[NOUVEAUTÉ] L'Empire savant, de Pierre-Marie Desmarest : le premier des romans de science-fiction ? 12 juin 2019 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , , ,

Un voyage extraordinaire, car c’est bien de cela qu’il s’agit : trente ans avant Jules Verne, Pierre-Marie Desmarest imagine l’épopée d’un jeune Français, prénommé Isidore, dont le projet s’inscrit plus dans la rêverie métaphysique d’un Cyrano de Bergerac découvrant la Lune que dans les grandes expéditions scientifiques décidées et financées par les États.

1815 : mis à la retraite forcée, Pierre-Marie Desmarest, ancien chef de la police politique de Napoléon Ier tue le temps à Compiègne en écrivant. Son regard de policier exercé le pousse à imaginer ce que sera la civilisation de demain, la nôtre, qu’il place dans une contrée au cœur de l’Afrique, préfigurant sans le savoir le célèbre comics Black Panther. Ainsi naît L’Empire savant, une œuvre surprenante et protéiforme, dont les degrés de lecture sont innombrables. Sans aucun équivalent pour son temps, classique dans son architecture, ce roman se révèle d’un grand modernisme, oscillant entre science-fiction visionnaire et satire sociale et politique. Desmarest surprend son lecteur par l’étendue de ses connaissances, la fraîcheur de ses remarques et la naïveté feinte de son propos, tout en poursuivant son but et son questionnement : le progrès fait-il le bonheur ? Et comment le pouvoir l’utilise-t-il ?

Nous publions aujourd'hui avec une grande joie un texte un peu spécial, même pour la collection ArchéoSF qui en a l'habitude, un texte retrouvé il y a quelques années par Vincent Haegele, directeur des bibliothèques de Compiègne. Voici le début de son introduction à ce récit peu commun.

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Le premier des romans de science-fiction ?

Un peu de curiosité et une belle découverte

Cette histoire commence comme un roman. Au début de l’année 2013, alors que je venais de prendre mes fonctions de directeur des bibliothèques de Compiègne, je mis à profit quelques instants gagnés sur les corvées quotidiennes pour explorer les magasins dont j’avais reçu la garde. C’est un fait sur lequel je suis assez intraitable : un responsable d’établissement se doit de connaître tous ses fonds, y compris (et surtout) ceux qui n’ont pu être signalés au public.

A priori, rien ne me permettait d’affirmer qu’il puisse encore subsister des surprises dans ces rayonnages impeccablement rangés et ordonnés depuis les travaux entrepris par mon prédécesseur. Depuis plusieurs années, les fonds anciens de la bibliothèque Saint-Corneille sont conservés dans l’ancien cellier des moines, endroit aux allures de nef souterraine et silencieuse, formant un îlot de fraîcheur loin du tumulte urbain.

Et pourtant, si les fonds, parmi lesquels des trésors ayant survécu à plusieurs guerres et non des moindres, avaient été parfaitement conditionnés et cotés, il n’en restait pas moins quelques pièces à identifier. C’était le cas des manuscrits cotés VDC 130.

Cette inspection se doublait d’une impérieuse mission : je devais déterminer parmi tous les manuscrits conservés ceux qui étaient susceptibles d’être numérisés et ceux qui, pour de multiples raisons, ne pouvaient pas l’être. Le temps était à l’urgence, les subventions étant volatiles et notre équipe de bibliothécaires engagée dans un projet d’envergure, destiné à faire entrer la vénérable institution dans le XXIe siècle.

Le hasard voulut qu’un de mes collègues, confrères et amis, Charles-Éloi Vial, conservateur aux Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, vînt me rendre visite à l’occasion d’une conférence qu’il devait donner dans l’après-midi devant la Société historique locale. Je lui offris de voir avec moi ce qui restait à survoler en vue des numérisations. J’ouvris donc devant lui l’une des boîtes marquées VDC 130, de laquelle s’échappa une pluie de papiers poussiéreux au dernier degré, présentant le plus grand désordre. Certains avaient été hâtivement serrés dans des chemises de fortune, raturées et griffonnées. Toutes portaient la même petite écriture nerveuse, si caractéristique de la fin du XVIIIe siècle.

Les répertoires dont je disposais relevaient qu’il s’agissait là des « papiers » de M. Desmarest, sans aucune autre indication, ni même un semblant de description. Quelques mentions ici et là me firent vite comprendre que ce M. Desmarest n’était autre que Pierre-Marie Desmarest, dont la majeure partie de la carrière s’était effectuée au sein du ministère de la Police de Napoléon, des premiers jours du Consulat jusqu’à la défaite de Waterloo.

C’était déjà en soi une belle découverte : il n’existe en effet aucun fonds spécifique relatif à Pierre-Marie Desmarest aux Archives nationales. Le personnage, étant donné ses fonctions, avait fait disparaître par prudence une grande partie de ses papiers dès la Première Restauration, en 1814. Il s’avéra par la suite qu’il en avait donné une autre partie à son ancien supérieur, Joseph Fouché, et que le fils de ce dernier les fit entrer à la Bibliothèque nationale sans aucune mention d’origine, où ils se trouvent toujours.

Quelques semaines plus tard, mis au courant de notre découverte par mon confrère, Emmanuel de Waresquiel, qui travaillait alors sur une vaste biographie de Fouché, m’appela et, avec un certain ton de conspirateur (il n’en fallait pas moins étant donné les circonstances) me demanda si les papiers en question étaient visibles. Il fut donc le premier à en découvrir l’ampleur, car je n’avais pas eu le temps de les regarder, et encore moins de les classer. Emmanuel resta deux jours à Compiègne devant un tas de manuscrits bien sales, mais c’était là une tâche qu’il affectionnait depuis de nombreuses années et s’il ne trouva que de très maigres renseignements pour son travail en cours, il m’indiqua qu’il y avait là matière à plusieurs travaux de recherche différents. Lui-même en avait assez appris sur la façon dont Pierre-Marie Desmarest, à la manière de son grand patron, avait investi le produit de ses primes dans les terres à vendre des environs de Compiègne.

Au bout de quelques mois, les principales urgences ayant été réglées, je pus enfin me pencher à mon tour sur ces manuscrits, n’ayant aucune idée de la façon dont leur producteur les avait classés de son vivant. Ils avaient été, de toute évidence, mélangés à de nombreuses reprises jusqu’à former un amas sans cohérence, duquel surnageaient des comptes domestiques, des notes de lecture, quelques morceaux de textes rédigés, des fragments d’affiches et des lettres écrites dans le cadre d’une correspondance purement familiale. J’avais là l’ensemble des activités menées par Pierre-Marie Desmarest pendant les années qui avaient suivi la chute de l’Empire. Évidemment, c’était, à première vue, un peu décevant. On pouvait espérer la trace de quelque obscure confession, des révélations sur un événement célèbre, mais Desmarest avait été un homme prudent et consciencieux : de ses années à la Police, il avait pris soin d’effacer toute trace directe.

Il y en avait pourtant une, et de taille : ici et là, traînaient les premières ébauches, ainsi que leur mise au propre, de chapitres entiers de ses mémoires, parus après sa mort sous le titre de Témoignages historiques. Ainsi, le manuscrit original n’avait pas disparu après impression, mais avait été sagement récupéré par les héritiers du policier. Il y avait même un ou deux chapitres inachevés, ainsi que quantité de travaux préparatoires, lesquels étaient très instructifs sur sa manière de travailler.

Au bout de quelques semaines, j’avais pu reconstituer l’ensemble de la trame des Témoignages, tout en mettant de côté les archives purement personnelles, ainsi que la correspondance.

Demeurait alors encore une grande quantité de papiers, que j’eus le plus grand mal à identifier. Là aussi, on reconnaissait des titres, même si certains étaient biffés ; les feuillets étaient parfois numérotés, d’autres fois non. Il y avait un mémoire complet, couvert de formules arithmétiques et de considérations sur la géographie et l’astronomie. Apparemment, Pierre-Marie Desmarest avait occupé ses vieux jours à des travaux aussi scientifiques que vains... et puis, il y avait un grand fouillis de notes sur l’Afrique. En recoupant ces notes avec le contenu de chapitres déjà traités, je compris qu’il avait mené un projet en parallèle à la rédaction de ses mémoires et que celui-ci était des plus originaux. Au fin fond du département de l’Oise, entre 1820 et 1830, un ancien fonctionnaire impérial avait rêvé un long et périlleux voyage sur un continent inconnu, imaginant mille aventures et rebondissements.

Il y avait enfin un petit nombre de manuscrits que je crus tout d’abord rédigés de manière indépendante. Leur contenu me dérouta ; je crus que Pierre-Marie Desmarest s’était essayé à l’occultisme pour tromper son ennui, quand bien même tout m’indiquait qu’il était un esprit rationnel, matériel, très opposé à toute idée de superstition. Dans un premier temps, en rédigeant un premier cadre de classement provisoire, j’indiquais « Occultisme et autres travaux », avant de comprendre de quoi il s’agissait réellement. Le récit de voyage avait une suite !

Et quelle suite ! Certes, il manquait des pans entiers du récit pour former un tout parfaitement cohérent, mais il y avait, d’un fragment à l’autre des noms identiques, des situations qui se répétaient. Il n’y avait qu’à les lire, puis les transcrire pour en restaurer l’ordre. C’est ainsi que ressuscita le seul et unique roman de Pierre-Marie Desmarest. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre qu’il était d’un grand intérêt : derrière le récit d’aventure se cachait un projet beaucoup plus fou, le récit de notre propre époque et de toutes ses turpitudes technologiques...

Et la suite de cette introduction ainsi que le texte sont à découvrir dans ce fabuleux livre qu'est L'Empire savant !

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208 pages
ISBN papier 978-2-37177-576-3
ISBN numérique 978-2-37177-210-6
18€ / 5,99€

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