[REVUE DE PRESSE] Un voyage littéraire dans les méandres de la Loire et de la mémoire 2 juin 2017 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : miroir de l'absente
Merci à Jean-Luc Poultier pour cette chronique à retrouver sur estuaire.org.
MIROIR DE L'ABSENTE
Un voyage littéraire dans les méandres de la Loire et de la mémoire
« Il vaudrait bien mieux pour tout le monde qu’elle meure rapidement, non ? » Ainsi débute Miroir de l’absente, par cette phrase qui viendra rythmer comme un refrain entêtant le portrait de celle, l’absente, qui n’existe plus que par les souvenirs d’Antoine, le narrateur.
L’écrivain Jean-Pierre Suaudeau nous entraîne ici dans un double voyage : un voyage physique en train le long de la Loire, qui imprime au texte son flux lent et sinueux, et un autre dans le temps vers une femme qui hante à jamais les pensées d’Antoine.
Mêlant les formes du roman, du récit et de la poésie, comme se mêlent les eaux du fleuve et de l’océan, l’auteur nous offre une belle parenthèse littéraire et musicale, dans une langue mouvante et élégante, douce et impétueuse, comme la Loire, omniprésente, miroir de sa propre histoire.
La prose devient soudain poésie, le temps se suspend puis s’accélère, les questions lancinantes déclenchent des évocations fortes et bouleversantes : une escapade d’enfants sur le fleuve gelé, la lente évaporation de la mère dans la vieillesse, les vieux films de famille où l’on redécouvre son identité... Et la Loire devient le miroir de sa propre histoire.
Le passé et le présent se répondent et se croisent à mesure que le paysage se déploie, les conversations des voyageurs proches alternent avec l’évocation de proches éloignés, auxquels s’ajoutent des compagnons de vie de fiction, au premier rang desquels les femmes de Pedro Almodovar, qui donnent une ampleur insoupçonnée à cette errance dans la mémoire, essaimée de belles références cinématographiques, comme cette chanson interprétée par la Pénélope Cruz de Volver : « Sentir / que la vie n’est qu’un souffle / que vingt ans ne sont rien / que le regard fébrile / errant dans les ombres / te cherche et t’appelle. »
Et puis il y a les villes qui jalonnent le ballast : Donges, “sa raffinerie et son odeur de soufre permanente“, Savenay “qu’il ne pouvait traverser sans penser à Gracq“, et Saint-Nazaire, “la ville détruite et reconstruite à la va-vite“, magnifiquement évoquée à partir d’une affiche du paquebot France.
Texte riche et hybride, Miroir de l’absente mérite de s’y abandonner totalement. Se laisser aller dans ce flot de méditations et de sensations, se laisser envoûter par la fluidité des mots de Jean-Pierre Suaudeau, c’est emprunter un chemin lumineux dans ce grand voyage qu’est la littérature.
Jean-Luc Poultier