Blanqui, l'enfermé

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Préface

par Hervé Jeanney

 

L’Enfermé est un livre simple et complexe, à l’image de son sujet et de son époque. Son épicentre est certes la biographie de Louis-Auguste Blanqui, révolutionnaire né l’année d’Austerlitz (1805) et mort l’année des grandes lois républicaines sur la liberté d’opinion et de presse, ainsi que sur l’école obligatoire, gratuite et laïque (1881). On ne peut plus ancré dans le XIXe siècle donc. De Napoléon à la IIIe République, la France connaît quatre régimes politiques, deux empereurs, trois rois, trois révolutions, d’innombrables batailles hors et sur son territoire, le tout à travers d’invraisemblables péripéties dont la vie de Blanqui serait un bon symbole. Il serait profitable de jeter un œil sur une chronologie simple du XIXe siècle, sur ce site par exemple.

Gustave Geffroy ne peut donc éviter de brosser, en arrière-plan au moins, le portrait de ce « Dix-neuvième ». En journaliste d’abord, en témoin qui ne se soucie donc pas d’être clair pour la postérité. Les faits sont énumérés comme d’actualité, égarant ainsi le lecteur dans un flot d’informations disparues depuis longtemps de nos mémoires — y ont-elles jamais été présentes d’ailleurs ? Le texte évoque, de façon souvent allusive, des groupes ou événements propres à la Révolution française et à ses échos futurs. On trouvera donc ici, en glossaire, quelques points de repères qui j’espère permettront de s’y retrouver un peu.

Que sait-on de cet obscur Geffroy ? Ami des Goncourt, admirateur de Monet, familier de Clemenceau, cet homme engagé à gauche tout autant que Blanqui semble avoir beaucoup aimé l’argent, à ce qu’en disent ses contemporains. Prolixe auteur de romans mais surtout d’ouvrages d’art, il fut nommé administrateur de la Manufacture des Gobelins par Clemenceau, poste qu’il occupa de 1908 à sa mort en 1926. Ce poste prestigieux fait de lui le directeur-fonctionnaire de la plus grande fabrique de tapisseries en France, responsabilité à la fois lucrative et plaisante dans la mesure où il côtoie nombre d’artistes embauchés pour créer des œuvres qui décorent les édifices publics. Paul Cézanne le peint d’ailleurs en 1895 (ce portrait est au Musée d’Orsay), et Rodin le sculpte.

Geoffroy, c’est aussi une sorte de petit Zola de Belleville. Par sa vie d’abord, ancrée dans ce quartier, par ses romans ensuite, dont l’Apprentie, ode ouvriériste en hommage au petit peuple des 19e et 20e arrondissements parisiens. Le rapprochement avec Zola est aussi tendu par le fil de l’Affaire Dreyfus : on compte Geffroy dans le camp des dreyfusards, c’est-à-dire des partisans de l’innocence de Dreyfus, et si Zola rédige, dans l’Aurore (journal de Clemenceau pour lequel écrit régulièrement Gustave Geffroy aussi) son célèbreJ’accuse, Geffroy fonde à l’occasion de cette grande affaire judiciaro-politique la Ligue des Droits de l’Homme.

Et c’est ce contraste qui marque profondément sa vie et qu’on retrouve dans son Blanqui. Fils du peuple arrêtant ses études à 15 ans, autodidacte modeste rédigeant des livres de vulgarisation pour aider les gens qui « n’y connaissent rien » à comprendre l’art, thuriféraire de Belleville et contempteur des bourgeois, journaliste engagé ne supportant aucun embrigadement religieux ou idéologique, il fut aussi directeur d’un des plus grands et prestigieux établissements publics de France (les Gobelins donc), président (à la fin de sa vie) de l’Académie Goncourt, fier chevalier de la Légion d’Honneur. Avide d’indépendance mais aussi de reconnaissance. Admirateur des « vies minuscules » mais aussi goûteur des ors républicains.

Revenons à ce Blanqui. Livre difficilement catégorisable. Livre de contrastes, aux rythmes multiples, aux accélérations soudaines et aux langueurs appuyées. Portrait intime d’un jeune coq devenu vieux lion dès trente ans, miné et laminé par la vie mais jamais brisé. Une biographie amicale certes, sans critiques, sans le recul du « pur » historien, mais écrite avec le vent du Novecento français en poupe — de quoi gonfler bien des voiles. Tout commence, bien sûr, par l’enfance et la jeunesse. Né avec le règne de Napoléon 1er, le jeune Blanqui est trop jeune pour s’en réclamer directement. Mais l’ombre du Corse est trop épaisse pour ne pas envelopper tout contestataire des années 1820-1830. De cette première partie, on retient surtout le portrait fiévreux des idées héritées de 89. Comment se placer, comment construire sa voie entre tous ces phares de la pensée révolutionnaire ? Quel chemin emprunter, celui de la République parlementaire sage et presque romaine, celui de la Révolution sociale où, comme on dira en 1936, « Tout est possible » ? Celui du régime autoritaire, empereur ou roi ? Celui de l’anarchie même, après tout animé de sa logique interne ? Et ce fond idéologique imprègne le jeune Blanqui en profondeur, lui qui, au contraire de la plupart des politiques, n’aura de cesse de se « gauchiser » au fur et à mesure de sa vie.

Et puis soudain, la vie de Blanqui bascule. Coup sur coup, il se marie, a un enfant, participe à une insurrection et se retrouve en prison dans le terrible Mont-Saint-Michel. Il faut lire ces pages poignantes où Geffroy décrit cette zone de non-droit comme on dit aujourd’hui, crasseuse et sombre, dans laquelle Blanqui trentenaire végète cinq ans, le temps pour sa jeune épouse de mourir, pour son fils d’être placé en famille d’accueil et pour lui de porter à jamais son surnom d’Enfermé. Gracié en 1844, sa vie faite de militance, d’actions directes (sans jeu de mots avec la période contemporaine) et, encore et toujours, de nombreux séjours en prison.

Les événements de l’année 1848 passent comme un ouragan sur Paris, la France et Blanqui. À nouveau, l’action révolutionnaire et l’espoir. Geoffroy écrit ici de superbes pages, tissant une description saisissante des trop méconnues journées de juin 1848, pourvoyeuses d’atroces massacres. En passant, c’est une double référence à Flaubert, cité comme ayant décrit ces journées dans l’Education sentimentale, et irrésistiblement évoqué par un style rappelant à certains moments Salammbô (« On parlait de têtes coupées, alignées aux frontons de pavés des barricades, de balles mâchées et trempées dans le poison, équivalentes aux flèches des Caraïbes, de boissons empoisonnées versées aux gardes mobiles par des Furies perfides, de prisonniers enduits de poix et de résine, allumés comme des torches, sciés entre deux planches, de crânes employés comme lampions. »)

Mais à nouveau, Blanqui connaît l’échec, les trahisons, l’arrestation et les bagnes : Doullens, Belle-Île-en Mer. La grande opposition du socialisme français naissant s’incarne alors dans une joute féroce entre Blanqui et Barbès, jusque dans les cellules du bagne de Belle-Île. Entre les deux ennemis irréductibles, Geoffroy prend clairement le parti de Blanqui. Ce premier volume se termine par un morceau de bravoure, l’évasion de Belle-Île, décrite avec brio et précision par un Geoffroy presque devenu Maurice Leblanc. Évasion qui échoue et ramène, encore et encore, Blanqui dans les geôles de l’île bretonne, puis de Corse, avant sa libération-déportation vers Afrique, sur laquelle ce volume se finit.

« Au milieu de ces tourbillons contraires, les idées deviennent ce qu’elles peuvent, et l’avenir s’offre en proie aux plus résolus », écrit Gustave Geffroy. Aucune phrase ne résume mieux cette vision de Louis-Auguste Blanqui, qui théorise moins qu’il n’agit, qui est si peu politicien et tellement révolutionnaire. Méthodologiquement, Geffroy a procédé par collage, utilisant à la fois sa culture — immense — de l’histoire de France, ses recherches personnelles, ses rencontres avec des témoins encore vivants, l’exploitation de lettres, de journaux, et surtout, me semble-t-il, son imagination aidée et magnifiée par la confraternité ressentie pour Blanqui. Si l’on est proche de son sujet d’étude, le risque de non objectivité est grand. Est inévitable même. Mais la probabilité d’une œuvre vibrante est, c’est l’évidence ici, augmentée.

Auteur

Gustave Geffroy

Collaborateur

Hervé Jeanney

Éditeur

publie.net

ISBN numérique

978-2-8145-0536-0

Date de parution 20111010

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