et un réseau de liens entre les balises, une architecture liquide qui pointe de partout à la fois et qui se déforme à mesure que l'on y progresse, et tout un versant propre à ce format qui se propose de rendre visible l'envers du texte, par un jeu de citations, d'extraits du journal de l'auteur, de créations sonores ou de photos - elles sont magnifiques, et l'œuvre d'Anthony Ceccarelli) et bientôt le M.E.R.E web, sur le site http://balises.net (encore un peu d'attente pour y accéder). Il existe aussi un M.E.R.E décliné en live, pensé pour la performance et l'interprétation du texte à voix haute : regardez donc la captation vidéo de notre soirée du 20 mars ci-dessous pour vous en convaincre, c'est une expérience de tout premier plan. Ou bien optez pour ce petit avant goût de ce qui vous attend, dans un format ou dans un autre, en vidéo toujours :
M.E.R.E est un texte pluriel, rare, qui s'est construit dans l'acte fondateur du deuil. Le deuil dans l'écriture. Dans son journal, dont l'un des fragments est repris pour l'un des carnets de la version numérique, Julien Boutonnier écrit : La mort de ma mère fut oui un père pour moi. Il ne s'agit pas du point de départ d'un processus d'écriture qui durerait depuis mais de la matière même d'une langue saillante, truffée d'effets d'échos et de résonances sonores, qui s'invente autant dans la douleur, dans la difficulté, que dans l'impossibilité, parfois, d'émettre (c'est-à-dire concrètement d'articuler les syllabes, qui semblent devoir reprendre ici leur indépendance, leur singularité, et renouer avec l'origine de leur son). La matière d'une langue qui me loge, écrit-il. Ultime geste d'écriture, il y a peu : Julien Boutonnier est allé jusqu'à se faire tatouer les lettres figurant dans le livre et servant de repère aux balises. Une lecture à vif, c'est bien de cela qu'il s'agit. Et nul doute qu'elle vous marquera tout autant à présent que le livre s'offre à d'autres, qu'une nouvelle vie commence pour lui.
on est foutu, quelqu’un a dit
la main a remué : nos cendres
des fleurs ont été là
La remémoration que Julien Boutonnier conduit dans M.E.R.E. construit coûte que coûte le récit impossible de la perte. À partir du trauma puis d’un rêve, l’édifice d’une narration s’élève peu à peu, serait-ce depuis sa fragilité. Chaque mot sur la page est potentiellement joint et disjoint pour chercher un sens nouveau, un signe, une langue qui donnerait à entendre ce qui depuis le début reste indicible : l’effacement, l’œuvre de mort. Dans ce travail, la lettre est envisagée comme une balise à laquelle pourraient s’arrimer les morceaux d’un langage disloqué. La spatialisation, le ressassement, la langue tout entière manipulée avec un tel entêtement et une telle précision donnent au texte une ampleur considérable et produisent une œuvre poétique bouleversante.
M.E.R.E se décline en trois versions différentes et complémentaires : une version spatialisée au format papier, une version en prose au format numérique, enrichie de photographies, de montages audio, de citations et d’extraits du journal de l’auteur, et enfin, une version performée proposée sur le site http://balises.net.
Ce texte est le deuxième ouvrage d’une trilogie commencée avec Ma mère est lamentable, également disponible aux éditions Publie.net.
À terme, je voudrais proposer une expérience de lecture qui soit une sorte d’errance sous hypnose. La multiplication, dans chaque balise (12 chaque fois (les quatre lettres de l’acronyme M.E.R.E et les huit chiffres de la date du non-événement de la mort de ma mère 06 04 1991), des liens renvoyant à d’autres balises, invitera le lecteur à passer d’un texte à l’autre, sans nécessairement tout lire d’ailleurs, je voudrais même qu’il ne lise pas tout. Dans ces passages répétés d’un poème à l’autre, j’espère que le lecteur se perdra, perdra le fil de ce qu’il lit (ce qui devrait être facilité par la redondance des poèmes et leur obscurité (je veux dire que ces poèmes sont conçus plus comme des nœuds que comme des messages), entrera dans un état hypnotique, errant d’une balise à l’autre, comme dans un rêve, sans plus savoir ce qu’il fait. Ce serait ça, la traversée du territoire du vide, le partage d’une sidération, d’une non-mémoire, d’un creux, d’une absence, au-delà du sens des mots, lesquels se réduiraient, en quelque sorte, à l’espace physique qu’ils occupent sur l’écran, à leur matérialité vibrante, à leur présence.
Journal de l’auteur – vendredi 24 mai 2013
Dix ans de publie.net : performance de Julien Boutonnier from publie.net on Vimeo.
496 pages
ISBN papier 978-2-37177-515-2
ISBN numérique 978-2-37177-171-0
25€ / 5,99€
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GV