Carnet de bord 2019, semaine 15 14 avril 2019 – Publié dans : Carnet de bord – Mots-clés : , , , , , , , , ,

publie.net, le feuilleton, à retrouver chaque semaine, par GV.

lundi

Il va falloir mieux calibrer ce Carnet de bord. La première semaine fera office de prototype (c'est sans doute un peu long). Inutile de viser l'exhaustivité : c'est un travail de longue haleine et certaines choses reviendront d'elles-mêmes. J'ignore quels seront les retours. Il me semble qu'il y a une vraie curiosité sur les rouages de l'édition, doublée d'une sorte de tabou de ce qui peut parfois (ou non) s'y pratiquer. Nous suivons aussi beaucoup les fils Twitter de Julien Simon, qui se propose de décortiquer certaines de ses propres pratiques. Par exemple ici, sur la sélection de manuscrits :

 

Quelles que soient nos sphères littéraires, de genre ou pas de genre, narratives ou moins narratives, l'idée, c'est de donner des clés de lecture, aussi, de notre travail à tous. Pour que peut-être nos énergies, nos espoirs, nos déceptions, paraissent plus clairs à tout un chacun. Là, toute une partie de la matinée est précisément consacrée aux réponses aux manuscrits : pas aux lectures, juste aux réponses de ce qui a déjà été lu, et parfois débattu, ou alors aux accusés réception. Lorsque retours il y a, ils sont plus ou moins détaillés en fonction de notre réception du texte, de nos hésitations, coups de cœur et incompréhensions. Cette semaine, que des refus. Même si les retours demandent du temps, de l'énergie, c'est important. Pour certains auteurs qui nous contactent, il s'agira peut-être des seuls refus argumentés qu'ils recevront. Autrement, ce sera lettre type et compagnie (ou alors, de plus en plus, pas de réponse du tout). Il s'agit ici de messages courts, qui visent à synthétiser des avis de lectures pluriels (on ne peut pas non plus y passer trop de temps). Mais c'est aussi un pari sur l'avenir : parmi ces auteurs à qui l'on répond aujourd'hui négativement se trouve peut-être quelqu'un qui saura nous toucher ou nous convaincre dans quelques années. Entre temps il nous faudra trouver la perle rare qui nous permettra à nous d'être encore là pour le dire d'ici là. C'est un numéro d'équilibriste. L'après-midi, je peux enfin me mettre à Hh. Troisième lecture pour moi, toutes différentes. J'ai l'impression de m'approcher progressivement du texte comme lorsqu'on voit venir vers soi le paysage en contrebas avant l'atterrissage d'un avion. De loin, tout paraît fondu dans une forme de fixité. Plus on s'approche, plus il y a du mouvement, un flux, de la vie. Là, si je remarque d'éventuelles coquilles ou erreurs de formulation, syntaxe, c'est surtout le moment venu de signaler ce qui ne me paraît pas toujours clair (enjeu important, le roman étant parfois très technique). Il faut alors trouver sa propre distance et ne pas aller contre le flux (de la langue, mais aussi de la narration, des énergies souterraines). Dans un texte comme ça, on pourrait craindre, en déplaçant une phrase, de faire s'effondrer tout l'édifice. Ne pas le faire, donc. Pour autant, il convient de noter tout ce que l'on pense de nature à nous perdre, ou tout ce qu'on n'est pas sûr de saisir, ne serait-ce que pour permettre à l'auteur de prendre conscience de certains écarts : ici, on a tendance à perdre le fil, est-ce que c'est un choix conscient ou c'est un accident ? C'est un travail exigeant qui ne souffre aucune saute d'attention, raison pour laquelle je me défais des mails et des notifications de la vie quotidienne qui, elle, pendant que je n'y suis pas, continue son chemin. Grâce à ce roman, j'apprends qu'il existe une société des amis des câbles sous-marins (et je ne m'en remets pas). Surtout, on peut lire des trucs comme (et j'écris superbeau en commentaire dans la marge, ça ne sert à rien mais c'est indispensable) :

ici des dunes, là-bas des pierres, partout la mer — un pont sur l’usine marémotrice — les données par vagues, raz-de-marée de data remuées par des câbles vitesse de la lumière — nos messages dans l’écume

Lorsque j'émergerai du texte, reprendre pied dans la réalité me coûtera plus de vingt mails en attente. En trois heures, j'ai à peu près couvert le premier tiers du manuscrit. Parmi ces messages, une demande presse pour les Nouvelles de la ferraille de la part d'une chaîne de télé. Et tout à l'heure, appel d'une journaliste d'un quotidien régional pour recevoir L'empire savant. J'ignore si c'est un effet Monde des livres, mais nous sommes un peu plus attractifs qu'avant. Good !

 

mardi

J'ai un article à rendre dans deux jours et jusque-là ma gestion de la deadline a consisté à déplacer cette tâche dans mon planning mental de semaine en semaine. Là, on ne peut plus reculer. Ça va vite car, en réalité, il s'agit de trois micro-textes pour accompagner la parution de l'anthologie de la Maison de la poésie de NantesGare maritime, qui présentera des extraits des textes au cœur de la soirée organisée là-bas pour les 10 ans de la maison en janvier 2018. Il faut donc présenter publie, mais aussi Florence Jou et Sébastien Ménard, et en réalité il suffit d'ouvrir son cœur sur quelques 10 000 signes en tout. En rédigeant ces portraits, je me dis qu'il y aurait sans doute matière à faire quelque chose avec ça, créer une rubrique sur le site sur laquelle on accueillerait des portraits d'auteurs écrits par d'autres, on demanderait à quelqu'un d'en écrire un sur celui ou celle de son choix, sous la forme de son choix, lequel/laquelle ferait de même ensuite, etc. Gardons ça dans un coin de nos têtes connectées. Avant de réaliser les plannings de parution de Paysages augmenté et de Au Canal, qui paraîtront à la rentrée (c'est-à-dire une liste de deadlines à respecter au fil de la fabrication du livre) et de déposer les métadonnées Hachette pour le Cochin, dont la couverture s'affine (un tableau excel qui contient toutes les informations importantes relatives au livre, du format au prix en passant par la collection, les catégories d'achat, le poids ou la quatrième de couverture), c'est l'heure d'un nouveau point avec Julie.

L'autre jour, un libraire lui a indiqué que dans sa formation Métiers du livre, on lui a beaucoup parlé de notre travail et de l'importance de la maison en terme de diversité éditoriale. Non seulement il est très appréciable et agréable de voir que de jeunes libraires sont mis au courant de ce qu'on peut faire dès leur formation, mais cela permet d'économiser un temps d'échange non négligeable qui, cette fois, ne sera pas passé à rassurer la personne sur le type de littérature qu'on propose, nos techniques d'impression, ou le .net dans notre nom. On peut espérer que dans les jours ou les semaines qui viennent, ce libraire passera commande. Et c'est petit à petit, commande par commande, qu'on réussira à construire notre bonhomme de chemin cette année. D'ailleurs les ventes d'une série de rencontres organisées la semaine dernière sont tombées, et les deux tiers des livres fournis pour ces évènements ont été vendus ! Il faut maintenant facturer la librairie, qui nous renverra à nous les invendus afin d'éviter la mise au pilon des retours (un cas particulier que l'on peut effectuer lors de rencontres ou de signatures, mais pas lors du placement d'un titre lors de sa parution ; dans ce cas précis, les ouvrages retournés sont détruits par Hachette et bien que ce soit dommageable, c'est le prix à payer pour faciliter le placement sur les tables). D'autres cartons arrivent sans cesse : là, c'est Chronopost et les épreuves du prochain Al Teatro, que j'envoie aussi sec à Roxane et Julie, ainsi que les exemplaires presse de Je les revoisqui partiront aussi l'après-midi même. On hésite toujours à parution d'un titre à envoyer des épreuves non corrigées pour les journalistes (beaucoup d'éditeurs le font) car ça nous ferait gagner plusieurs semaines et bien sûr les journalistes ont besoin de recevoir en amont de leur parution les livres. Pour Je les revois, on a tranché la poire en deux et certains ont reçu des épreuves il y a environ un mois. L'idéal, c'est quand même de pouvoir envoyer à temps des exemplaires parfaits. Quant à Hh, on en est aux deux tiers, je finirai demain (même si finir n'est pas exactement finir, il me restera encore à reporter mes notes, commentaires, corrections dans le fichier ODT de Joachim avant de le lui renvoyer).

 

mercredi

Réunion d'état-major pour les droits d'auteur 2018 chez Philippe. Manon, qui se chargera des envois des relevés, et des correspondances avec les auteurs en amont des paiements, nous a rejoints. Le but, ici, c'est de nous coordonner tous trois, après la phase de remplissage des tableaux d'auteurs et de titres et l'exécution du programme composé par Philippe qui génère automatiquement, à partir du tableau, les relevés de ventes pour chacun. On vérifie que tout va bien (tout va bien), on fait quelques tests types pour voir si les relevés sont conformes aux tableaux (les relevés sont conformes aux tableaux), le tout en buvant du thé Marco Polo. À un moment donné, il y aura un point merle en scrutant les fenêtres puis quelqu'un dit que quelque chose (j'ai oublié quoi) ouvrirait un potentiel de bordel qu'on préférerait éviter. N'en sommes-nous tous pas là ? Là, il y a un couac dans le script, une valeur vide dans le tableau a généré un -1. On corrige. Cette année, il faut songer à une communication accompagnant les relevés, les cotisations des auteurs n'étant plus gérées par l'AGESSA, refondue dans l'URSSAF. Il n'y a plus de distinction entre les assujettis et les affiliés alors, désormais, tout le monde se retrouve à avoir une cotisation vieillesse de 6,90 % de retenue pré-comptée sur ses droits. La Ligue des auteurs professionnels a publié un communiqué à ce sujet. D'autres auteurs commencent à s'exprimer là-dessus, ici Joachim. Par ailleurs, le site www.extinctionculturelle.fr exprime son inquiétude sur ce qui risque de se passer lors de la fusion de l'ensemble des régimes de retraite envisagée pour 2025 (oui, c'est loin, mais…) qui pourrait se traduire soit par une augmentation importante des cotisations, soit par une réduction importante des bénéfices (pour ceux des auteurs qui en bénéficieront vraiment). Toujours est-il que les relevés des droits 2018 seront envoyés par email dans le courant du mois pour des règlements qui, idéalement, interviendront au plus tard d'ici fin mai. L'après-midi, rendez-vous avec *** pour parler de son texte. Il est question, notamment, de focalisation. Est-ce qu'on arrive mieux à mettre en mots des sensations qu'on a ressenties à la lecture ou l'expression de certaines frustrations ou incompréhensions de vive voix que par écrit ? Pas sûr. Je parle pas mal avec les mains. On essaye de se trouver un terrain neutre où nos pensées convergent. Ça nécessite encore du thé et, derrière, c'est la soirée Anne Savelli à la Petite lumière, tout proche de la rue Daguerre, au centre du livre d'Anne. On prend en photo l'arbre de mots clés présenté pour l'occasion et que les éditions de l'Attente ont mis en visuel pour la quatrième de couverture du livre.

jeudi

Les épreuves d'Erased, l'essai poétique d'Isabelle Pariente-Butterlin sur l'effacement, sont arrivées depuis déjà une dizaine de jours mais je ne l'ouvre qu'aujourd'hui, faute de temps. On avait des doutes sur le rendu à l'impression de notre tentative de rendre sur papier l'effacement de passages entiers intervenus durant le travail sur le texte. Effacer des bouts d'un livre sur l'effacement, c'est le comble ! Raison pour laquelle on a décidé de garder certains passages effacés, mais de les garder effacés. C'est-à-dire qu'on les voit mais sans pouvoir les lire. On mesure leur poids, leur espace sur la page, quelque part même on en fait le deuil. Mais on ne peut les lire véritablement. Nos doutes portaient sur la capacité de l'impression à rendre cette sensation de flottement, je trouve qu'on s'en sort plutôt bien. Le hasard veut que l'effacement des lignes d'une page vienne se fondre avec la forme d'une autre ligne située sur la page précédente, qu'on devine par transparence. C'est une brume heureuse. Je suis assez content. Reste à voir les retours de Roxane et d'Isabelle, quelques coquilles à corriger au passage, et faire la mise à jour des fichiers auprès de l'imprimeur.

Toujours dans la collection essais, relecture du texte fondamental que dédie Jacques Ancet à l'écriture et à la littérature, qui s'intitule actuellement La voix de la mer et que nous allons porter en papier à l'automne sous un nouveau titre, et dans une édition revue. Ce sera Amnésie du présent. On y trouve une liste de composantes formant la base du roman et que l'on pourrait relier aux échanges Twitter évoqués lundi avec Julien sur les règles de narration :

une narration (dont la linéarité pourra être aussi rompue ou em­brouillée qu'on voudra) ; un temps et un espace situables et reconnaissables (même si chronologie et topographie peuvent en être bouleversées) ; des personnages qui peuvent, parfois, se réduire à une voix ou à un pronom, mais qui n'en conservent pas moins une cohérence du fait de leur rapport avec d'autres personnages (ou voix, ou pronoms) et avec un monde extérieur aussi allusivement évoqué soit-il ; une unité d'action et une unité thématique qui peuvent, apparemment voler en éclat, mais qui demeurent la base d'organisation visible ou non de l'ensemble. Et tout cela — narration, temps, espace, personnages, unité d'action et unité thématique — a toujours plus ou moins partie liée avec la représentation. Autrement dit : suppose un monde auquel il est fait référence, fût-ce de la manière la plus indirecte, la plus al­lusive.

 

Débats internes au sein de nos collections sur un texte dont nous ne sommes pas d'accord, à plusieurs. Comment nous organiser dans ce cas ? Je n'ai jamais été partisan d'un consensus à tout prix. C'est arrivé, parfois c'était spectaculaire, mais c'est rare. Il convient donc aussi de nous organiser entre nous pour savoir comment nous pouvons nous projeter (ensemble ou séparément) par rapport à un texte. Et je crois que la contradiction qu'on trouve parfois chez autrui nous aide à clarifier notre propre rapport au texte concerné : est-ce qu'on a envie de se battre pour lui ou pas ? Répondre à cette question, c'est commencer déjà à y voir plus clair dans notre envie de publication.

 

vendredi

J'avais un rendez-vous téléphonique avec Hachette pour mettre en place une sorte d'aide à la diffusion en Île de France par leur intermédiaire. Les librairies franciliennes, c'est un vrai enjeu pour nous : il y en a beaucoup et on a du mal à y proposer nos livres. La question de l'espace, particulièrement réduit à Paris, ne facilite pas le placement. Là, je crois que la personne m'a oublié. Pas de réponse... Et le SP de Nouvelles de la ferraille envoyé en début de semaine à cette chaîne de télé est revenu à l'expéditeur, adresse erronée. C'est une journée sans, d'autant qu'il faudra remettre à plus tard des choses qu'on pensait boucler aujourd'hui. Grmpf. Devant un manuscrit qui m'aura occupé toute une partie de la semaine, je me demande : quand est-ce que l'on s'arrête de lire ? Ça dépend du texte bien sûr. Et, souvent, aller au bout est déjà un enjeu en soi. C'est ce que je ferai pour lui, bien que je ne m'y retrouve pas du tout. Je comprends en terminant pourquoi : c'est un manque de conflit dans le roman, qui aplanit l'ensemble de la narration, et une absence totale de distance critique envers le sujet qu'il aborde. Avec ça, je pourrais faire un retour précis et argumenté à l'auteur, qui s'en servira ou non dans la suite de son cheminement. Moi, j'aurais appris quelque chose de mon propre rapport au texte et de mes attentes. On peut donc dire que c'est gagnant gagnant et que je n'ai rien perdu du tout, à commencer par mon propre temps. Et il vaut mieux voir les choses comme ça.