Carnet de bord 2019, semaine 28 14 juillet 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

La semaine donc commence par un proverbe anatomique envoyé par Christine Jeanney dans le numéro 25 de son pauvre mensuel, "L'e dans l'o". Une parution qu'on reçoit gratuitement par email chaque début de mois (abonnez-vous donc) qui ne manque pas de bon sens :

le bon sens est une notion instable

pour le tueur en série le bon sens est de tuer en série, pour le boucher le bon sens est de trancher la viande, pour l'adepte du vaudou le bon sens est de piquer d'épingles une poupée ensorcelée, pour le marchand le bon sens est de multiplier le nombre de ses clients, c'est pourquoi quand s’utilise l'expression "bon sens" il faudrait sans cesse se demander "pour qui ?"

Le bon sens, ça consiste pour moi ce matin à me méfier quand je vois passer dans la timeline électronique un mail de Philippe dont l'objet est joies comptables, puis dans un autre message activités comptables erratiques, puis enfin dans le cadre de la bureautisation du monde, la banque me demande (ce à quoi je lui réponds je t'emprunte "dans le cadre de la bureautisation du monde" dans  l'optique d'une forme de carnetdebordisation de nos activités)... Dans les faits, le bon sens, c'est aussi d'intégrer dans le back-office de la gestion des métadonnées et de la promotion des titres un onglet mise en avant des articles. Je le remplis systématiquement à chaque nouvelle parution alors même que j'ignore totalement où cette information ressort, à l'attention de qui et sous quelle forme. Julie : ça peut faire partie des infos qui apparaissent dans les logiciels utilisés au quotidien par les libraires, mais ça dépend un peu de chaque infrastructure. Ce module permet de signaler si un livre est majeur ou pas (rien à voir avec le droit de vote), s'il s'agit d'une nouvelle édition, d'une nouveauté, etc. Et à côté de ces cases à cocher, une date de réinitialisation, qui signifie qu'à partir de ce moment-là, la case se décoche d'elle-même et n'apparaît plus comme telle (comme nouveauté, comme livre majeur, etc.). C'est-à-dire que quand tu remplis ce module, tu déclares toi-même la date de péremption du livre à paraître, c'est-à-dire, pour un livre qui sortirait à la RENTRÉE LITTÉRAIRE™, une durée de vie allant jusqu'à la fin du mois de décembre, avant la RENTRÉE DE JANVIER™, qui jadis n'était pas un truc et qui là l'est devenu. Du bon sens, on vous dit.

 

Mais ce n'est pas ça qui m'importe aujourd'hui. Ce qui m'importe, c'est Fabrizia Ramondino, ici traduite par Emanuela Schiano di Pepe, et voici comment s'ouvre le recueil que nous publierons à l'automne, et que Emanuela a déjà lu en partie lors au jardin du Luxembourg le mois dernier (voir photo de Mathilde Roux) :

Aux marges de la grand’ route – aujourd’hui l’autoroute –

il existe toujours un sentier clair,

que nous voudrions tous emprunter. Il nous est juste

permis d’y lancer un regard furtif,

et l’espace d’un instant nous ressentons

une douleur intense ou une joie pure.

Tel est

notre destin mécanique de condamnés

à aller de l’avant.

Devant ça, tout le reste s'évapore, même les appels intempestifs de quelqu'un qui me dit de but en blanc vouloir savoir si ce qu'il écrit correspond à notre ligne éditoriale.

— Avez-vous lu nos livres ?

— Non.

Ailleurs, quelqu'un qui m'écrit, suite à un refus : Le résumé de livres comme CENSURÉ ou CEEEEEEENSURÉ, par exemple, me semble (...) particulièrement obscur...  Mais si cela intéresse des lecteurs masochistes... À mettre sur un bandeau !

mardi

Pendant qu'à 273km de là Lou Sarabadzic, qui poursuit son tour de Montaigne, écrit que voyager seule: c'est l'être rarement, je lis cette autre phrase qui date de l'avant-veille : depuis quelques jours j'ai enfin trouvé la structure du texte que je travaille pour cette résidence, et je veux en faire rapidement une ébauche suffisante pour l'envoyer à mon éditeur (qui lira certainement ceci avant que j'aie eu le temps de l'envoyer). Et c'est le cas ! S'en suit derrière un échange de mails où il sera question de planning, d'oloé, de slogan et de Chandler (et je précise : Bing, pas Raymond). Au cours de notre point hebdomadaire, Julie m'explique combien le suivi des catalogues est complexe cette année ; l'an dernier, c'était déjà laborieux mais nous avions pris ça pour un rejet de notre flyer, identifié comme de la pub de base. Là, c'était un vrai catalogue, c'est-à-dire un livre, et en définitive il sert moins à nous faire découvrir par des librairies qui ne travaillent pas, pour l'instant, avec nous, qu'à fidéliser des libraires avec qui nous travaillons déjà. Ce n'est, en soit, pas rien, mais être pas rien dans la vie c'est rarement suffisant. Alors il convient d'imaginer d'autres choses peut-être. Il y a de moins en moins d'envois de catalogues papier maintenant, tout passe par mail. Il y a quelques années, nous avions précisément fait le choix du catalogue papier pour parler à celles et ceux qu'on ne pouvait pas toucher par mail. Alors, peut-être, tenter d'autres choses la prochaine fois. Un envoi papier à une liste réduite de librairies qui nous suivent déjà, doublé d'un envoi du pdf par mail de façon plus globale ? L'envoi d'un catalogue avec une meilleure qualité d'objet (grand format, graphisme fou), toujours pour un nombre réduit de destinataire plus pdf à tous ? La création d'un site tape à l'œil avec extraits audio ou vidéo des livres inclus ? Oui mais les libraires cliqueront-ils, ou elles ? Pour l'heure, ce ne sont que des questions. On réfléchit à voix haute. Avant de commencer à relire Amnésie du présent pour essayer de trouver une place à la littérature :

Puis, après un message de Roxane par messagerie interposée disant raah oui c'est vrai y'avait ça, message à la fois suivi par le smiley 😉 ET -_- (de sorte que raconté comme ça, on ne sait pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose), viendra le temps de l'habituel rapport du mois précédent à envoyer à l'équipe, avec deux nouveaux (magnifiques) graphiques qui viennent matérialiser l'évolution et la répartition des retours depuis le début de l'année (puisque nous avons autorisé les retours sur nos livres, pour ceux parus à partir de 2018, depuis le début de l'année).

 

Qu'est-ce que ça nous apprend ? Que passé le choc des retours massifs d'Amazon en début d'année, nous sommes redescendus à des taux plus corrects (environ 10% en moyenne sur les six premiers mois de l'année, comprendre donc que sur ce que nous vendons chaque mois, environ 10% de ce total, mais pas forcément  ces livres-là, nous reviennent comme invendus). Nous avions estimé le "risque" à 20% en début d'année. Et que les retours proviennent à peu près autant d'Amazon (en deux ou trois fois au début de l'année) que de libraires indépendants (qui nous en renvoient plutôt en petites quantités, au compte-goutte). À noter également que sur ces retours libraires, un tiers aurait pu être évité si nous avions été en contact avec le libraire avant l'organisation d'une rencontre (nous aurions alors procédé autrement pour éviter le pilon, puisque c'est de cela qu'il s'agit). C'est un premier bilan qui, pour l'instant, reste dans l'attente de la fin de l'été : il est en effet fort probable que pour faire de la place pour la RENTRÉE LITTÉRAIRE™, nous voyions passer des retours d'ici fin août...

mercredi

Puisque Google censure nos échanges mails avec Joachim Séné, qui rappelez-vous projette dans Hh de détruire internet, il faut ruser pour s'écrire et faire en sorte que nos mails arrivent bien à destination. Donc, ce matin, voici ce qu'il m'écrit pour l'envoi de la V5 (et il précise au moins) :

J'ai toujours pensé que Facebook et Google étaient des entreprises philanthropiques, mises à mal par des détracteurs jaloux, journalistes solitaires en manque de sujet, toujours prompt à déverser leur haine sur le Bien et le camp du bien.
ci-joint un document hagiographique sur cette Belle Entreprise qu'est Google, qui n'est pas le devil, yo.

Et ça marche ! Je reçois bien son message et la pièce jointe qui va avec. Puis, un appel de Philippe, englué dans les déclarations de droits d'auteur non plus à l'AGESSA mais à l'URSSAF (que de violence dans toutes ces majuscules) : j'ai besoin de m'épancher. On peut le dire, c'est une corvée. Et là, quand tu déclares un auteur résidant fiscal à l'étranger, le formulaire te propose toute une série de champs, mais si tu as le malheur de remplir ou même simplement de passer par un des champs pas indispensables, oublie l'enregistrement de tes données, il faudra que tu repasses par toute la connexion et que tu remplisses juste ce qu'il faut, c'est à dire notamment cette information essentielle qu'est le "début d'activité" pour laquelle le mode d'emploi t'explique qu'il faut toujours mettre 01/01/2019.
Glups. L'après-midi, je reprends la relecture d'Amnésie du présent (suite et fin) :

Si l’on connaît des sociétés sans cinéma, sans roman, sans théâtre ou sans philosophie, on n’en connaît aucune sans poésie. Comment expliquer ce paradoxe ? Par une raison aussi simple qu’inaperçue : si toutes ces formes de littérature ou d’art sont des « genres », donc des formes culturelles et sociales déterminées, la poésie n’en est pas un. Puisqu’elle est l’entre des genres. Un espace vide où tous viennent, en même temps, se nourrir et s’abolir.

Plus loin :

jeudi

Au moment d'envoyer un contrat, au lieu d'écrire au bas du document comme je le fais toujours la mention pour le représentant légal, j'écris par erreur pour le représentant létal. Que faire de ça ? Le représentant légal, je le retrouve justement ce midi pour ce que François de Rugy appelle un déjeuner informel de travail (mais sans les homards géants) pour faire le point sur tout un tas de choses avant mon départ samedi. Il est aussi question de SF et de William Gibson, qui se retrouve cité à un moment dans Riposte digitale, tiens. Riposte digitale dont la V5 est à présent entre les mains de Benoît Vincent pour relecture, Benoît Vincent dont j'ai le dernier livre, L'entreterre, paru au printemps aux Inaperçus, sur mon bureau depuis quelques jours (et la vie est une suite de connexions télescopiques) et là, Philippe me dit, concernant complètement autre chose mais je ne dirai pas quoi (ah !) : ce serait une bonne surprise que ça crée des problèmes. Puis viendra le moment de faire avec Roxane les ultimes retouches à Ambiance garantienotamment des histoires de guillemets, ainsi qu'une correction défaite dans une précédente version mais à refaire ici car, entre temps, on s'est aperçu qu'un truc (quel truc ? que de mystère cette semaine dans le carnet de bord) était une légende urbaine, soit. Sauf que moi, chaque fois que j'entends (en l'occurrence là que je lis) l'expression légende urbaine je pense aux bébés crocodiles évacués dans la cuvette des toilettes aux États-Unis, se retrouvant ensuite adultes à végéter dans les égouts, laquelle légende me ramène toujours aux crocodiles, non, aux alligators des égouts new-yorkais qu'on retrouve chez Pynchon, que l'un des personnages se retrouve dans V pendant tout un chapitre à chasser (et c'est un épisode culte cette histoire d'alligators). Le rapport avec nous ? Sardinia. Comment ça Sardinia ? C'est un livre de Daniel Bourrion. Il y est, à un moment donné, question d'alligators. Trois en réalité.

Premier alligator (mais en fait non, pas encore vraiment) :

...dans des séries aussi glauques que l’eau des marais les alligators nous imaginant jusqu’aux genoux enfoncés là-dedans essayant d’échapper à des meutes lancées à notre poursuite...

Deuxième alligator (mais en fait non plus) :

...mais il n’y avait pas d’alligators il n’y avait rien ce n’était qu’eau pendant des miles et piles et piles dessous les ponts le long bitume jusqu’à ce qu’elle soit offerte là à peine une ville la Nouvelle-Orléans moite lascive de tous côtés sous sa touffeur...

Troisième alligator (non plus, toujours pas, c'est de la publicité mensongère ou quoi ?) :

...cherchant des bayous on voulait voir les alligators nous garant n’importe où marchant au milieu d’arbres drapés de guenilles scrutant la moindre flaque d’eau mangeant des libellules...

Eh bien Marge alors. Pardon ? Oui, dans Marge, de Josée Marcotte, certes il n'y a pas d'alligator, mais il y est fait mention d'un crocodile :

Marge veut se procurer des larmes de crocodile... Dénicher l'animal ne pose pas tant de problèmes, mais parvenir à l'émouvoir reste une entreprise laborieuse... Elle risque fort d'y passer la journée... La laisserons-nous faire ou oserons-nous enfin lui dire qu'elle essaie de soutirer des larmes d'un sac à main...

Bref, des livres avec lesquels passer un bel été à sang froid.

vendredi

Il y a vraiment un truc avec Hh ou alors l'informatique m'en veut, je ne vois que ça. Au moment de reprendre la V5 du manuscrit avec les réponses de Joachim, et des passages modifiés, le logiciel plante en plein milieu, il faudra tout refaire, et notamment des références philosophiques (non) à Avengers. Recommencer, donc. Puis envoyer le document en retour à Joachim, mais aussi à Philippe qui relira de son côté aussi. L'idéal, ce serait que nous ayons fini le travail sur le texte (hors corrections et relectures) d'ici fin août. On y croit. Derrière, ce sera des recommandations de type en mon absence, la relecture des Sonnets à Orphée et du ménage dans ma boîte mail pour qu'elle puisse recueillir, dans mon dos, des monceaux de messages non lus à décacheter ému (plus ou moins) à mon retour. Du coup, le Carnet de bord sera en sommeil jusqu'à début août. D'ici-là, rassurez-vous, le catalogue est vaste, vous ne resterez pas sans lecture bien longtemps (avec ou sans alligators)...