Des bagnoles et des hommes : Didier Daeninckx et Mako on the road ! 12 novembre 2013 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : autobiographie, Bagnoles tires et caisses, Didier Daeninckx, édition numérique, guerre du vietnam, humour, lionel makowski, livre numérique, mako, politique, road-trip, voitures
Aujourd’hui sort en numérique Bagnoles, tires et caisses, écrit par Didier Daeninckx et illustré par Mako. Précédemment publié en papier chez Jérôme Millon en 2011, ce livre sort clairement des sentiers battus. Pas seulement destiné aux passionnés de voiture rassurez-vous, mais à tous ceux qui ont envie de suivre les traces de Daeninckx sur les routes de sa jeunesse, ce court texte est incisif, passionné, et fourmille d’anecdotes et de saillies ironiques. Merci à tous ceux qui ont participé au choix de la couverture sur Facebook et Twitter, nous avons finalement choisi la Panhard [et le choix n’a pas été facile, les arguments avancés étant tous bons] mais la 4CV est également présente dans le livre, comme une forme de « bonus ». Prix de lancement : 0,99€ jusqu’à jeudi.
Ce n'est pas rien d'embarquer aux côtés de Daeninckx dans les voitures et les péripéties qui jalonnent sa vie, c'est un voyage qui sent le cambouis, l'huile de moteur et la gomme, parsemé d'anecdotes savoureuses. Un "je me souviens" affuté et efficace qui commence dans le papier puisqu'il est imprimeur, et de fil en aiguille, top départ depuis les Quatre-Routes, on passe les frontières, on rafistole des pneus avec d'autres bouts de pneus, de Suisse en Autriche, de Turquie en Syrie, du Liban jusqu'en Jordanie, on roule, on répare, car le langage des mécanos est universel, on pousse la voiture, la faim au ventre et les poches vides, mais on trace la route, c'est le système D qui sert de carburant. Rencontrez Jacky, le copain qui baigne dans l'huile de vidange, le roi de la bonne affaire ; et Lablave, et Petitjean, et Lounès Tazaïrt, un ancien ouvrier de chez Simca qui finit comédien, et Bernard qui a commencé dans le bâtiment et qui apprenait par coeur le répertoire de Leny Escudero, et Madeleine et Denis et les copains d'Aubervilliers, et Jocelyne, bien sûr. On est en pleine guerre du Vietnam, c'est mai 68 qui se pointe sous les pavés, les idées fleurissent, on voyage plus loin, on s'approche des années 80, Daeninckx fait naître ses personnages, on arrive aux années 90, Daeninckx écrit... Et puis nous, on suit et on cavale derrière, en immersion totale dans ce court récit, teinté d'humour et de politique. Que dire de plus ? Que les années passent mais que les voitures restent ? Elles sont en tout cas superbement immortalisées par le dessinateur de bandes dessinées Mako, qui a collaboré avec Daeninckx sur bien d'autres projets.
Note : sont contenus dans ce livre un lapin, la recette de la "feuille morte", un flingue, des rustines, un coffre rempli de livres, de la bière belge, des naturistes. Et bien sûr, onze dessins de Mako dont voici un aperçu ci-dessous.
[divider style="dotted" height="40px" ]Morceaux choisis...
C’est comme ça qu’en pleine guerre du Vietnam, je me suis retrouvé embauché par une boîte baptisée Johnson, du nom du président qui commandait aux bombardiers, et dont on vantait ainsi le produit vedette à la radio : « Raid tue net tous les insectes ». En ces temps sans chômage, les patrons racolaient la force de travail disponible, et Berthier m’avait embauché sans même me faire passer un essai. Planté devant la machine dans une verrière qui donnait sur les chaînes de remplissage des boîtes de cire, j’ai commencé par gâcher quelques rames de papier, incapable de maîtriser le principe de répulsion de l’encre et de l’eau qui est à la base du procédé offset, avant qu’on ne se décide à m’envoyer en stage. Un jour Berthier, dont la femme tenait un commerce de journaux et de tabac à Saint-Ouen, m’a mis dans la confidence. Il était esclave d’une passion qui ne cessait de gagner en intensité, et son poste de responsable du service entretien devenait peu à peu une couverture qui masquait ce qui consumait sa vie. En fait, il inventait comme il respirait et sa dernière marotte consistait en la mise au point d’un système d’alimentation automatisée de colonies de lapins. Les ouvriers qu’il avait sous sa coupe, électriciens, mécaniciens, tôliers, chaudronniers, bossaient en fait à mi-temps pour Johnson et à mi-temps pour son œuvre philanthropique. Ils se rendaient régulièrement, sous couvert de tâches extérieures nécessitées par le service, dans la maison de campagne du chef où étaient installés les clapiers équipés de distributeurs de croquettes à haute teneur en carotène.
[•••]Jacky, un copain de la cité du Pont-Blanc qui baignait dans l’huile de vidange depuis la petite enfance, reconditionnait des épaves dans une impasse du quartier Crèvecœur. On ne pouvait pas échapper à ses poignées de mains lubrifiées au cambouis, à ses tapes dans le dos amorties à la graisse noire. Toujours une bonne affaire à vous proposer qu’il fallait se dépêcher de saisir, d’autres étant sur le coup. Il n’a pas eu trop d’arguments à faire valoir pour me transférer la propriété d’un paquebot rouge et crème. Le problème de la Versailles, avec sa gueule de requin et son faux air ricain, c’est qu’elle n’avait rien dans les tripes.
[•••]Tout s’est bien passé jusqu’à Istanbul, à part des rejets de gaz d’échappement qui nous obligeaient à rouler toutes fenêtres ouvertes. Une fois le Bosphore franchi et l’Asie quittée, la progression vers la frontière grecque s’est transformée en cauchemar. Notre capital caoutchouc avait dépassé son seuil d’épuisement et le maigre argent dans nos poches était tout juste suffisant pour faire le plein d’essence. Nous roulions pratiquement sur les chambres à air, tellement les pneus étaient usés. Dix, quinze crevaisons par jour, de la réparation de bord de route, rustine sur rustine… Dans les stations services, on quémandait des morceaux de pneus usagés à l’aide desquels nous bouchions les trous qui naissaient sur les nôtres. On a atteint Belgrade sur les jantes, le ventre vide. Une nuit à rôder dans la ville à la recherche d’une 2cv à cannibaliser. On a fini par en débusquer deux, garées devant la façade de l’ambassade de Chine, des deudeuches de luxe avec plaques du corps diplomatique qu’on a allégé chacune de deux roues.
[•••]Cette 4cv, du moins celle-là, ne démarrait qu’à la manivelle et je me souviens du regard de commisération du secrétaire général de la ville de Villepinte quand il m’a vu son « directeur de l’info » s’accroupir derrière la bagnole naine pour mettre les pistons en mouvement. D’autant qu’ils ne répondaient à la sollicitation que par temps sec… Dès que l’humidité dépassait un certain degré, il fallait pousser. Je me garais toujours au coin du Sanatorium pour profiter de la pente qui descendait vers l’usine Prestinox, donnant l’élan à la carrosserie avant de sauter sur le siège avant tandis que la portière, qui s’ouvrait à contre-sens, venait se rabattre sur l’aile. Un an plus tard, j’ai revendu la bagnole à Patrick Catalifo qui commençait une carrière de comédien et qui incarnera l’un de mes personnages, Novacek, dans six films d’une série télévisée diffusée par France 2 au début des années 90. Je me souviens la lui avoir cédée 400 francs : cent balles par cheval !
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Mako, de son vrai nom Lionel Makowski est à retrouver sur Wikipedia.
Ce livre a été édité en papier aux éditions Jérôme Millon en novembre 2011.
Lire une critique de ce livre sur le site de Minuit chicanes.