[REVUE DE PRESSE] Nadine Agostini sur Sitaudis 17 octobre 2017 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : histoire d'io, minotaure, mythologie, nadine agostini, pasiphaé
Merci à François Huglo pour cette chronique à retrouver sur Sitaudis.
Oublions Phèdre, la janséniste. « La fille de Minos et de Pasiphaé », c’est aussi Ariane, la demi-sœur du Minotaure. Et c’est celle qui écrit, qui dit et dit « elle dit » : « je suis le labyrinthe / la pers. qui écrit elle nous vole la vedette elle veut à notre place monter sur le podium elle dit / je suis le lab lab le labo du la bial elle dit (…) Ariane imbécile c’est moi ». Le lecteur (et celle qui écrit est aussi celle qui lit) serait plutôt le Minotaure : « dévoration je suis dans la dévoration quand je / mange j’entends ça j’entends la voix du poète / dévorez vos rations le Ghérasim il a bien dû écrire / ça ou quelque chose d’approchant c’est sa voix que j’entends / quand je mange engloutis les poètes je les dévore dans ma / bibliothèque (…) / Ghérasim je ne sais plus de quelle période il date la mienne la future ou celle de l’Enki et puis du Gilgamesh ma tête mon labyrinthe intérieur ma demeure c’est le temps qui s’écoule ». Ce lecteur se méfie du podium dont parle celle qui dit être Ariane, car il lui rappelle le socle rencontré dans l’histoire d’Io : « Elle pensait que les hommes la plaçaient sur des socles pour les faire tomber. Plusieurs fois les hommes avaient placé Io sur des socles. Elle en était toujours descendue ». Créeraient-ils des idoles pour les abattre et se hisser à leur place ? Io pense que pour être vivantes, les statues n’ont pas besoin de socles, qu’elles doivent être « plantées en terre ».
L’expérience du socle rappelle à Io celle de la corde au cou. Héra, jalouse (celle qui coupe de la terre : « Héra qui veut m’éradiquer ») voulait sa peau, alors « il » a changé sa peau, l’a métamorphosée. La voilà « attachée comme une bête », la voilà « effrayée de (sa) propre apparence », car c’est ainsi que « l’autre là » lui dit qu’il « (l)’aime et (la) désire ainsi que nouvellement faite par lui » : comme une idole, « une abomination blanche et sacrée la vache ». L’expérience est aussi celle du miroir : « Entrer dans la glace pour passer derrière le miroir. Soulever les tissus. Se souvenir. Du corps. Regarder le corps devant le miroir. Ce corps ne lui appartient pas. Le corps des autres ne lui appartient pas. Elle dit vas-y. Elle dit ressemble à N.A. Re semble ».
Si le récit d’Io est écrit à la troisième personne, c’est en effet comme le journal en ligne hebdomadairement publié par N.A. sous le titre Les Nouvelles aventures d’Adrénadine. La date « vendredi 13 » nous indique d’ailleurs que ce récit est tiré d’un journal. Io vomit. Est-ce « la corde au cou qui la serre » ? Est-ce l’écriture qui vomit ce que la lecture a ingéré ? « Io sent que cette écriture qui lui sortait par la bouche et qu’elle ne reconnaissait pas comme sienne était sa nouvelle parole ». Autre socle à contourner, autre laisse laissée (« lasse de la laisse-moi tranquille »), autre miroir traversé, autre métamorphose. Io se prend même pour le Minotaure : « Dites que je ne suis pas là. Je retourne dans ma tête. J’erre et tourne dans ma tête ».
Si l’histoire d’Io est sous-titrée « la huitième leçon » par référence à « la chambre bouleversée » du Traité du scandalede Claude Minière (« Une statue est descendue de son socle, et y remonte parmi les éboulis balayés »), sous « Histoire de Pasiphaé » on lit « ou la fête foraine ». Ici le récit est écrit à la première personne, comme le sera celui du Minotaure : autant de voix, autant de masques, partagés par celle qui écrit et qui a lu, ceux qui lisent et qui écriront. Autant de miroirs dans l’expérience que Pasiphaé décrit comme celle du palais des glaces : « Dans chaque mur-miroir je me suis rencontrée. J’ai perdu mon chemin. Cent fois mon image a heurté mon image. Cent fois mon image a caché le chemin qui mène à la sortie (…) Et le cri m’a sortie de là ». Car ce palais est aussi « provisoire » que les « trains fantômes qui roulent dans la nuit » d’où « surgissent des monstres terrifiants ». D’autant plus terrifiants qu’ils sont familiers : entrez, entrons dans le conte à ogre, le mythe à Minotaure ! Entrons dans ces voix, ces peaux et têtes de bêtes ! Errons dans ces palais de fêtes foraines, sur les manèges installés par « des gens venus d’ailleurs » !
« Séduite par un taureau » comme Europe, la mère de son époux Minos, Pasiphaé l’a désiré. Ce n’est pas Dédale qui eut l’idée de la vache de bois qui inspirera celle du cheval d’Ulysse : « Toujours aux hommes est attribué le génie, à la femme la perfidie. Ce piège, cette vache de bois, est argument de femme éprise d’une bête, d’une femme dans le désir de s’accoupler à une bête ». Mais « le taureau ne veut pas d’une femme. D’une reine non plus ». D’où la ruse. Le leurre : la corrida n’est pas loin. Voilà, surgissant « de sa nuit » au « plein soleil », le taureau « bousculé par des hommes chevaux ». Puis une femme au buste aussi large que son poitrail. Elle « fait corps avec sa bête » et prend la tête de la cavalcade. « Une femme centaure » : l’inverse du Minotaure ? Son symétrique ? Son double ? Sa sœur ?
L’ « Histoire du Minotaure » s’ouvre sur quatre vers de la fin d’Ariane (N.A., éditions Contre-Pied, 2015) : « en vrai de vrai / Ariane elle aime les hommes qui ont des pensées à méandres / en vrai de vrai / Ariane elle aime le Minotaure ». Ce « minot de Minos » est puni par son père qui pourtant « pourrait comprendre puisque sa mère aussi comme ma mère » a connu le taureau. Comme celle qui tombe sur les épaules de Haddock dans Les 7 boules de cristal, la tête du taureau est « grosse » et « lourde » comme « un masque à danser », sa langue pend, « c’est grotesque », elle fait peur et fait rire à la fois. Sommes-nous enfermés dans le langage, ses signes et ses symboles, comme le Capitaine dans les coulisses et le Minotaure dans le labyrinthe ? « Si le taureau est l’aleph », le Minotaure est « l’alpha le mâle », « l’alpha bêta » à « tête de delta renversé ». Chacun de ses « pas dedans dédale est écriture qui s’inscrit dans le sol ». La faim le tenaille : « Les sept parfois je les bouffe d’un / coup » (on dirait l’ogre du Petit poucet). En réalité, c’est l’homme qui mange le bovin, sacrifie le taureau, rituellement s’asperge de son sang : « tuer le taureau c’est supprimer le père ». Le Minotaure pense, il est carnivore : ce sont ses deux parts d’humanité. Ariane est son double. Est-ce à elle ou à lui que répond un Thésée « un peu sourd », voire « nigaud » : « Qui est au fil ? ». Est-ce Alice ? Est-ce Nadine ? Est-ce Haddock ? Non cité dans le livre, lui aussi aurait pu traiter Hercule de « Don Quichotte haltérophile » !