Un texte/Une voix — Théorie des orages/Lucien Suel 8 septembre 2013 – Publié dans : Un texte/Une voix – Mots-clés : Coupe carotte, édition numérique, Josiane Suel, livre numérique, Lucien Suel, poèmes, Poussière, Théorie des orages, vers justifiés
Pour cette rentrée, c'est la reprise de la rubrique Un texte/une voix, avec aujourd'hui Lucien Suel qui répond à nos trois questions. De quoi en savoir plus sur la Théorie des orages.
Quelle est la phrase/anecdote/situation qui déclenche l’écriture de Théorie des orages ?
Les poèmes qui composent Théorie des orages sont extraits d’un ensemble plus important, composé entre 1990 et 1997, intitulé « Sous-bois Standard » et dont le contenu est partagé entre trois livres, les deux autres étant « Canal mémoire » et « Un trou dans le monde » . Tous les poèmes de « Sous-bois Standard » sont en vers justifiés de 37 caractères.
La forme justifiée n’apparaît pas dans l’édition originale de Théorie des orages publiée en 1998 par Pierre Courtaud à La Main courante. Presque tous les textes composant le recueil se présentent comme des poèmes en prose.
Il faut comprendre le mot « théorie » dans le sens de cortège, défilé, procession (grec theôria). Chacun des poèmes est comme une illumination, un petit éclair accompagné d’un grondement qui se conclut dans l’orage final, inspiré par un tableau de mon ami William Brown.
Si Théorie des orages était une personne ou un personnage, qui serait-il ?
Une petite-cousine du « monstre » créé par Victor Frankenstein.
Quel passage/mot/extrait de Théorie des orages vous tient le plus à cœur et pourquoi ?
Mes passages préférés sont très exactement le début et la fin du recueil, tout particulièrement, la phrase « La longue spirale de l’esprit caracole dans les cieux, comme une cataracte renversée ». C’est une image de science-fiction, une vision de l’échappée, du passage des âmes dans une autre dimension. Les sonorités et les mots (spirale-esprit, caracole-cataracte) s’accordent matériellement à l’idée qui se déploie dans la phrase.
"Nous volterons. Nous agonisons ourlés par les épines, gonflés par les vents de l’histoire, comme une paire tordue d’épingles à cheveux sur la céramique blanche, comme un domino délavé égaré sous la table du jardin, comme un duo éreinté, comme un couple qui dévisse.
Nous vaquons sous les nuages ventrus. Nous mourons les mains vides et l’âme lisse. Nos yeux plongent dans le sang des restants, dans la tête des perdus en terre, dans le cœur usé des pieux versets. Notre empreinte s’évapore au centre de la croisée impavide et nue.
Nous sommes sortis. Nous sommes loin. Nous sommes pulsés dans une titubante éternité, à la merci de l’oubli. Nous clignotons dans le brouillard soyeux.
Nous ne reviendrons jamais. La longue spirale de l’esprit caracole dans les cieux, comme une cataracte renversée.
Les révoltés ont encore de bien beaux jours devant eux. Leurs yeux brillent contre le noir du ciel. À travers les larmes de vent, l’âme respire l’odeur passagère de la vie potagère. Le nain grimpe la pente du vieux terril parmi les schistes gris à la recherche d’un peu de gaillette. En bas, le chien de garde protège la charrette. Le chemin de Mazingarbe ne passe pas devant les lanternes centrales. Il faut avoir eu sous le nez le pétillement de la pâle petite bière pour comprendre la peur."
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