Carnet de bord 2020, semaine 19 10 mai 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV

lundi

 

Jongler avec les messages aux critiques, chroniqueurs, journalistes. Avoir un mail type pour le vous, un mail type pour le tu. Se souvenir, donc, de qui je vous, et qui je tu. Parfois bien sûr, des messages plus personnalisés à celles et ceux que je connais le mieux. Parfois, des tâtonnements : chercher prénom + nom arobase, ou juste le nom, ou la première lettre du prénom, ou un point entre eux deux (y a ça dans 30 ans dans une heure, à un moment, tiens). Ailleurs, chercher dans un texte où se situe un autre point encore : le point de sortie. Ce moment où l'on décroche d'un récit. Que s'est-il passé ? Où (quand) était-ce ? Quand soudain, voilà ce que je me retrouve à écrire dans un mail on blurbera autour des phrases pas glop. Glups. Pendant ce temps, Roxane avance sur la mise en page de notre catalogue du deuxième semestre avec une version tête-bêche et l'autre pas (tête-tête, donc, ou bêche-bêche, à choisir).

 

mardi

Que faire des questions qu'on se pose à la lecture d'un texte qu'on n'a pas su élucider ? En faire une liste, l'envoyer à l'auteur et en discuter ensemble pour tâcher de comprendre ce qui va et ce qui ne va pas, et sur quoi travailler. En somme : ce qui est souhaité, voulu, conscient, ou pas. Ce qui marche et ce qui boite, quand ça boite. Là, un peu, il me semble que parfois ça coinçait. Long mail donc. Pas mal de longs mails, en fait, cette semaine. Des mails interminables. Des paragraphes, des paragraphes. Il y a donc des choses à dire. Il y a du volume. Mais il y a aussi des emails étonnants : ici une proposition de manuscrit, oui mais le texte composant le message est masqué. Quand on clique sur "afficher", un autre message indiqué comme masqué. Des poupées russes ! Il faut cliquer une bonne dizaine de fois sur des liens internes pour arriver à la présentation du texte. Un bug dans l'envoi ? Un mésinterprétation de l'appli Android pour les mails ? Une stratégie mûrement réfléchie de teasing de l'attention ? Comment savoir ? On se pose la question, toujours. Jusqu'à ce que, patatra, un mouton fasse irruption dans ma timeline. Vous avez bien lu. Un mouton sur un trampoline. On doit pouvoir retrouver ça. On l'a vu par accident et alors, après, on était bien en peine de se souvenir de ce qu'on était en train de faire initialement. La morale de cette histoire ? Pour écrire de longs mails, oublions les moutons.

 

mercredi

Trucs que je me retrouve à écrire quelque part :

  • le confinement n'a pas arrangé mes tendances sociopathes
  • je préfère l'autre fin : l'abrupte
  • Voyage en Italie en italique
  • non pas comité éditorial mais comédie
  • je vous rassure, je ne suis pas une intelligence artificielle

Il doit être temps de respirer un peu. Un constat : quand je m'occupe de 2021, je ne m'occupe pas de 2020 (et vice versa). Un planning donc. Des trimestres. Deux dans un semestre (logique). Des parutions et si oui quand (et surtout lesquelles quand) ? Non, ça c'est pas trop pour janvier, je trouve. Mars plutôt. Une parution contestataire, ça a du sens de la mettre en mai. Mai, c'est contestataire. D'où ça sort ? On ne saura pas. Mais enfin c'est sorti. Mai de l'année prochaine bien sûr. Quid du mai de cette année ? Timidement les ventes via le distributeur reprennent, je veux dire les commandes. Quatre exemplaires d'un même titre pour la Fnac. Une librairie indé qui prépare une réouverture heureuse en commandant L'homme heureux (et elle a bien raison). C'est timide mais ça commence à revenir. Espérons qu'un peu d'espace pourra être fait pour le Journal du brise-lames, qui sort aujourd'hui même et sous diverses formes, packs et métamorphoses.

 

jeudi

Fun fact : mon correcteur orthographique a l'air de vouloir qu'on change le titre de La ville soûle. Quelles pistes ? La ville soupe, ou La ville zoulou. La ville soûle semble quand même plus appropriée, et il paraît urgent de renouer avec elle, car cette ville soûle (quelle qu'elle soit) nous manque après quasi deux mois à ne remonter ou à ne descendre que la même rue : celle menant au supermarché, that's it. Par exemple, prendre une autre rue menant vers une librairie, qui d'ici lundi semble-t-il aura rouvert. Pour accompagner la réouverture des librairies, les discours sont mesurés, et les grands groupes sont les premiers à (déclarer envisager vouloir) alléger les plannings de parution de l'année pour ne pas noyer les tables. Voilà ce qui se passe côté pile. Côté face, les représentants des diffuseurs ont déjà repris les appels, prévoient de reprendre les tournées en magasin et envisagent des prévisions de commande très (trop ?) ambitieuses. Ambiance. Sur ce sujet, lire ce texte des éditions Adverse, attrapé par hasard sur Twitter (merci Franck Queyraud), qui explique parfaitement les dysfonctionnements à l'œuvre dans le monde du livre (et de sa chaîne). Extrait ici, mais l'ensemble du texte est, surtout en cette période, saisissant :

Si tout cela semble encore tenir, si l’on peut encore parler d’un secteur du livre et non pas simplement d’un champ de ruines, c’est grâce à la puissance d’aliénation du système. Ainsi, exemple symptomatique, dans le cas de retours importants d’invendus effectués par le libraire — ce qui est aujourd’hui devenu la règle, puisqu’un tiers des livres distribués sont retournés par les librairies, allers-retours aussi massifs qu’expéditifs dont on pourrait interroger la raison, sinon qu’elle est simple : chaque mouvement rapporte au gestionnaire des flux… Ce dernier, qui centralise aussi les flux financiers, a versé dans un premier temps à l’éditeur une somme correspondant à l’ensemble des marchandises reçues et payées par le libraire. Lors du retour des invendus, le libraire se voit non pas remboursé, mais crédité par le distributeur d’un avoir pour une future commande. L’éditeur quant à lui, de par les livres réglés mais désormais retournés, se retrouve endetté auprès du distributeur. Pour éviter d’avoir à régler son dû (qu’il n’est, sinon taux de ventes exceptionnel, presque jamais en mesure d’honorer), l’éditeur relance pour un tour, via de nouvelles parutions qui lui assureront de nouvelles liquidités, la circulation virtuelle de l’argent et des dettes.

Et pendant que quelques auteurs (Lou Sarabadzic, Antonin Crenn, Philippe Aigrain pour ne pas les nommer) relisent une dernière fois leurs livres via les épreuves papier que nous leur ont avons envoyées, je joue au capitalisme. Pardon ? Oui, je suis là à cliquer de façon compulsive sur le logo $ pour afficher la facture dans le backoffice du site lors de l'expédition des commandes. J'ai l'impression d'être cette tête de type sur les pions et la boîte du Monopoly. Est-ce que c'est grisant ? Bof. Est-ce que c'est ouf ? Pas ouf. Le capitalisme, c'est surcôté. S'en suit l'habituel rapport à l'équipe du mois d'avril : pas de surprise, ce fut rude. Si nous avons un peu plus que doublé nos ventes numériques par rapport à la normale, nos ventes papier ont été divisées par six par rapport à avril 2019. La perte de chiffre d'affaire sur ce mois est d'environ 60%. Nous devrions être aidé par le fond de soutien aux TPE, et c'est un soulagement. Maintenant qu'imaginer des mois à venir ?

 

vendredi

Roxane s'attaque à un gros morceau : celui de la mise en page du deuxième tome des Œuvres complètes d'Horace. Vers par vers, tout est une question d'équilibre. Philippe, lui, gère avec Manon le règlement des droits d'auteurs 2019 pour la première fournée (et alors qui des deux envoie des mails tirés par les cheveux et qui de l'autre apprécie leur cryptographie, je ne dirai rien). Moi, quand j'écris des messages à quiconque (car j'écris des messages à quiconque) j'ai tendance à commencer mes phrases par oui, non, du coup. Du coup, il faudrait que je trouve à me renouveler. Genre, genre. Ou alors, ça par exemple. Du coup quand un auteur me recontacte après mes retours sur son texte, je réponds quoi ? Oui ? Non ? En fait, il y a toujours un moment en suspension avant l'ouverture de tels mails. Et si j'étais tombé à côté dans ma lecture ? Et si on n'était pas sur la même longueur d'ondes ? Et si ce que je proposais ne l'enthousiasmait pas ? Tant qu'on n'a pas ouvert le mail, on ne s'expose pas à ce que notre lecture ait raté le coche. Mais tant qu'on ne l'a pas ouvert, on ne peut pas non plus se rassurer du contraire. Après lecture du message, oui, il apparaît que non, tout va bien, c'est l'enthousiasme. Mais enfin restons sur nos gardes (du coup). Car tout peut arriver.