Carnet de bord 2020, semaine 30 26 juillet 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , ,

lundi

Je crois l'avoir déjà écrit quelque part (mais où ? pas dans ce carnet de bord en tout cas) mais la gestion de l'offre numérique chez Livres hebdo est chelou (ce qui est en soi préoccupant vu qu'ils en sont à faire leur révolution vers le tout numérique). Nous ne sommes pas abonnés à LH : c'est trop cher. Même dans sa forme immatérielle, c'est presque 400€ l'année. On achète donc au numéro les numéros qui nous intéressent, la plupart du temps pour les (sic sic) rentrées littéraires. L'achat au numéro papier est à 12€ ; l'achat au numéro numérique est à 10€. Déjà, ça part moyen. Mais ça n'est pas fini. Pour commencer, il y a X plateformes différentes. Il y a la plateforme Electre de base où l'on a accès à notre catalogue, il y a Livres hebdo, le site internet, avec les articles accessibles derrière un paywall, il y a Electre boutique, où tu peux acheter un abonnement ou, donc, un numéro, quelle que soit sa forme, et il y a une plateforme de visionnage dudit numéro acheté via la plateforme précédente. Ensuite, on t'envoie la facture par email. Manuellement. Ce n'est pas un mail automatique, c'est quelqu'un. L'achat au numéro numérique ne te donne pas accès instantanément au numéro numérique que tu viens d'acheter : non, il faut que l'accès en soit validé (j'ose espérer de façon automatique) avec l'envoi d'un mail qui, lui, te redirige vers la plateforme d'accès au numéro (qui n'est pas celle de l'achat au numéro, vous l'aurez compris). Après quoi, bien sûr, je veux envoyer mon numéro à l'équipe (somme toute trois personnes). Je ne peux pas. Je n'ai pas accès à un PDF (un PDF, ça se pirate) mais à une application de lecture en ligne, un genre de visionneuse Calaméo en plus hypé, le genre de trucs que l'on peut voir dans des appli presse type Le Kiosque (qui s'appelle Cafeyn désormais mais c'est un autre sujet). Dans cette visionneuse (déjà, c'est un mot étrange), on peut faire défiler les pages comme pour un PDF mais horizontalement, et non verticalement, des fois qu'on serait trop perturbé par le passage d'un format à un autre. Mais soit. On peut imprimer, youpi. Je vais donc pour imprimer le numéro (comprendre en réalité, générer un PDF à envoyer par mail à mes joyeux collègues) mais ce n'est pas possible : on ne peut imprimer (ou exporter) que quelques pages à la fois. Soit, je n'imprimerai que les pages qui me concernent, mais pour une raison qui m'échappe la pagination du gestionnaire d'impression ne couvre pas l'ensemble du numéro, et bien sûr la partie qui nous intéresse est hors zone. Pas grave, je laisse la tablette de côté et je vais y accéder via l'ordi, c'est sans doute un problème d'interface mobile pas adaptée. Sauf que je ne peux pas faire ça : le numéro étant fucking verrouillé pour un appareil à la fois (même pas une adresse IP à la fois, non non, un appareil) pendant un laps de temps donné. Je dois donc attendre. Je dois donc me dire : les amis, puisque votre virage au tout numérique approche fort (dès le moins prochain), je crains fort que vous ne soyez pas prêts. D'ailleurs, l'édito de ce numéro le suggère bien : pendant le confinement, le manga et le livre audio ont progressé. Mais pas un mot sur le livre numérique. Vous comprenez maintenant pourquoi, du côté d'une grande partie de la profession et de la chaîne du livre, on est inaudibles avec nos utopies du tout sans DRM et du respect des lecteurs ? Enfin, je dis on, mais c'est les lecteurs qui ne sont pas écoutés. Il va donc falloir tendre l'oreille. Bref, c'était l'histoire du lundi : on est dans le dossier rentrée de Livres hebdo.

Qu'apprend-on d'autres dans ce numéro spécial rentrée ? Rien que l'on ne sache pas déjà : la part des premiers romans cette année est particulièrement réduite par rapport aux précédentes, de même que la littérature étrangère. Les grands groupes ont dégainé leurs stars pour assurer le résultat en prévision d'une période compliquée (reconfinée ? seconde-vaguisée ? pouvoir-d'achat-peau-de-chagrintisée ? suspens). Ce qui étonne (ou pas, d'ailleurs) toujours dans ce type de parution, c'est de voir la déclinaison des premiers tirages comme valeur signifiante. C'est la même chose qu'avec le montant des transferts de footballeurs dans L'équipe. C'est triste. C'est d'autant plus triste qu'à une échelle industrielle, les chiffres sont dérisoires : à part Amélie Nothomb et Ken Follett (qui dépassent les 200 000 exemplaires), on tourne plutôt autour de 10 ou 20 000, avec plafonnements à 50 000 parfois. Nous, on tire nos deux nouveautés de la rentrée (pour la première fois hors impression à la demande) à 500. C'est peu. Et c'est beaucoup à notre échelle. En-dessous, de toute façon, nous avait dit un jour un grand ponte du monde de la culture, ça ne vaut pas le coup de faire un livre. Méditons donc là-dessus.

mardi

On se parle en direct, avec Roxane, sur le chat imbriqué dans notre application du quotidien cabine de téléphone rouge (c'est son nom). En soi, ça n'est pas inhabituel. Si je lui réponds sur le téléphone, les autres appareils connectés réagissent également aux notifications que je reçois. Mais je reçois ces notifications après avoir vu les messages (et leur avoir répondu) sur le tel. Si bien que j'en viens à me dire (à tort) que nous sommes plus rapides que la vitesse du flux de la fibre optique ; nous sommes donc plus rapides que la lumière ! D'autres échanges avec Julie qui poursuit sa tournée d'appels de rentrée. Côté libraires, on est dans le ventre mou de l'été : plus trop de monde en magasin, peu de commandes. Ce matin, pour nous : 100% Amazon (retours compris). Bien. Hier, la fortune de son estimé patron a crû de 13 milliards. En une seule journée. Ah. Le ventre mou de l'été, ce n'est donc pas pour tout le monde. Ceci dit, tout le monde la prépare cette rentrée. Quand on regarde un peu ce qui se pratique chez d'autres éditeurs, et notamment chez les grands groupes, on est assez étonné de voir qu'au fil des années, le budget des envois d'exemplaires presse ou d'épreuves aux libraires a fondu... pour être semble-t-il reversé du côté des influenceurs sur Instagram ou YouTube. Qu'attend-on de la littérature ? écrit Benoît Vincent dans La littérature inquiète, dont nous venons de recevoir les épreuves. Qu'elle rassure ? Qu'elle enfonce des portes ouvertes ? Qu'elle fleuve, tranquille ? Que de questions à méditer pour notre été...

mercredi

Bonheur du matin : Notre vie n'est que mouvement figure parmi une liste de livres à lire cet été publiée dans Cheek magazine. Et voici ce qu'on peut lire :

Pourquoi le glisser dans sa valise: Parce que c’est une réflexion sur le voyage et sur la manière de l’envisager en 2020. Avec une plume bienveillante, l’autrice déroule une longue réflexion sur notre rapport à une histoire littéraire masculine, sur nos manières de voyager, sur le fait de partir seule sur les routes lorsqu’on est une femme et sur toutes les façons dont nous écrivons le récit de nos vies. Un roadtrip littéraire particulièrement attachant.

J'étais jusqu'à présent inquiet de ne pas voir d'articles de presse venir. C'était le risque à vouloir planifier la parution début juin (avec un peu de retard par rapport à la date initiale, à cause du confinement), plutôt que de la décaler à l'automne par exemple, voire à l'année prochaine (beaucoup d'éditeurs ont fait ce choix-là sur certains titres mais c'est rude pour un livre de le décaler d'autant), on le savait. Mais il faut imaginer cette angoisse à chaque parution : l'angoisse d'avant les premiers retours. Ensuite, une dynamique se met en place. Une chronique en appelle souvent une autre, puis une autre, etc. Du moins, c'est ce qu'on espère. Et puis, un beau jour, de chroniques, plus. Ce n'est pas que le livre est mort, c'est qu'il est médiatiquement mort. C'est très différent. Il suffirait, pour le ressusciter, de simplement écrire sur lui, ou d'en parler quelque part, de le recommander à quelqu'un. Même un an, deux ans, cinq ans, dix ans après. C'est quand même dans le domaine du possible mine de rien. C'est même facile à accomplir. Et pourtant...

jeudi

Aujourd'hui, pendant que Roxane s'attèle à la mise en page du Robert Smith de Daniel Bourrion, et surfe sur des dilemmes de pagination, c'est bibliothèques. Prolonger tel réabonnement, et facturer dans la foulée. Tester telle modification d'accès car les spécificités techniques de tel autre ont changé et qu'il faut adapter notre connecteur. Des échanges avec notre développeur Romain pour les petites choses à aménager qui me dépassent. Mettre en place un autre accès pour une autre collectivité en vue d'un abonnement à ouvrir à la fin de l'été, ou au début de l'automne. Faire des tests. Ne plus faire de tests : finir de relire La littérature inquiète, et sinon elle en personne du moins ses épreuves et faire une liste exhaustive des corrections à intégrer, que dis-je des corrections à intégrer, des ultimes corrections à intégrer et on sera bon. Pas inquiet mais elle si (la littérature). Nous non. Enfin le moins possible. Confiants peut-être. Impatients d’œuvrer pour la rencontre de cette étude sur la lecture et l'écriture avec ses lectrices et ses lecteurs. Impatients de présenter chacun de nos livres à celles et ceux qui vont les découvrir, en réalité. Et c'est un peu les limites du carnet que l'on atteint ici : les livres dont je parle le plus, ce sont ceux qui ne sont pas encore parus. Du coup, quand on me lit, a-t-on envie de les lire eux ? Et cette envie de les lire, si elle est bien présente, va-t-elle durer dans le temps ? Va-t-elle savoir résister assez longtemps pour aller jusqu'à la parution ? Ou bien est-ce qu'on se retrouve dans la même situation que ces tweets, petits articles ou publications sur les réseaux pour dire combien un livre de la rentrée, dont on ne parlera pas à la rentrée faute d'espace ou d'envie, est merveilleux deux ou trois mois avant sa sortie ? Mais un article critique, a-t-il pour fonction de faire vendre le livre dont il parle ? Ou bien sa trajectoire est-elle autre et son rôle moins mercantile que ça ? Quand j'ai commencé à tenir ce carnet de bord, je me suis dit : ça nous permettra de teaser. De partager la vie de la maison d'édition, d'avoir l'impression d'en faire partie et donc de connaître un peu les livres à venir précisément avant qu'ils viennent. Qu'on puisse les voir venir, voilà. Les attendre. Les espérer. Susciter le désir, quoi, et partager des moments de joie. C'est bien aussi. J'espère qu'ils peuvent se prolonger loin dans le temps.