Carnet de bord 2020, semaine 2 12 janvier 2020 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Ce mois-ci, le brouillon manuscrit de la newsletter me prendra une demi-heure. C'est peu. Je fais semblant de croire que si j'y parviens, c'est que je suis particulièrement concentré et efficace. Je fais semblant de ne pas voir que je suis sans doute (aussi) un peu pressé. J'en reviens à nos oloés. Je dis nos, et pas seulement car c'est un travail que nous menons ensemble avec Anne Savelli, mais aussi à cause de (grâce à) la dimension collective et spontannée de ce néologisme, que nous sommes bien nombreux, au fil du temps, à avoir utilisé. D'ailleurs, l'une des surprises que nous réservons avec cette nouvelle édition est liée à cette dimension collective. J'en dis plus ? J'en dis pas plus. Là, comme pour Sœur(s) d'ailleurs vendredi, il est question, pendant que je reprends cette dernière version relue par Anne, de collecter les étoiles. Ça l'air poétique, mais c'est en réalité basiquement pratique. Durant mes lectures, j'isole souvent des passages en les signalant par des ***, et d'une parce que c'est important aussi pour l'auteur, ou l'autrice, qu'on ne pointe pas uniquement les moments qui coincent ou vis à vis desquels on souhaite signaler un problème X ou Y. Aussi, surtout, parce ces extraits *** j'en aurais besoin à un moment ou à un autre dans la vie du livre à venir (matériaux pour une quatrième de couverture, éléments de langage (sic) pour présenter le livre, etc.). Pour ne pas risquer de les perdre dans une multitude de versions, je les mets de côté et je les stocke dans notre application de gestion de projet cabine de téléphone rouge. Du coup, qu'est-ce que je mets de côté ? De petites choses. Des phrases comme Chaque segment aimante. Mais les oloés nouvelle version verseraient-ils dans le film d'horreur ? Disons qu'il est intéressant de le laisser penser...

Parfois, forcément, les pistes qu'on propose, ou les corrections qu'on suggère ne sont pas suivies par les auteur.e.s (et c'est bien naturel). Soit qu'on se trompe (ça arrive), soit qu'on ne sente pas bien la musique du texte (ça arrive encore). Soit, comme ici, qu'on ne voie pas tout à fait la dimension politique qu'on met dans l'usage même de la ponctuation. En cela, les réponses que nous font les auteur.e.s (ici Anne Savelli, toujours au sujet des oloés), sont particulièrement enrichissantes. Le contexte, c'est une  liste d'oloés possibles. Parmi les propositions : un bar sans BFM (on sait combien BFM peut être un sujet d'écriture aujourd'hui), et je suggère de passer "sans BFM" entre parenthèses. Et voici sa réponse (que je reproduits ici avec son accord) :

Ah justement non, à la fois pour une question rythmique et aussi pour que ça apparaisse sans condition : un bar sans BFM ou rien. Je sais que ce « sans BFM » va dater mon texte. Un jour BFM disparaîtra des bars comme les radios genre Chérie FM ont disparu, replacées par les écrans de télé qui diffusent BFM. En attendant, je voudrais le laisser comme ça. Mettre une parenthèse ferait surgir une connivence avec le lecteur que pour l'instant je ne cherche pas.

mardi

En ce début d'année, on reçoit beaucoup de manuscrits. Est-ce dû à un genre d'effet bonne résolution ? Peut-être. Mais on peut dire que le marché (sic) de l'écriture se porte bien, comme la librairie indépendante par ailleurs qui enregistre, pour 2019, une progression de 7%, ainsi que rapporté par Livres Hebdo (lequel Livres Hebdo ne se porte pas si bien que ça, puisque s'apprêtant à arrêter sa parution papier pour passer au tout numérique). Mais sur ces 7%, combien pour le seul Astérix ? À en croire les libraires, en plus de la dernière BD d'Uderzo, le Goncourt et le Renaudot fonctionnent (notons l'emploi d'un vocabulaire plutôt propre à la machine). En soi, ce n'est pas très original. Mais il y a aussi l'effet Le consentement, de Vanessa Springora. Sauf qu'en plus du Consentement, les clients demandent aussi à commander Matzneff. Matzneff dont, a annoncé son éditeur Gallimard, le journal ne sera plus commercialisé : les exemplaires vont ainsi être rappelés, ce qui emprunte cette fois au vocabulaire des produits défectueux pouvant potentiellement blesser, intoxiquer, voire tuer les consommateurs l'ayant, eh bien, consommé. Je n'en dis pas plus. Mais il y a comme un bug. C'est le correcteur orthographique qui ne sait pas trop comment prendre le mot oloé. Finalement, il suggère de le modifier en olofées et, plus tard, mais dans un autre texte, Soeur(s) cette fois, Philippe me répond en commentaire d'un de mes propres commentaires : l’auteur a envahi le personnage. Il s'agissait de culottes courtes anachroniques.

mercredi

C'est aujourd'hui que paraît L'homme heureux et, s'il le faut, nous détruirons internet avec lui. Nulle destruction de quoi que ce soit au programme néanmoins. Mais l'envoi des premières commandes du livre sur le site. D'autres commandes arrivent, elles, des libraires qui nous suivent. Et puis il faut se plier aux tâches répétitives induites par toute parution : aller modifier manuellement le statut de disponibilité du livre dans Electre (j'ai des alarmes pour ça). Envoyer le mailing aux libraires leur rappelant la parution du livre (je mets des mots coup de poing en gras dans mon argumentaire, ce qui sans doute est inutile). Envoyer quelques SP dont je viens d'avoir les adresses. Naviguer de point en point le long de la succession semble-t-il infinie des tirets cadratins dans le livre, et dont on peut voir le squelette dans cette belle projection ponctuée du roman proposée par Joachim.

 

Et sous le squelette de L'homme heureux, qu'y a-t-il ? La ville soûle que l'on devine au loin. Elle est à l'approche comme on dit. Elle vient.

jeudi

Un dilemme concernant les rencontres, notamment en librairie (ou pas en librairie d'ailleurs). Pendant les grèves dans les transports, c'est encore plus difficile de fédérer du monde, de faire se déplacer les gens. Notamment, comme c'est le cas ici, quand il s'agit de lieux en (proche ou lointaine) banlieue. Réfléchir donc. Réfléchir aussi sur des dilemmes de genres : faut-il écrire un ou une tractopelle ? Faut-il incarner le camembert sur la couverture Des étés Camembert ? Roxane travaille dessus, et aux illustrations aussi. Réfléchir, donc, et lire des manuscrits qui te font de nouveau croire en l'espèce humaine (ouf). Dans les marges de l'un, je trace un peu partout ce drôle de signe chelou qui signifie c'est bien.`

C'est le versant manuel de mon ***. Pendant lecture d'un autre, se retrouver à écrire est-il utile cet accident de voiture ? Puis penser en fait, ce personnage n'est-il pas (comprendre ne devrait-il pas êtreun vampire ? Ce qu'on se dit quand on lit. Car lire, plus encore quand on en est à ce stade poreux et hybride de texte encore gluant dans sa glaise, n'ayant pas fini de sécher, la terre n'ayant pas prise encore, c'est aussi projeter beaucoup de ses propres attentes, idées, espoirs. Là, il faut que je fasse attention, et je dois être très pédagogue dans mon message accompagnant le manuscrit annoté sur ce que signifient mes observations et mes propositions. Faut-il toujours les suivre ? Non bien sûr, ce sont des exemples que je donne, jamais des injonctions. S'agit-il d'un choix binaire ? Non plus, bien souvent, mes pistes de réécriture permettent simplement à la personne de se construire sa propre alternative. Il n'est jamais question d'écrire le livre à la place de l'auteur. Là, si je dois particulièrement l'expliciter, c'est qu'il s'agit d'un texte entre deux, dont personne n'est réellement sûr, à commencer par moi, que nous le publierons bien. Cela dépendra de la direction qu'il va prendre. Quelque part, c'est injuste pour l'auteur, qui va peut-être faire tous les efforts nécessaires pour ne finalement pas voir son livre publié (du moins par nous). Quelque part, c'est injuste pour nous, car c'est passer du temps sur quelque chose que n'allons pas porter, ni vendre. Mais entre-temps, tous, nous aurons avancé.

vendredi

Je ne sais pas pourquoi, ni comment, mais la plupart des manuscrits de roman ou de récit que nous recevons ces temps-ci commencent par un prologue. Philippe Castelneau en parle dans sa dernière lettre "Rien que du bruit" (à laquelle je vous invite à vous abonner, et ainsi faire un pas de côté en lisant le web là où il ne se trouve pas, et pourtant vibre encore, c'est-à-dire en sous-sol, loin des réseaux sociaux qui tendent, en surface, à prendre toute laplace), lorsqu'il évoque les règles d'écriture proposée par Elmore Leonard. Les voici :

  1. Ne commencez jamais un livre en parlant de la météo.
  2. Évitez les prologues.
  3. N’utilisez jamais un verbe autre que « dire » pour mener le dialogue.
  4. N’utilisez jamais d’adverbe pour modifier le sens du verbe « dire »… assena-t-il doctement.
  5. Gardez vos points d’exclamation sous contrôle. Vous n’avez pas le droit d’en utiliser plus de deux ou trois pour 100 000 mots de prose.
  6. N’utilisez jamais les mots ou expressions « soudain » ou «  l’enfer se déchaîna ».
  7. Utilisez les dialectes régionaux et les patois avec parcimonie.
  8. Évitez les descriptions détaillées des personnages.
  9. N’entrez pas dans les détails lorsque vous décrivez les lieux et les objets.
  10. Essayez de laisser de côté les passages que les lecteurs ont tendance à sauter. Ma règle la plus importante est celle qui résume les dix autres : si ça a l’air écrit, je le réécris.

Ces règles ne sont pas toujours applicables telles quelles pour la fiction contemporaine et, comme toutes règles, celles-ci sont aussi faites pour être malmenées. Mais je serais bien curieux de savoir pour quelles raisons chacun des auteur.e.s nous ayant soumis un texte qui s'ouvre sur un prologue l'a fait commencer par cela. Parce que le récit lui-même le nécessitait ? Ou à cause de genre de sentiment les incitant à penser que c'était ce qu'il fallait faire ? Ou par pur mimétisme ? Voici un autre genre de règles : ne surtout pas faire ce qu'on croit qu'on attend de nous. Et ne pas, quand on est l'hôpital, se foutre de la charité dans un carnet de bord.