Carnet de bord 2020, semaine 47 22 novembre 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton (que le monde du livre nous envie) à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Journée calme. Reprendre les textes métamorphosés en PDF, ou dans leur nouvelle version selon les cas, relire, s'imaginer les livres à venir. C'est le cas de Marche-frontière, que l'on trouvait un peu trop frêle en relisant les épreuves, Roxane a donc revu un peu la mise en page pour un meilleur confort de lecture et, au bout du compte, une meilleure qualité d'objet (oui, ça se dit).

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L'heure est aussi venue de relire Jusqu'à très loin mis en page par Olivier Lavoisy, l'occasion de me replonger dans le texte, plus relu pour ma part (Jean-Yves et Virginie ont œuvré sur lui cet été) depuis plusieurs mois, lorsque nous l'avons découvert. J'en profite pour corner virtuellement quelques pages, et peut-être envisager un autre extrait pour la quatrième de couverture. Notamment celui-ci :

quand le temps change à la montagne ça change
l’ambiance – tu avances tu considères – engagée dans
le monde tes sensations – sortir traverser – des verbes
à l’infinitif ils me disent que tu es là – ta présence
les aiguilles – cette forêt elle s’efface – et tu t’effaces
avec elle ce bloc erratique – la centrale souterraine
qui turbine l’eau tu me réapparais portant les yeux
sur les remous – que je considère à mon tour notant
les mots que j’ai vus – le torrent l’héliport de secours
en montagne – le bois la voie ferrée – nous prendre à gauche

Notamment celui-là :

tu m’embrasses me questionnes – sondant mon cœur
as-tu aimé te balader dans un jardin avec moi – ta
gentillesse les bœufs blancs qui paissent en paix dans
le bocage pour nous y rendre – tes pas parmi les fleurs
les fleurs parmi tes pas – tu étais un théâtre de verdure
au milieu des marais une chambre avec son théâtre
de verdure – étais bordée de sentiers tu bordais les
sentiers – étais quinze hectares dans quinze hectares
un labyrinthe dans le labyrinthe – tes lèvres sur ma
tempe les viviers de ta voix en secret

mardi

Souvent j'attaque la journée me disant : aujourd'hui, je ne fais que des SP. C'est que je vis dans l'illusion qu'en soldant d'un coup une tâche X ou Y, je vais m'en prémunir à jamais. Si j'arrive à faire un jour non-stop de SP, j'aurais réglé d'avance tous les futurs SP qui se présenteront. Bien sûr, ça ne marche pas comme ça. Et, de fait, jamais je ne me retrouve à faire que des préparations d'envoi presse ou des listes de contacts sur des tableurs, il y a toujours des impératifs X ou Y, des imprévus (par exemple là ce sera un coup de téléphone : vous publiez des romans feel good ? or de fait, oui, on peut considérer que certains de nos livres sont feel good ; mais sont-ils des romans feel good pour autant ?). C'est à cette occasion que je constate que, par accident, J'ai été Robert Smith, quand on l'envoie seul dans une petite enveloppe à bulles, et accompagné simplement d'une petite carte promotionnelle, pèse précisément 99g. Il est donc dans la catégorie des poids idéale pour un envoi postal (poids plumes). On aurait voulu le faire exprès qu'on n'y serait pas arrivé. Et disons que ce n'est que justice après toutes les fois où on s'est retrouvé à 101g ou 251g (c'est rageant). Les premiers envois presse pour Robert Smith et la Comédie urbaine partent donc.

Ce qui nous amène à quelques dilemmes futiles (j'aime bien les dilemmes futiles) : nous imprimons nos propres timbres, sur lesquels il convient de faire figurer des motifs standardisés proposés par la Poste (si on veut intégrer les nôtres, c'est payant). Si certaines zones de poids sont claires (les 250g aux pandas, les 500g aux rhinocéros, qui sont plus lourds, comme chacun sait, la logique est donc respectée) d'autres sont plus nébuleuses. Pour les 100g, ce sera le lapin. Mais pour les envois à l'étranger ? Après mûre réflexion, le hibou (l'étranger comme un oiseau de nuit ?).

Mine de rien, le coût des timbres est une donnée sensible quant à la question des envois presse (la solution idéale étant de pouvoir envoyer des SP numériques,  mais ne me lançons pas sur ce sujet...). Pas que des SP d'ailleurs : les activités de vente à distance des petites structures en général. Pendant qu'Amazon bénéficie d'un contrat spécifique avec la Poste pour envoyer à moindre coût ses envois (qu'ils facturent 1 centimes pour n'être pas hors la loi, big deal), c'est très différent pour des acteurs comme nous qui n'avons bien sûr pas de pouvoir de négociation pour réduire les coûts transport. Du fait du reconfinement et de la fermeture des libraires, cette difficulté d'envoyer des livres par courrier à un juste prix est revenue au cœur des débats. Tant mieux ! Et le ministère de la Culture a annoncé il y a peu une prise en charge des frais d'envoi pendant le confinement... pour les librairies. Tant mieux pour elles. Mais ce n'est pas exactement ce que l'interprofession demande, et ce depuis plusieurs années. La principale revendication, pour des acteurs comme, par exemple, L'autre livre, c'est l'instauration d'un tarif livres et brochures pour la France. Cela permettrait des envois à moindre coût, et cesserait de fait cette situation absurde où il peut revenir moins cher d'envoyer des livres à l'autre bout du monde (ces contrées offertes aux oiseaux de nuit) qu'à l'autre bout du pays. Ce problème continuera de se poser hors confinement, et hors covid (les tarifs postaux ont prévu d'augmenter d'un peu moins de 5% en 2021). D'ici-là, les petites structures ne seront pas en bien meilleure forme...

mercredi

Je ne sais pas à quoi on est censé s'attendre pour les prochains jours, et les prochaines semaines. Noël, pas Noël ? Annonces ou non des grands prix littéraires ? D'ailleurs faut-il, quand on est libraire, se préparer à voir débarquer des ex-Goncourt prêts à la désobéisance civique pour les forcer à rouvrir illégalement leur boutique et payer eux-mêmes leurs amendes ? Si on nous avait dit ça il y a un an, que les ex-Goncourt en viendraient à tomber dans la délinquence insurrectionnelle anti (ou bien faut-il dire pro ?) système... Quid alors des Renaudot des années 2000 ou des Fémina des années quatre-vingt-dix ? Des Médicis d'il y a quinze ans en bande organisée ? Sans même parler des ex-Nobel ! Quelle année, vraiment. Ce qui m'amène à m'interroger sur complètement autre chose, lisant X manuscrit pour ce qu'il est, tout en n'étant pas ce qu'il est. À ce stade de ma lecture, je ne sais pas si c'est une bonne chose, ou plutôt : je crois que c'est une bonne chose sur le plan littéraire, et une mauvaise chose sur le plan commercial. N'est-ce pas souvent comme ça ? Bien sûr, un livre (un texte) n'a pas une vérité. Un livre est une vérité plurielle, la somme de toutes ses lectures sans doute. Le réduire (encore ce mot) à une seule, c'est peut-être nécessaire pour le commerce, mais peu pertinent pour la littérature. Non, ce qui m'interroge ici c'est comment on peut (ou non) décider de vendre (entendre : proposer une vision d') un livre comme ci plutôt que comme ça. Pourquoi on décrétera que tel titre est plutôt un livre feel good (pour rebondir sur ma situation d'hier) ou plutôt un récit de voyage. Ou plutôt une autofiction. Ou plutôt un témoignage. Ou plutôt un essai sur ceci ou cela. Je prends ici l'exemple de Notre vie n'est que mouvement, qui est tout en n'étant pas tout cela à la fois. Pourquoi plutôt choisir de l'orienter dans une forme plutôt qu'une autre ? Pour que le livre soit identifiable, classable, appréhendable, reconnaissable dans le réseau très codifié des librairies, des bibliothèques, des pages de recension dans la presse. Notre vie n'est que mouvement, on aurait pu le vendre comme autofiction dans notre collection Temps réel. Mais on l'a vendu comme récit de voyage dans Machine ronde. On a donc fait ce que tout un chacun fait quand il publie un livre et décide de la stratégie à tenir pour le proposer à des lecteurs. Somme toute, on a fait notre travail, et il ne nous appartient pas réellement de savoir, ou de décréter ici, si on l'a bien fait ou mal. Nous avons fait des choix. Et, de fait, la plupart des textes qui nous intéressent (faut-il parler de ligne éditoriale ?) sont des textes difficiles à classer, entre les genres, mouvants, hybrides.

Mais si on vend tel texte comme s'inscrivant dans un genre particulier, mais qu'au fond tel texte est plus une façon d'expérimenter autour dudit genre qu'une pleine expression s'inscrivant dans ce genre, est-ce qu'on déforme à ce point la vérité d'un livre qu'on finit par le tirer vers le bas ? Prenons un autre exemple. Le Faune Barbe-bleue est et n'est pas un thriller. C'est un roman (pas de doute là-dessus) qui reprend les codes du thriller pour les reconstruire via une écriture de littérature dite blanche. On aurait tout à fait pu le vendre comme roman noir. De fait, il en exploite les énergies : il y a une enquête, il y a une figure d'opposant forte, nous sommes dans un milieu fermé, on y joue avec les codes du conte réécrit comme récit moderne à suspens, on y danse avec la mort. Mais dans ce roman, l'intrigue policière, la résolution des crimes, passent finalement au second plan par rapport à l'autre grand axe du livre : la reproduction plastique de la mort dans l'art conceptuel et contemporain. La voilà la singularité du livre. À le vendre comme roman noir, on peut imaginer des lecteurs déçus de se perdre dans des descriptions d'œuvres qui font passer l'enquête au second plan. En le vendant comme roman de littérature contemporaine reprenant les codes de l'enquête, on est je pense plus à même de trouver notre lectorat, comme le veut la formule consacré. Raison pour laquelle, près d'un an après l'avoir écrite, je ne changerais rien de la quatrième de couverture. Elle me paraît à la fois être au plus juste vis à vis du texte, tout en l'identifiant à l'image de lui qui lui permettra de rencontrer ses lecteurs. Si ça a fonctionné ou non, on ne le saura malheureusement jamais : et d'une car on ne peut pas tout juger à l'échelle des ventes, de l'autre à cause des circonstances bien étranges de cette année qui ont brouillé les signaux. Le livre est paru fin février, quelques jours avant le début du premier confinement, la fermeture des librairies, et la longue traversée du désert que l'on sait (il n'est pas le seul). C'est comme ça, on ne va pas refaire l'histoire. Mais on est en droit (et même en devoir) de se demander, après chaque parution : a-t-on fait les bons choix ? A-t-on pris la bonne décision quant à la (ou aux) vérité(s) du livre ? Ce sont des questions essentielles, d'autant plus que curieusement (ou pas), ces dilemmes échappent le plus souvent à l'autrice ou l'auteur, qui n'a que rarement son mot à dire sur la façon dont va être vendu, là encore, son livre.

 

jeudi

Jour de livraison. Entre l'épidémie et le confinement, Chronopost n'arrête pas de bouleverser ses protocoles, on peut dire qu'aujourd'hui c'est carré. D'abord, je reçois la veille le mail de notre imprimeur qui me transmet le numéro de suivi des expéditions concernées. Puis la veille au soir le mail automatique de l'imprimeur toujours avec le contenu des expéditions qui me concernent. Ensuite, mail automatique de Chronopost m'informant qu'un colis m'est destiné, il me sera livré le lendemain entre 8h et 13h (livraison le matin, enlèvement l'après-midi chez Chronopost). Comme j'attends deux colis, je reçois deux emails (un par colis). Suivis bientôt d'un SMS me disant sensiblement la même chose (comme j'attends deux colis, je reçois deux SMS). Si je ne suis pas présent entre 8h et 13h (mais je suis présent entre 8h et 13h ; je suis même présent entre 13h et 8h et tous les jours suivants sur ces créneaux et tous les autres, quelle vie). Voilà pour la veille. Le jour J, je reçois de nouveau deux mails (un par colis) m'informant que la tournée est lancée et que je serai livré entre 8h50 et 9h50, puis exactement le même message (deux encore) par SMS. Je reçois ensuite à 9h08 un appel du livreur pour savoir si je suis bien chez moi (oui), lequel livreur arrive avec mes colis deux minutes plus tard. Bien que je sois là au cul du camion pour les récupérer, il les apporte devant ma porte pour pouvoir prendre une photo desdits colis sur le pas d'elle pour indiquer dans ses métadonnées de livraison livraison sur le pas de porte pour m'éviter une signature (j'avais mon propre stylo, comme les fois précédentes, mais enfin pourquoi pas). Suite à quoi je recevrai une notification par email m'indiquant que la livraison a bien eu lieu et me voilà avec mes colis, prêt à les ouvrir (et accessoirement faire une autre commande à l'imprimeur pour d'autres titres encore pour que se renouvelle le cycle sans fin des livraisons de colis).

 

vendredi

Nous y revoilà, car la vie est un éternel recommencement. Mais il faut dire qu'en la matière, 2020 fait particulièrement fort. Je veux dire : nous revoilà à spéculer. On entend ici et là qu'une réouverture des commerces aurait lieu le 28 novembre : que ferons-nous si cela arrive ? Ce serait finalement pour le 1er décembre : que ferons-nous si cela arrive ? Et sous quelles conditions la réouverture des librairies pourrait-elle être envisagée (interdiction de manipuler les livres et prise de rendez-vous des clients ? ça paraît difficile à tenir, fort heureusement d'autres options s'offrent aux libraires, il suffit d'être ingénieux comme dans cette petite BD de Tom Gauld).

Ah, peut-être que Macron va s'exprimer bientôt : que ferons-nous quand ça arrivera ? Et ainsi de suite. Ce n'est pas le seul comique de répétition à l'œuvre, semble-t-il, auquel il va falloir se préparer. On peut apprendre sur Livres hebdo qu'Interforum s'inquiète du nombre de parutions prévus chez les éditeurs pour le mois de janvier, allant même jusqu'à demander à ce que les plannings de publication s'allègent. De quoi revivre la sémillante rentrée d'automne d'il y a quelques semaines, chic, encombrée des (sic) poids lourds de l'édition française. C'est que l'ensemble des parutions du printemps 2020 n'ont pas toujours trouvé de points de chute. Beaucoup de premiers romans, par exemple, se sont retrouvés déplacés ailleurs, dans des zones temporelles indéterminées. Faut-il craindre le futur ? Mais enfin en l'occurrence, le futur c'est demain. Et on peut s'étonner qu'Interforum tire le signal d'alarme (comme le veut la formule journalistique éculée, et consacrée) si tard, un 19 novembre, moins d'un mois et demi avant les faits, donc. Revoir son planning de parution, alors que la communication est faite, que les SP sont envoyés, que la machine est lancée ? Étrange, non ? On n'est pas directement concerné, mais enfin ça prête à s'interroger, d'autant que la première vague non du covid mais de déclarations vertueuses d'X ou Y acteurs du livre quant à la sauvegarde des librairies prônant un allégement des parutions côté grands groupes n'a pas été véritablement suivi d'effets (ou des faits ?). Ce qui nous ramène toujours à la même question quand il s'agit de vouloir trier parmi les titres à paraître : quels sont les titres qu'on écrème, sur quels critères (littéraires, commerciaux ?) et pourquoi ?