« Ventre vide » : une écriture physique — entretien avec Audrey Gaillard 15 mai 2015 – Publié dans : Le grand entretien – Mots-clés : audrey gaillard, entretien, interview, nouvelle, ventre vide
Audrey Gaillard, qui êtes-vous ?
Je suis celle qui publie son premier livre. Celle impatiente, intimidée, mais persévérante. Celle qui savoure cette première fois. Il y a six ou sept ans j’ai fermé le journal intime et suis entrée dans la fiction. Entrée dans ma vie aussi. Je suis celle qui lit plusieurs livres en même temps, ouvre de multiples carnets et note des phrases qui me plaisent. L’une d’entre elles, récemment, d’Annie Ernaux : Et je suis sûre maintenant qu’on se découvre soi-même davantage en se projetant dans le monde extérieur que dans l’introspection du journal intime (…). Ce sont les autres, anonymes côtoyés dans le métro, les salles d’attente, qui, par l’intérêt, la colère ou la honte dont ils nous traversent, réveillent notre mémoire et nous révèlent à nous-mêmes.
Parlez-nous de votre travail. Quel est le thème de Ventre vide ?
Le titre l’annonce : c’est une écriture physique, où j’exprime les sensations. Ce sont des histoires de femmes, dans leur intimité, avec impudeur. Des relations douloureuses, complexes, contradictoires entre mère et fille entre amies entre un homme et une femme. Mes personnages vivent avec intensité, ils brûlent de l’intérieur, car dans la tiédeur il n’est pas de vie. Je ne suis pas complaisante, je cherche d’abord à me bousculer moi-même.
Instinctivement, une phrase plus qu’une autre qui résumerait à elle seule cet ouvrage. Laquelle, et pourquoi ?
« Je me lève la nuit. Retiens mon souffle au-dessus d’elle, la regarde dormir. Percer sa chair pour voir d’où je viens. »
D’abord, les phrases heurtées caractérisent mon écriture. La brièveté des phrases c’est aussi pour moi le souffle saccadé de mes personnages, ils sont souvent en crise, souvent vacillants, l’obsession les gagne et elle devient douleur physique. Percer la chair, dans un corps on ne peut pas, dans un texte oui, je peux décortiquer mes personnages, révéler les différentes épaisseurs qui les constituent, creuser encore et encore. Ces mots reviennent souvent : peau, ongles, nausées, gorge, ventre… une écriture du corps.
Si ce livre devait être une mélodie/musique, quelle serait-elle ?
Je pense à une chanson de Lynda Lemay, La louve, parce qu’elle est peut-être la première (entendue à 18 ans) qui m’a provoqué des sensations physiques : des brûlures dans le ventre, des frémissements. En l’écoutant maintenant je suis moins touchée mais je crois qu’elle m’a rencontrée : parler du corps, du manque, du désir, de l’obsession. Ventre vide est mon premier recueil, toutes ces préoccupations étaient en moi depuis une dizaine d’années avant que je ne les écrive.
Qu’aimeriez-vous partager en priorité avec vos lecteurs ?
Les écouter lire à haute voix une de mes nouvelles. J’ai vécu cette expérience rarement et la voix, le corps, le geste du lecteur apportent au texte une nouvelle épaisseur et me le donnent à entendre différemment. Et puis, au bout du compte, un auteur pourrait-il avoir une autre ambition que de sentir ses propres mots prendre vie dans le corps du lecteur ?
Si vous deviez choisir un extrait et le commenter, lequel serait-ce ?
« La chaleur a pénétré. Le silence s’étale. Mes draps collent. La fissure s’étend vers mon lit. L’entaille m’atteint. Des hommes vêtus de noir m’approchent. Tu t’immisces dans le cercle. Maîtresse de la cérémonie. Robe noire, dos nu, échancrure jusque dans tes reins. Penchée au-dessus de moi, tu me déshabilles. Le pantalon se déchire. Mon corps se dépouille.
À ma mort, que feras-tu ? T’allonger sur moi une dernière fois. Mon cadavre encore tiède.
M’enterrer. Me fleurir à mon anniversaire. Mon portrait suspendu au crochet. Ou me garder dans cette pièce. Croupir. Voir mon corps se décomposer et jouir. Coucher avec un homme au pied de mon lit. Ton haleine sur ma peau… »
« Une fissure dans le mur » est le premier texte écrit en vue de constituer un recueil de nouvelles. Celui sur lequel j’ai passé le plus de temps, toutes les premières questions liées à l’écriture : le temps, la personne, le rythme, le vocabulaire, la voix… Et en plus je m’y glisse dans la voix d’un narrateur masculin… Cet homme est allongé, figé et j’écris le conflit intérieur qui l’anime. J’ai travaillé et retravaillé les ellipses pour que mon écriture ne soit ni explicite ni hermétique, j’ai éliminé beaucoup de paragraphes pour tenter de garder une certaine tension et ne pas être dans des effets.