[REVUE DE PRESSE] Rubato : une cosmogonie palpitante 16 novembre 2016 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : bona mangangu, jean-yves fick, portfolios, rubato
Merci à Odile d'Harnois pour cette très belle chronique, à retrouver ici.
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Un recueil inspiré de Rubato, la série de peintures de Bona Mangangu
Paru en avril 2016 aux éditions Publie.net, 77 pages
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Jean-Yves Fick & Bona Mangangu, Rubato © Éditions Publie.net, 2016
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SI VOUS AIMEZ le feu, ses flammes vives qui ouvrent la nuit et qui pétillent dans le silence, si vous aimez la promesse de vie portée par Prométhée et les mondes qui émergent du chaos originel pour accéder à la lumière, si vous aimez la poésie quand les mots deviennent couleurs et pigments, matière souple à peindre, alors vous aimerez sans doute Rubato de Jean-Yves Fick.
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Photo : Jean-Yves Fick
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LE RÉSUMÉ
En italien, le temps dérobé, celui qui s’affaisse sous nos pieds et ouvre au vertige. Rubato, c’est en musique l’appel à la libre exécution : de retards en accélération, l’instrumentiste décide seul de l’allure et du temps, et les notes de s’échapper du temps donné sur la partition.
renverses – l’ombre et la lumière
libre et sans dessein – comme loin
le souffle des nuées – le bleu
C’est sous ce titre et dans sa convocation que le peintre Bona Mangangu et le poète Jean-Yves Fick dialoguent, entre Sheffield et Strasbourg. Projetées sur des sacs de farine, les couleurs viennent faire vibrer (le papier meunier en) une matière vive et puissante de lumière et d’épaisseur ; taillés dans la rigueur de sonnets lumineux, les versets librement réinventés sur la page et dans la syntaxe ne répondent qu’à distance, dans le libre jeu des appels et l’imaginaire puisé à la source d’une même sensation : la recherche d’une matérialité brute où la lumière et les images visent à accroître nos corps de propriétés neuves.
Et puis, dans un monde qui s’enténèbre et s’obscurcit dans les cris, il y aurait là comme une réponse inquiète et puissante : des images qui inventent des lumières, et des mots qui viennent ouvrir la réalité comme un corps opéré vivant.
Source : Arnaud Maïsetti & Jérémy Liron / Éditions Publie.net
L’AVIS DE LECTURES AU COEUR ♥️♥️♥️♥️
Dans un recueil inspiré par Rubato, une suite de peintures de Bona Mangangu, le poète Jean-Yves Fick remonte le temps jusqu’à la nuit préhistorique. Sous des ciels ravagés d’étoiles, l’obscure épaisseur du silence bouillonne de promesses prêtes à éclore. La rumeur de l’univers, « l’insaisissable chant de vivre », balaie le monde, où l’homme, « étranger sans repos », erre sur des plages « sans forme ni nom ». Entre ciel et terre, entre eau et sable, des paysages de landes piquées de bruyères se lèvent comme un songe, comme le souvenir flottant, à fleur de rêve, d’une ère disparue. Mais dans cet entre-deux du temps, une formidable révolution se prépare, un miracle s’organise, quelque chose doucement est en train de naître : « le dessin est entré au pli mouvant du monde ».
Évocation poétique de la naissance de l’art au travers des dessins stylisés à l’ocre rouge des peintures rupestres, Rubato se donne à lire comme une lumineuse cosmogonie où palpite, à l’unisson de la nuit révélée par la lumière du feu, le coeur de l’homme qui découvre à la fois le geste de peindre et l’immense bonheur de créer. Mais auprès des falaises où comme des sanctuaires s’ouvrent des grottes où d’invisibles mains « laissent aux roches une empreinte rouge », le combat de toujours se poursuit contre la mort, contre cet absolu de l’inconnu et des mystères sacrés qui restent à élucider. Des ombres chinoises dansent sur la paroi rocheuse des grottes noyées de silence. Esquissées dans la couleur de sang du cinabre, des figures de bêtes sauvages s’avancent au bord du gouffre et en équilibre sur quelque effilochure de nuit, reviennent à la vie pour l’éternité. Avec un art consommé de l’ellipse, Jean-Yves Fick convoque ainsi dans sa poésie tous les hauts lieux de l’art pariétal – Lascaux, Cosquer, Chauvet … – qu’il synthétise en quelques vers suggestifs.
Dans ce contexte, le participe passé italien « rubato » qui sert de titre au recueil et qui renvoie implicitement au larcin de Prométhée, assez audacieux pour offrir aux hommes le feu dérobé aux dieux, souligne à la fois l’ancrage mythologique du texte et la volonté du poète de franchir librement les frontières poreuses entre peinture, musique et poésie. De l’art pictural originel qui débouche sur la naissance du langage, la poésie de Jean-Yves Fick conserve le désir de nommer l’ineffable. Pour rendre compte de tout ce qui pétille, balbutie, gronde ou murmure dans l’avènement miraculeux du sens, il invente une langue picturale qui se libère de toutes les contraintes syntaxiques et qui tente de reproduire l’élan créatif, la poussée du langage qui germe, toutes les forces de l’univers qui pèsent, qui s’épuisent, qui s’opposent. Composé de 46 poèmes qui réinventent le sonnet, Rubato mêle habilement les champs lexicaux de la musique et de la peinture. Les mots, envisagés comme de la matière souple, s’ajustent les uns aux autres, s’enchâssent dans la strophe comme des touches de couleur viendraient à se fondre sur la toile. Quant à la mélodie du texte, elle se lève dans le silence, religieusement, comme un murmure, une prière. Réalisée sur papier meunier, la série de peintures de Bona Mangangu croise avec bonheur la quête de lumière du poète. Projetées sur des sacs de farine, les couleurs fusent, s’éclairent, s’écrasent, se répandent en coulures épaisses qui capturent l’alphabet des inscriptions imprimées sur le papier. L’oeuvre, orchestrée comme un ballet de lumière, se construit sur le symbole alimentaire du pain. Le sac de farine utilisé comme support pictural rappelle que l’art aussi a la capacité de nourrir. Car ce que le peintre, à l’instar du poète, dérobe finalement aux dieux n’est rien d’autre que cette étincelle de lumière qui vacille dans toute oeuvre d’art et qui porte l’espoir.
À découvrir sans tarder.
O.d’Harnois
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Pour en savoir plus
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❖ Le site de l’éditeur : Éditions Publie.net
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❖ La bibliographie de Jean-Yves Fick :
• Jean-Yves Fick et Louise Imagine, Blancs © Éditions Publie.net, 2014
• Jean-Yves Fick et Louise Imagine, Inlands © Éditions Publie.net, 2014
• Jean-Yves Fick, Il y a le chemin : la poésie comme présence dite du réel © Éditions Publie.net, 2011
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❖ Le blog de Jean-Yves Fick : gammalphabets
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❖ La biographie de Bona Mangangu : Bona Mangangu, peintre et écrivain
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❖ Les grands sites de l’art pariétal en France :
• La grotte de Lascaux, découverte en 1940 : La grotte de Lascaux, un sanctuaire (Vidéo Grandeur Nature/Youtube)
• La grotte Cosquer, découverte en 1985 : Marseille, la grotte Cosquer (Vidéo Youtube)
• La grotte Chauvet, découverte en 1994 : La grotte Chauvet (Vidéo Des racines et des ailes/Youtube)