[NOUVEAUTÉ] Le Rêve d’Anankè, d’Emmanuel Tugny 25 mars 2015 – Publié dans : Notre actualité – Mots-clés : , ,

cover-ananke« Tu dis que tu ne comprends pas ce que je te dis, Elilama... Quelle importance... ? Comprend-on un paysage ? »

Au cœur de douze tableaux où s’épousent les espaces, se confondent les échelles, s’entrecroisent la parole sainte et la parole impie, de Venise à Bombay, de Paris à l’imaginaire Iseora, Anankè, une prophétesse étrange, entretient avec Eli Lama l’agnostique et le Rabbi Yissa un dialogue tendre et mystique sur l’amour du monde, de l’être au monde et de l’être du monde.

Une œuvre singulière, inclassable, follement enchantée, que baignent d’un jour commun la sagesse des formes et les formes de la sagesse.

Dans le rêve d’Ἀνάγκη, l’arbre dégoutte sur les marches du temple. Il est dit que d’une blessure pratiquée au fin cœur de la mer lèvent des jungles d’ongles où l’oiseau puissant prend le chemin des feux ronds.

Ἀνάγκη est assise et elle fume. L’oiseau picote à la porte où les huit chemins froissent l’étoile qui guide l’arahant.

« Je ne te parlerai qu’une langue, Elilama. Tu auras la langue de Maitreya qui est à venir et qui est ma langue et celle de l’arbre aux chemins.

Il y a une part du ciel où nous apporterons les grands tours de ce qui est au printemps, de ce dont nous tenons nos enfants.

Le chemin dont je te parle, Elilama, est celui de ce qui est toujours en mon rêve comme l’ombre de la montagne qui plonge par la mer dans ce qui est le ventre et le sourire du monde. J’ai beaucoup traversé le monde : je ne te parlerai qu’en enfant couché. Il y a trois jarres au monde et une seulement est le monde, cependant. Je te parle en enfant couché et ce qui lève après les feux et les moissons me roule au ventre ce que tu y roules avec ta queue et l’humeur de ta bourse pour qu’il y ait un printemps.

J’ai vu la deuxième jarre et elle est la maladie, l’ombre, le détroit, le récif.

Deux bras rouges y prennent naissance, à qui manque la main.

J’ai embrassé la deuxième jarre ; vraiment je l’ai prise entre mes bras et j’ai entendu sa plainte affreuse, sa plainte qui est sans nom.

Elle est un singe, un singe bien amer, Elilama ! Elle est un singe dont les mains vont danser dans le monde pour qu’il y ait au monde des mondes.

Pour que s’y engendrent les terres.

Je l’ai embrassée et elle a fouillé mon ventre avec le singe et il y a eu un lit sans fruit qui est le lit du singe Nirodha et du singe Dukkha et le lit sans fruit de leur queue immense qui court le monde en riant haut.

Il n’y aura pas d’enfant des terres au monde, Elilama. Je ne te parlerai qu’une langue qui est une langue pour le sourire de l’amante et le baiser de l’épouse à la bourse de la terre.

Écoute : les arbres font patience.

Ils ont pris les mesures de la roue sur les marches de ton temple : ils y ont installé le crabe, le rat, le serpent, l’enfant de l’oiseau. Ils y ont ménagé un règne pour ce qui est dans la dimension le règne de Maitreya.

Tout cela fait patience et l’arbre plonge en mer, où tu m’as épousée.

Alors, encore, l’arbre parlait et couchait un peu d’ombre sur les marches du temple.

Je t’ai choisi pour ne te parler qu’une seule langue, Elilama, parce que tu les parles toutes et que je veux t’entendre me comprendre et puis fouiller mon ventre avant que vienne la saison.

J’ai embrassé cette jarre qui est le monde en vérité.

Entre la jarre du monde et celle du singe Nirodha et du singe Dukkha, pas l’espace pour un ongle : l’un s’appuie sur l’autre et le monde dit au singe : « viendras-tu me visiter pour la saison ? ».

Et le singe ou fait silence ou rit affreusement.

Pas l’espace d’un ongle entre les deux jarres et l’une s’appuie sur l’autre et une voix résonne à quoi l’on ne répond pas.

Ainsi, je te parle une seule langue, Elilama. »

 

L’oiseau s’est approché d’Ἀνάγκη et rapporte l’étoile.

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Emmanuel Tugny, né en 1968, a publié depuis 1986, une quarantaine de livres et de disques.

Des photographies originales de l’artiste Anna-Katharina Scheidegger, née en 1976, ponctuent le texte.

 

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Ce livre va également être disponible en papier dans quelques jours.