Carnet de bord 2020, semaine 15 12 avril 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV

lundi

J'ai un million de choses à lire. Mais lire peut prendre des sens différents. Lire comme écrémer (des manuscrits). Lire comme découvrir (pour la première fois un texte de quelqu'un dont on apprécie beaucoup le travail et qu'on nous a confié). Lire comme relire (une deuxième fois un texte déjà lu dans sa précédente forme, et voir dans quelle direction il ose aller). Lire comme vérifier (que les épreuves corrigées d'un livre pratiquement prêt à être vendu -- sauf que plus rien ne paraît en ces temps suspendus). Lire comme ouvrir, parcourir et assimiler (des mails en retard). Lire, aussi, ce qu'il se dit dans la presse littéraire et/ou économique quand ça concerne le secteur (je n'ose pas dire le m*rch*). Livre l'avenir dans du marc de café et des cartes de tarot (tâcher de).  Lire entre les lignes. Lirécrire ce carnet. La bonne nouvelle du jour, c'est que depuis que j'ai râlé dans ce même carnet que les ventes numériques et les abonnements n'explosaient pas, les abonnements repartent à la hausse. Là en revanche, il convient de se retenir de lire entre les lignes : s'il suffisait à l'éditeur de râler quelque part pour faire monter les ventes, tous les auteurs et nous-mêmes serions déjà multimillionaires à l'heure qu'il est.

mardi

J'ai rendez-vous. Je n'ai pas rendez-vous nulle part, j'ai rendez-vous là où je suis. Je n'ai donc pas à bouger pour me rendre à mon lieu de rendez-vous, qui est aussi un lieu de non-rendez-vous si vous me suivez. Le lieu du rendez-vous correspond parfaitement à ma position géographique dans l'espace d'un lieu, qui est aussi mon lieu de vie, mais qui n'est pas pour autant le lieu de vie de ceux avec qui j'ai rendez-vous. Néanmoins, nous nous retrouvons au même endroit. Et nous ne bougeons pas. Si personne n'est en retard (à commencer par moi), c'est sans doute que personne n'a dû bouger. Bref, c'est une rencontre en visio : avec Philippe Ethuin et ses étudiants profs documentalistes stagiaires. Je suis dans une salle virtuelle où l'on peut parler, voir et être vu, lever la main virtuellement, par exemple pour poser une question ou demander la parole, et parler sans émettre le moindre son (et il convient ici d'appeler un chat un chat). Pendant un peu plus d'une heure, je raconterai publie.net, et ce que nous faisons au quotidien, et ce que nous avons traversé, et le web littéraire dans les grandes lignes, et comment on se positionne, et quelles sont nos valeurs, nos particularités, comment fonctionne (ou ne fonctionne pas) le livre numérique, notre offre d'abonnement notamment aux bibliothèques (mais pas que), que sais-je encore. C'est un peu étrange, car à un moment donné je perds le retour son et je n'entends plus ce qu'on me dit : j'ai donc la sensation de parler seul, quoi qu'on me parle néanmoins (sur le chat, vous avez bien suivi : il s'agit donc encore de lire et non de se parler). Des questions vont fuser ici ; je tâcherai d'y répondre. Quand j'ai commencé à participer à ce genre d'exercice (porter la parole éditoriale de la maison, comme on dit), j'avais toujours la crainte d'avoir dit n'importe quoi. C'est ce que je pensais en sortant de ces rencontres : j'espère que je n'ai pas trop dit de conneries. A priori non (ou alors, si c'est le cas, c'est passé comme une lettre à la Poste). Plus maintenant. C'est sans doute l'habitude ? Ou bien alors, c'est que le n'importe quoi s'est tellement démocratisé de nos jours qu'en comparaison du n'importe quoi industriel que nous déversent en permanence nos grands groupes ou nos responsables politiques, mon n'importe quoi paraît bien tendre et naïf. Infinitésimal même. Je ne sais pas. Ou bien alors mon n'importe quoi n'a jamais été n'importe quoi, mais simplement la vie même. La nôtre. Notre expérience. Notre parcours. Et quoi qu'il arrive à présent dans ces rencontres, j'ai toujours le bon réflexe à la fin : ah oui, une dernière chose : allez donc lire le carnet de bord.

mercredi

Cela faisait bien longtemps que mon seuil de mails à traiter n'était pas remonté autant (comprendre donc que la pile, virtuelle, quant à elle diminue). Est-ce dû au fait que, m'attelant à la livraison de ce mois du dépôt légal du livre numérique (qui, contrairement au dépôt légal de l'imprimé, fonctionne encore en télétravail), j'ai écrit dans un fichier ou dans un message (ou les deux) le mot steaming au lieu de streaming ? Je ne crois pas non. Je veux dire : certes, la température remonte, mais on ne se croit pas encore dans un sauna pour autant. Mais enfin, ce petit aléas de dysorthographie m'a plongé pendant quelques secondes au moins dans un bain de vapeur, un genre de source d'eau chaude faite non de particules d'eau mais de balises xml. D'accord, ce n'est pas très exotique. Mais enfin c'est bien aussi.

 

jeudi

J'écris dans un mail J'ai d'abord cru, ayant lu ton message d'hier aujourd'hui, qu'aujourd'hui serait demain, mais aujourd'hui est bien aujourd'hui malgré les quelques dérèglements temporels qu'induit le confinement sur notre perception. Et preuve que je suis effectivement un pied dans l'hier et un autre dans le présent (à supposer seulement que quelque chose comme le présent existe bien), je m'en vais aujourd'hui trouver la parfaite image de représentation de notre carnet de bord de la semaine dernière, concernant les titres gratuits qui se vendent :

C'est issu de nos rapports de vente sur notre site, et je les compile pour le fameux tableau récapitulatif du mois précédent à envoyer à l'équipe élargie (je dis élargie car les directrices et teurs de collection le reçoivent également). En remontant ces tableurs, je constate qu'en mars, nos deux livres numériques payants les plus vendus sur les plateformes sont dans l'ordre : La peste écarlate (désormais proposé gratuitement pendant quinze jours, preuve que nous avons le sens du commerce) et Voyage autour de ma chambre. Le plus vendu des gratuits est, quant à lui, et loin devant tous les autres : Des fantômes dans les arbres (plus de 400 téléchargements en dehors de notre site). Un autre visuel montre par ailleurs la progression des ventes numériques sur les plateformes depuis le début de l'année (le mois d'avril est bien sûr en cours) :

vendredi

Que les autrices et les auteurs aient en ce moment du temps pour boucler leurs manuscrits et nous les envoyer, je peux le comprendre. Mais pourquoi cette recrudescence des contes philosophiques ? Sans doute un mystère du confinement. J'essaye de faire le tri entre ce qui de toute évidence n'est pas dans nos champs et ce qui l'est. Je disperse. Je fais des grimaces. Je m'interroge. J'attends un coup de fil. Un livreur de Chronopost doit me livrer des épreuves (Atlantes et Notre vie n'est que mouvement). J'aurais aimé avoir aussi celles de Sœur(s) et des Présents mais ça n'a pas pu être possible lors de l'expédition par l'imprimeur. On aurait préféré limiter au maximum le nombre de livraisons (ce dont des épreuves que nous serons seuls à recevoir, décision prise de ne pas les envoyer aux auteurs et directeurs de collection concernés pour restreindre au maximum les déplacements, et donc les contacts potentiels). On essaye de faire au mieux, quoi. Le mieux est-il l'ennemi du bien ? Parce qu'il y a un projet sur lequel travaillent Christine Jeanney et Roxane depuis maintenant de longues semaines qui, pour le coup, est vraiment bien, voire mieux que bien. Et bien qu'on ne sache pas encore quand nous pourrons le faire paraître, je crois qu'il est temps de dépasser le stade du teasing. Voilà ce quoi il s'agit :

Qui se souvient de Louise Ackermann ? Oubliée de l'histoire littéraire (comme combien d'autres femmes avec elle ?), son œuvre est pour le moins singulière. En plongée dans ce qu'il nous en reste (journal, poésie, lettres...), Christine Jeanney a monté une œuvre elle-même (d)étonnante : un genre de rétrospective de l'auteure en traversant sa vie de part en part. Le tout de façon non linéaire, et libre. Ce faisant, elle nous aide à nous souvenir ce dont nous n'avons peut-être pas même la mémoire. C'est fort, non ? On espère être en mesure de vous le proposer bientôt, par exemple à l'automne. En attendant, pendant que Philippe commence à faire tourner ses scripts pour générer les relevés de droits d'auteur 2019 à partir de mes tableaux, que Roxane valide les e-épreuves de Sœur(s) et des Présents auprès de l'imprimeur, que je mets en place un article récapitulatif de notre offre aux bibliothèques pour le site afin d'inviter les établissements qui n'ont pas encore sauté le pas de nous rejoindre, La peste écarlate n'en finit pas d'être téléchargé (j'accorde au masculin, partant du principe que ce qui est téléchargé c'est bien le livre et non la peste elle-même, du moins nous l'espérons) ; preuve que les gens se préparent psychologiquement à un happy end ?

Happy end ou pas, le carnet de bord, lui, fera relâche la semaine prochaine : après bientôt un mois de confinement dans mon salon, j'envisage des vacances confinées dans la chambre.