[REVUE DE PRESSE] Les autres vies de Napoléon Bonaparte 29 septembre 2016 – Publié dans : La revue de presse – Mots-clés : archéosf, les autres vies de napoléon bonaparte, sf, uchronie
Merci à Lhisbei du RSFBlog pour cette chronique à retrouver ici
Les autres vies de Napoléon Bonaparte est une anthologie compilant des uchronies et des histoires secrètes autour de la figure de Napoleon Bonaparte. Le volume contient deux romans et trois nouvelles, ce qui l’amène à dépasser les 700 pages.
Le recueil s’ouvre sur une présentation de l’ouvrage par Philippe Éthuin. Viennent ensuite cinq textes patrimoniaux. Le premier d’entre eux, Napoléon Apocryphe de Louis Geoffroy, reste le plus emblématique puisqu’il est celui qui a posé le canon du genre : un point de divergence précis (Bonaparte décide de marcher sur Saint-Pétersbourg plutôt que de rester à Moscou), une réécriture de l’histoire en fonction de ce point de divergence (mais aussi une réécriture de de la société : droit, arts, sciences etc), une mise en abyme et un clin d’oeil au lecteur en référence à l’histoire officielle (Napoléon fait sauter l’île de Sainte Hélène alors même qu’il n’y a jamais posé le pied). Dans ce roman, Napoléon devient le premier monarque universel après avoir conquis l’Europe, l’Angleterre, l’Empire Ottoman, l’Afrique, la Chine, l’Australie et les Amériques. La figure de Napoléon est exagérément glorifiée : il est clairvoyant (même s’il commet des erreurs et revient sur celle-ci), charismatique (il soumet un lion d’un simple regard) et adulé de tous. Sous son règne éclairé la science progresse (avec notamment une révolution industrielle exceptionnelle, une science médicale qui avance à grands pas et des découvertes archéologiques majeures comme Babylone et la tour de Babel), l’art produit des chefs d’oeuvre à tour de bras, les peuples sont heureux. Le droit est harmonisé sur la planète, le français devient la langue officielle de tous les pays, les cultes sont tous éradiqués au profit de l’église catholique et le commerce est favorisé (percement du canal de Suez). Quelques tirades sur la liberté (une notion qui disparaît totalement de la surface de la Terre, Bonaparte devenant le premier tyran universel), quelques pamphlets viennent contrebalancer la dithyrambe. L’extrait avec le lion :
Aussi près du lion, seul, et dans cet extrême péril, l’empereur saisit le moment où, d’un bond, il se précipitait sur lui, et l’ajustant avec le plus grand sang-froid, il lui tira son coup de fusil ; mais la balle traversa la crinière sans blesser l’animal, qui, furieux, se jeta en deux autres bonds sur le cheval de l’empereur, et, lui enfonçant ses ongles dans la poitrine, le renversa, déchiré et mourant. L’empereur avait aussi été renversé, mais, se dégageant promptement, et conservant le calme de son esprit dans cette position dangereuse, il se retira, en marchant à reculons, vers les mêmes rochers d’où le lion était parti, afin de s’y adosser lui-même et l’attendre.
Pendant cette manœuvre, le lion assouvissait sa furie sur le malheureux cheval ; il lui avait ouvert la poitrine, lui déchirait les flancs avec ses griffes, et baignait sa langue de feu dans le sang brûlant de la victime. Et cependant, sans l’abandonner, il suivait de l’œil la marche lente et assurée de Napoléon, qui se retirait et examinait de son côté avec la plus grande attention les moindres mouvements de son terrible adversaire.
Il venait d’atteindre le rocher et de s’y appuyer, lorsque le lion quitta le cheval, qui venait d’expirer, se releva, dressant la tête, hérissant la crinière, poussa un seul, mais effroyable rugissement, et s’élança à pleins bonds vers Napoléon, qui tira son épée de chasse pour le recevoir.
Cette arme était inutile, sans aucun doute, et l’empereur, l’ayant aussitôt compris, la jeta loin de lui, au moment même où quelques pas le séparaient à peine du lion.
Mais au lieu d’une épée, il le frappa de son regard, il asséna sur ses yeux toute l’énergie et la fixité de sa vue ; leurs deux regards s’enfoncèrent, pour ainsi dire, l’un dans l’autre, sans se quitter, et sans que de ces quatre paupières aucune se baissât.
À ce regard de fer le lion bondit surpris, il se dressa sur lui-même, et rugit affreusement. Cependant, comme si sa marche était paralysée, et qu’une puissance inattendue vînt tout à coup lui commander, il s’arrêta, écumant de rage et de confusion, devant Napoléon, qui l’oppressait de cette singulière force, l’abattant de cette vue dont il n’avait jusqu’ici abattu que des hommes.
Napoléon vit que le charme avait réussi, et que le lion reconnaissait le pouvoir ; alors il s’appliqua à donner à ses yeux la fascination et la douceur séduisante qu’il savait si bien y faire succéder.
Le lion, toujours pendant à ce regard, y répondit par un mugissement plus sourd ; il avait baissé sa tête, qu’il appuyait sur ses pattes, et s’étant couché comme en arrêt devant l’empereur, il épiait sans doute le moment où ses yeux se détourneraient pour dévorer sa victime.
Mais Napoléon n’était pas homme à céder dans cette lutte. Il ne voulut pas se contenter de ce premier succès, mais le poursuivre jusqu’au bout. Tour à tour, maîtrisé et adouci par ses regards, le lion parut de plus en plus se calmer et s’affaiblir. Sa crinière s’affaissait sur son cou, le sang disparaissait de ses yeux, sa langue, amollie, se balançait comme celle d’un chien haletant, et rafraîchissait les feux de ses lèvres ; et, se penchant de plus en plus, il se coucha tout entier à terre, et appuya sa tête énorme sur ses pattes, dont il ne faisait plus apparaître les griffes redoutables.
Alors Napoléon crut le moment venu ; il s’avança d’un pas ferme vers le lion, qui releva vivement la tête ; mais les yeux de l’empereur, incessamment fixés sur les siens, devinrent caressants et comme voluptueux : l’animal tressaillit de plaisir sous ces regards, et l’empereur n’était plus qu’à quelques pas, lorsqu’il vint à lui, agitant sa queue en signe de joie, et balançant ses flancs avec tendresse ; puis, étant enfin parvenu jusqu’à ses pieds, il s’enroula autour de lui, se coucha sur le dos, étendit ses pattes énormes en l’air, se jouant avec l’une des mains de Napoléon, qui trempait l’autre dans les rudes tresses de sa crinière.
Vient ensuite la longue nouvelle de Joseph Méry, « Histoire de ce qui n’est pas arrivé« . La nouvelle ayant fait l’objet d’un billet complet, je n’en reparlerai pas ici, mais je vous invite à suivre ce lien.
On continue avec « Insanité » d’Alphonse Allais, une très courte nouvelle où la conservation des matière organiques et fécondation in vitro deviennent possible. La destinée de la lignée du Petit Caporal (un seul enfant) pourrait en être assurée. C’est plus une pochade et une critique politique qu’une histoire secrète. Comparé aux autres textes, il paraît quelque peu anecdotique et presque hors sujet.
Plus intéressant, Évasion d’empereur roman du Capitaine Danrit, imagine un projet d’évasion de l’empereur confiné à Sainte-Hélène par les Anglais. En suivant ce projet fou, Paul Paoli, le fils de l’indépendantiste corse, opposant de Napoléon Bonaparte tente ainsi de racheter les crimes de son père (que ce dernier regrettait). Il conçoit un sous-marin à l’aide de Robert Fulton ce qui donne l’occasion à l’auteur de décrire précisément l’engin et son fonctionnement (j’appelle ça la poésie des boulons). En parallèle on suit la vie de Bonaparte dans son exil, la lente dégradation de son état de santé. Sans vouloir dévoiler sa fin, sachez que Évasion d’empereur relève de l’histoire secrète…
Le dernier texte de l’anthologie est aussi le plus récent puisqu’il date de 1931. Après tous ces textes plus anciens au style quelque peu daté (celui d’Alphone Allais est le moins marqué par son époque), c’est une bouffée d’oxygène pour le lecteur amateur de littérature contemporaine. Paru dans le volume If, or History Rewritten, (premier titre If It Had Happened Otherwise), une anthologie de onze essais uchroniques publiée par J.C. Squire, cette nouvelle bénéficie pour la première fois d’une traduction en français (elle est richement annotée). « Si Napoléon s’était enfui en Amérique » raconte l’arrivée de l’Empereur à Boston et son destin aux États-Unis. La narration est assurée par un étudiant de Harvard qui devient l’assistant personnel de Bonaparte. Ce dernier, loin de renoncer à son ambition de conquête décide de rejoindre Simón Bolívar dans son combat pour la libération des colonies espagnole.
En définitive Les autres vies de Napoléon Bonaparte, disponible en version papier et numérique, est un objet patrimonial que tout amateur d’uchronie doit avoir dans sa bibliothèque (qu’il soit ou pas nostalgique du Petit Caporal).